J’ai lu le livre d’Eva Joly : « La Force qui nous manque »

par alberto
lundi 4 juin 2007

Nous l’avons tous entendue s’exprimer, ici ou là, dans les micros d’Europe ou de RTL, pour présenter son dernier livre, et peut-être avons-nous lu quelques lignes de commentaires dans les pages d’un journal. La dame qui a fait mordre la poussières aux arrogants complices de l’affaire Elf persiste et signe : son combat contre la corruption continue !

En cent quatre-vingt-dix pages d’une écriture nette et sans détour, Eva Joly se découvre un peu sur ce qu’a été son enfance norvégienne, sa vie de jeune fille au pair dans les beaux quartiers de Paris, son itinéraire intime de femme avant qu’il ne devienne public, sa rencontre avec celui qu’elle épousera ; elle évoque avec émotion ses parents, avec tristesse la disparition de ses proches, son amour de la Bretagne... et d’une certaine France.

Une quinzaine de pages de photographies sont insérées dans le livre, avec des images familiales et personnelles, d’autres pour rappeler certains épisodes de son action publique, pour soutenir le texte de ces références iconographiques.

Ses souvenirs souvent tendres de son aventure personnelle vont et viennent au long des pages du bouquin comme en contrepoint de la dureté de la sale guerre qu’elle continue de mener à travers le monde grâce à la confiance et au mandat que lui ont accordés les autorités norvégiennes.

Le leitmotiv du début à la fin : combattre la corruption, ici et partout pour combattre la pauvreté !

Et de nous éclairer sur le processus qui l’a conduite mécaniquement, au travers de son expérience en France de juge des affaires financières, à conclure que la corruption était une des principales gangrènes de nos démocraties, comme en France notamment mais pas seulement, avec pour corollaire l’accroissement de la pauvreté de ceux au détriment de qui cette corruption s’exerçait, l’Afrique principalement, avec la complicité des paradis fiscaux dont nul encore n’a pu entamer l’incroyable immunité judiciaire dont ils jouissent !

Le lecteur fait connaissance des interlocuteurs rencontrés durant ses voyages au long cours, chefs d’Etats ou leurs proches, magistrats engagés dans le même combats, fonctionnaires de l’ONU, politiciens de divers calibres pouvant aider à dégager les barrières protégeant corrupteurs et corrompus...

Mille anecdotes émaillent le récit de ses rencontres, échecs, désillusions, victoires, espoirs, soutiens patiemment sollicités, commentaires amers, constats sans concession...

Et au fil des pages, les phrases claquent comme le fouet : « on maintient là-bas des régimes assis sur la misère, cette longue mèche d’un monde explosif. » Parlant de l’Afrique : « Où que j’aille, je bute sur l’histoire coloniale. » (!). Ou encore : « une France digne de son idéal et de son héritage de 1789 est incompatible avec la Françafrique... » (! !). Sur le fonctionnement des échanges financiers internationaux : « Sur les bourses du monde, la moitié des fonds contourne désormais la réglementation... ». Sur les paradis fiscaux : « Le combat frontal n’a pas été mené. La raison en est simple : les paradis fiscaux n’existent qu’avec l’accord des grandes places financières internationales. »

Onze chapitres où l’espoir s’insinue au fil des lignes quand on en vient à décoder ce titre un peu énigmatique : « La force qui nous manque ». Cette force que l’on a en nous, dans notre corps et notre intelligence, mais que l’on ne sait pas toujours employer au bon endroit ou au bon moment. Mais l’espoir est là quand on aperçoit en fin de compte « bouger les lignes » et « que le monde n’est pas figé ».

Eva Joly ne sollicite réellement pas son lecteur : elle expose, elle constate et tire les conclusions. Mais je ne peux m’interdire de penser que tout individu normalement constitué ne pourra rester insensible aux monstruosités qui nous sont énoncées et que le moment venu, par son soutien à telle ou telle association, par son adhésion à certaine action collective, le citoyen moyen saura trouver suite à cette lecture l’attitude adéquate qui permettra de retrouver la lucidité et la force qui lui manquaient jusqu’alors pour bouger le monde dans le bon sens !

J’ai ressenti enfin un rappel à nos fondamentaux démocratiques, nous les démocraties occidentales, et de l’urgence qu’il y aurait à balayer devant nos portes pour assainir nos pratiques de gouvernance devant l’arrivée de nouveaux acteurs qui pèseront lourd dans les échanges internationaux : Chine, Inde, Brésil, Indonésie... et qui sauront nous rappeler, le cas échéant, au souvenir de nos turpitudes.

A lire et faire lire : « La Force qui nous manque » par Eva Joly, avec la collaboration de Judith Perrignon, Edition Les Arènes.

Bonne lecture, et bien à vous.


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