L’instituteur avait dit : « Je coupe tout ce qui dépasse » à un élève qui montrait son zizi...
par Paul Villach
lundi 12 janvier 2009
On peut être rassuré. L’administration de l’Éducation nationale et la justice veillent. Elles traquent impitoyablement cette engeance qui menace la sécurité des citoyens. Ils viennent de mettre hors d’état de nuire dans la région de Saulieu en Côte d’or un dangereux malfaiteur qui se camouflait sous les traits badins d’un instituteur remplaçant.


L’information a été diffusée, samedi 10 janvier 2009, par Le Bien Public, journal de la Côte d’or, reprenant le témoignage de la section locale de La ligue des droits de l’homme (1). Un lecteur a eu la bonne idée d’en donner le lien en commentaire d’un article précédent (2).
Les faits selon Le Bien public
Le 26 septembre 2008, un instituteur remplace une collègue en congé de maladie dans une école primaire des environs de Saulieu. Il remarque vite un élève de CM1 qui ne respecte pas les règles de la classe par ses interventions et déplacements intempestifs. Dans l’après-midi, des élèves l’informent que ce même garnement « a montré son zizi » ! L’instituteur, peu inspiré il est vrai, réagit sottement : tenant à la main un cutter sorti de son cartable, il avertit l’élève : « Je coupe, dit-il, tout ce qui dépasse. » Il s’entretient toutefois de l’incident avec la mère de l’élève quelques jours plus tard. Pour lui, l’affaire est close.
Pas du tout ! Deux mois plus tard, le 25 novembre 2008, un arrêté de l’inspection académique le suspend pour 4 mois. Cette mesure conservatoire est habituellement prise en cas de conflit dans l’attente d’une solution avec ou non procédure disciplinaire. Mais ici, c’est plus grave. L’instituteur est invité le lendemain, 26 novembre, à se présenter le 27 à 9 heures à la gendarmerie « pour affaire le concernant ». Il apprend alors qu’une plainte a été déposée contre lui par la mère de l’élève.
S’ensuivent les diverses étapes de la procédure que la gendarmerie sait appliquer à tout suspect faisant l’objet d’une plainte et placé en garde à vue : vidage de poches, recherche entre deux gendarmes à son domicile de l’arme du crime, le cutter, mise sous scellé, examen par un médecin à la demande du procureur, prises de photos, d’empreintes digitales et de salive pour identification d’ADN. L’instituteur ressort de la gendarmerie à 17 h 50.
Ayant reconnu les faits, le geste joint à la parole, il est cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Dijon, le 23 janvier prochain, pour y répondre de « violences aggravées, sans incapacité, sur mineur de moins de quinze ans, par personne ayant autorité sur mineur chargée d’une mission de service public, avec menace d’une arme. » Il est passible, selon l’article 222-13, de 5 ans de prison et de 75.000 euros d’amende.
Faut-il pleurer, faut-il en rire ?
Faut-il rire ou pleurer quand le discernement fait à ce point défaut aux acteurs de ce vaudeville, sous réserve que la représentation des faits rapportée par le journal soit fidèle ?
1- Un manque de discernement chez l’instituteur
C’est entendu ! L’instituteur en a manqué. Sa réaction impulsive ressemble à celle des instituteurs d’autrefois qui ne faisaient pas dans la dentelle pour remettre les choses à l’endroit : une gifle ou un coup de pied aux fesses et c’était réglé ! Un droit de correction coutumier leur était reconnu par la justice. Mais le climat a changé. On l’a vu récemment. Le professeur de Berlaimont a été traîné devant le tribunal correctionnel par le père d’un élève qu’il avait giflé, et il a été condamné !
Sans doute, ne s’agit-il pas de gifle ici, mais d’une réaction qu’on peut considérer comme anxiogène. La psychologie de l’enfant a progressé. Des menaces, même sur le mode de la plaisanterie, peuvent avoir des effets dévastateurs sur la structuration psychologique de l’enfant. Autrefois, il arrivait qu’une institutrice menaçât d’envoyer les enfants qui n’étaient pas sages, dans des toilettes où il y avait des rats. Il n’était pas étonnant qu’un enfant devenu propre, rentrât à la maison en ayant fait pipi dans sa culotte, voire davantage.
Ici, l’instituteur, sans penser à mal, a pris sans doute la chose avec humour : l’excès dans la punition promise – « couper » au cutter – et la périphrase fantasque pour désigner « le zizi » qui se met à la fenêtre – « tout ce qui dépasse » -, sont les indices d’une distanciation burlesque. Seulement l’élève peut être incapable de la percevoir et rester traumatisé par ce qu’il vit confusément comme une menace de castration. Manifestement, l’instituteur a manqué de discernement.
2- Un manque de discernement chez la mère.
La mère n’en a pas moins manqué non plus. On peut comprendre son émoi au récit qu’a dû faire son fils de l’incident. Attentive à ne pas exposer son enfant à ce qui apparaît comme une agression, elle a pu en être scandalisée. Mais selon les faits rapportés par le journal reprenant le témoignage de l’association, elle a rencontré, dans les jours suivants, l’instituteur qui s’en est expliqué. Et tout semble s’être terminé pour le mieux. L’instituteur, en tout cas, a cru l’affaire close. Et de fait, il n’en a plus entendu parler… sauf deux mois plus tard.
Il ne s’agirait donc pas d’une plainte déposée sous le coup de l’émotion, à moins qu’elle l’ait été aussitôt tout de même à l’insu de l’instituteur, et que le délai de deux mois soit le temps nécessaire à la justice pour se mettre en branle.
3- Un manque de discernement de l’autorité académique
La suspension provisoire de l’instituteur, à la veille d’être convoqué par la gendarmerie, laisse supposer une synchronisation des conduites de l’administration et de la justice. Il faut, en effet, attendre deux mois pour que l’inspection académique s’émeuve ! Une réaction si tardive après un premier forfait, pour empêcher de nuire un dangereux délinquant, laisse à ce dernier toute latitude pour s’en prendre à d’autres victimes : on ne comprend pas l’inconscience de cette administration ! Ou alors, serait-ce qu’avec raison l’affaire n’a pas été prise d’abord au sérieux, jusqu’à ce que l’administration apprît que l’instituteur était convoqué par la gendarmerie pour se voir signifier une citation à comparaître ?
4- Un manque de discernement de la part du parquet
La mère paraît, en tout cas, avoir disposé d’arguments très persuasifs pour convaincre un procureur de donner suite à une telle plainte. On se demande bien lesquels. Les faits sont-ils d’une telle gravité que l’ordre public s’en trouve menacé et exige que le coupable soit sanctionné ? Comment ne pas être sensible à la disproportion qui existe entre la faute, voire la simple maladresse professionnelle reprochée, et le dispositif répressif mis en œuvre ? Un marteau-pilon pour une mouche ?
Un procureur n’a-t-il rien de plus urgent à traiter pour veiller au maintien de l’ordre public ? Quand des gendarmes sont invités à s’occuper toute une journée d’un instituteur qui a eu un geste et des propos malheureux devant un élève, il est sûr qu’ils ne peuvent consacrer leur temps à débusquer la délinquance qui empoisonne la vie ordinaire, ni à prêter leur concours à traquer la délinquance financière. Peut-on lire sans frémir la qualification qui a été retenue pour reprocher à l’instituteur son geste et sa parole ? En l’espèce, un magistrat qui ose pareille lecture, fait-il preuve de discernement ?
« Je coupe tout ce qui dépasse » a déclaré l’instituteur. S’il s’agit de ce qui dépasse les bornes, le malheureux ne sait pas dans quel bourbier il s’est aventuré : les suites données à cette affaire les outrepassent allègrement. Et s’il faut couper tout ce qui les dépasse, il y a du pain sur la planche à découper. N’aurait-il pas été plus simple de finir par un éclat de rire et de chanter avec Pierre Perret : « Tout, tout, tout, vous saurez tout sur le zizi » ?
Sans doute pas ! Car c’est son ridicule achevé qui fait de cette histoire une affaire sérieuse : peut-on croire pudiquement à un simple dysfonctionnement ou au contraire entre-t-elle dans une stratégie à long terme de discrédit du service public d’Éducation ? Trop de grandes personnes se sont impliquées avec application dans cet enfantillage. Paul Villach
(1) http://www.bienpublic.com/actu/region/20090110.BPA5957.html
(2) Paul Villach, « L’examen de certification d’Allemand en 3ème se passe en mars. Pourquoi pas en juin ? », AGORAVOX, 9 janvier 2009.