« Je m’affirme donc je suis » vient de répliquer Playtex à Descartes

par Paul Villach
mardi 5 juin 2007

Est-ce facétie ou pur hasard ? Mais AGORAVOX a assorti mon dernier article de la semaine dernière sur « La femme d’aujourd’hui selon la Banque populaire et la Vénus d’Urbino » d’une publicité inattendue de la marque de sous-vêtements féminins Playtex. « Je m’affirme DONC je suis » prêchait-elle aux femmes pour qu’elles se libèrent enfin.

Était-ce pour réveiller la « femme de la Banque populaire » dont je diagnostiquais l’assoupissement des sens ? Pas besoin, en tout cas d’avoir fait de longues études pour y reconnaître un détournement de la maxime de Descartes, « Je pense donc je suis  », mais comme on parlerait d’un détournement de mineur !

S’auréoler de l’autorité d’une maxime à la Descartes

Pourvu qu’ils leur rapportent de nouveaux clients, les marchands et leurs publicitaires sont vraiment prêts à tous les détournements, même s’ils s’abritent derrière l’humour pour faire admettre leurs audaces. Qu’importe que les principes qu’ils proclament renvoient une société au temps des cavernes ! Ils osent le faire, car ils supposent - et peut-être pas à tort - que leur public est assez inculte pour ne pas s’en apercevoir. La ficelle de la parodie est pourtant grosse.
- Playtex singe d’abord la maxime de Descartes pour flatter son public : il croira se prouver sa culture en la reconnaissant : quel inculte l’ignore, même s’il ne la comprend pas ?
- Ensuite, Playtex vise à usurper l’aura de son autorité acquise depuis quatre siècles mais en la vidant de son contenu, comme un mauvais plaisant remplacerait dans un ostensoir l’hostie sacrée par un caramel mou. Playtex défend, en effet, un mode d’existence aux antipodes de celui préconisé par Descartes.

Priorité aux réflexes sur la réflexion

- Comment ne pas ressentir comme un affront cette profanation qui remplace la primauté de la pensée par celle de la pulsion de puissance débridée ? « S’affirmer » n’est pas du tout « penser », c’en est même le contraire ; c’est céder à ses réflexes primaires avant tout examen par la pensée : « Assumer ses envies, ses folies » explique Playtex au cas où on n’aurait pas bien compris. Les réflexes doivent primer la réflexion. L’irrationalité devient le seul et unique critère de l’existence. Or, où mène tout droit pareil principe sinon au conflit avec ses semblables, qu’ils l’adoptent eux-mêmes ou non ? N’est-ce pas dans la jungle que règne le caprice de celui qui « s’affirme » le plus fort ?

Une ambiguïté ravageuse

Heureusement tout aphorisme publicitaire vantant les vertus de la libération porte en lui-même un paradoxe, comme l’a bien vu G. Bateson en forgeant le concept de « la double contrainte » (« double bind  », en anglais) repris par Paul Watzlawick, mort à la fin de mars dernier. Comment, en effet, « m’affirmer » d’un côté, c’est-à-dire n’écouter que « mes envies, mes folies » en m’affranchissant de toute tutelle, et, de l’autre, me soumettre à l’ordre donné par l’aphorisme de Playtex ?
La solution du paradoxe est en fait dans un jeu de mots qui a sans doute échappé à Playtex et qui ruine sa campagne publicitaire. A-t-elle vu qu’une homonymie ouvrait sur une ambiguïté ravageuse ? « Je m’affirme donc je suis » veut en fait tout simplement dire : « Je m’affirme donc je suis... comme un mouton Playtex dans ses divagations ». L’appel à l’affirmation de soi, à la libération et à la distinction n’était en fait qu’une sommation à rester bien sagement dans les rangs du conformisme sous la houlette d’une autorité usurpée !

On ne joue pas impunément avec la maxime de Descartes qui se retourne contre ses profanateurs. Elle rappelle fort opportunément qu’avant de suivre ses pulsions, il est plus prudent de réfléchir, sous peine d’être mené par le bout du nez comme un benêt par des stratèges qui, eux, se gardent bien d’appliquer les conseils qu’ils donnent.


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