"Un peu de décence seraient tentés de dire certains salariés. Alors que France Télécom a annoncé jeudi avoir réalisé au troisième trimestre un chiffre d’affaires supérieur aux attentes des analystes - l’annonce provoquant une envolée du titre sur le marché - deux syndicats de France Télécom ont dénoncé jeudi la "dégradation" des conditions de travail des salariés. Rappelons aussi, même si l’information se fait discrète, qu’en mars 2007, des médecins du travail s’étaient d’ores et déjà inquiétés du "mal-être" existant dans les sites France Télécom de Rhône-Alpes et Auvergne. (...) Cette situation financière est de plus "insolente au regard de la dégradation continuelle des conditions de vie et de travail des salariés", poursuit-il, réclamant l’arrêt des suppressions d’emplois et l’ouverture "immédiate de négociations sur les salaires, carrières, conditions de travail". Il est vrai que pour toute autre entreprise, supprimer 22.000 postes conduiraient "nécessairement" à un plan social, mais l’opérateur historique semble vouloir faire dans la discrétion, au péril parfois de l’intégrité mentale de ses salariés. De son côté, Sud-PTT estime que l’objectif de la direction de dégager "un cash flow de 7 milliards d’euros" pour le "paiement de dividendes pour les actionnaires sera largement réalisé voire dépassé". (...) A l’issue d’une réunion d’information, jeudi 11 octobre, les syndicats de France Télécom ont jugé les mesures mises en place par leur direction pour réduire le "stress au travail" des salariés, de "trop timides et pas assez concertées.” Au printemps, syndicats et salariés de l’opérateur de télécommunication se sont mobilisés à plusieurs reprises contre les conditions de travail et les fortes "pressions au départ" qu’exercerait sur une partie d’entre eux la hiérarchie du groupe. Un plan de restructuration de 22 000 suppressions de postes en trois ans (2006 à 2008) est d’ores et déjà mis en place chez l’opérateur."
L’intervention des médecins vers laquelle renvoie l’article est claire : "
Dans leur rapport annuel sur la santé au travail, présenté en mars au comité d’établissement de la direction régionale centre-est de France Télécom, des médecins du travail s’inquiètent du "mal-être
" existant dans les sites France Télécom de Rhône-Alpes et Auvergne, où s’accroissent le "stress, le désarroi, les troubles anxio-dépressifs". "Nous tenions à alerter sur la gravité d’une situation qui nous inquiète", écrivent les médecins dans le document. "Le stress, le désarroi, les troubles anxio-dépressifs liés aux transformations du travail ne cessent de s’accroître chez le personnel", détaillent-ils, en évoquant des salariés qui "ont de plus en plus de mal à se reconnaître dans ce qu’ils font". (...) "Les situations de stress sont constantes, l’exigence de productivité et de performance entraîne des efforts constants pour rester dans la course." Tout y est déjà. On remarquera cette phrase : "Certes, fort heureusement, il ne s’agit pas aujourd’hui de suicides, en ce qui concerne l’opérateur télécoms (encore que cela reste tout de même à vérifier si l’on en croit quelques remontées syndicales)... mais un livre publié en 2004, intitulé La machine à broyer faisait d’ores et déjà état de conditions de travail mettant en péril l’intégrité mentale des salariés du groupe." Vous avez bien lu : La machine à broyer est sorti en 2004 ! Présentation de l’éditeur : "La série noire continue… Vendredi 11 septembre 2009, une salariée de France Télécom, âgée de 32 ans, s’est suicidée à l’issue d’une réunion, deux jours après le geste désespéré d’un autre employé et une série de suicides. Les employés sont les principales victimes de la fin du monopole des grandes entreprises publiques françaises. Afin de se préparer au marché concurrentiel, France Télécom a opéré un redéploiement interne de ses effectifs. Depuis 1990, ce sont plusieurs dizaines de milliers de salariés qui ont changé de fonction, de statut, de lieu de travail. Ces mutations contraintes se sont appuyées sur une gestion agressive des ressources humaines. Dominique Decèze, au cours d’une enquête minutieuse, montre l’étendue des dégâts et la violence délibérée avec laquelle l’entreprise s’est attaquée à son personnel. À France Télécom, le mal de vivre au travail est une réalité quantifiable : stress, dépression, maladies, suicides, fichage, mutations d’office, pressions hiérarchiques, placardisation, harcèlement. Il cite abondamment des médecins du travail, débordés par le nombre croissant d’employés en souffrance. Mais le plus bouleversant, ce sont les témoignages des intéressés eux-mêmes, pris à revers par leur DRH : comment admettre que la « libéralisation » d’une entreprise puisse se faire au prix de la santé, voire de la vie de ses employés ? Dominique Décèze, auteur chez Jean-Claude Gawsewitch Editeur de Haute Tension chez EDF-GDF (2005), de Services publics, la grande braderie (2007), et de Gare au travail (novembre 2008). Il est spécialiste de santé au travail."
Dernier réquisitoire paru, Orange stressé d’Ivan du Roy : "France Télécom est devenue un géant mondial des télécommunications. L’ancienne entreprise publique est présentée comme le modèle d’une privatisation réussie, dans un secteur qui connaît une extraordinaire mutation technologique. Mais il y a un grave revers à cette médaille, beaucoup moins médiatisé que les profits records de la firme : parmi ses 100 000 salariés hexagonaux, deux sur trois se déclarent stressés. Un mal-être généralisé qui a pour symptômes la banalisation du recours aux anxiolytiques, la progression des arrêts maladie de longue durée, l’augmentation des démissions et la multiplication troublante de suicides. C’est cette réalité méconnue que dévoile ce livre, fruit d’une enquête auprès de salariés, de syndicalistes, de médecins ou d’experts en santé au travail. Et qui s’appuie également sur les travaux de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom, créé à l’initiative d’organisations syndicales. Ivan du Roy y montre comment le « management par le stress » a été érigé en système par les dirigeants de l’entreprise, dans le but notamment de pousser vers la sortie des milliers de salariés. Ce management « sournois » et « vicieux », selon les mots des salariés, s’est progressivement déployé avec la privatisation, alors que les profits s’accroissaient. En ce sens, le cas de France Télécom est tristement exemplaire : c’est un laboratoire pour la gestion du personnel par la souffrance au travail, une expérimentation de ce qui peut se produire demain dans d’autres grandes entreprises et services publics, de La Poste à l’Éducation nationale."
Les dirigeants d’Orange, au premier rang desquels le PDG Didier Lombard, qui a confessé avoir ressenti "un petit choc" et a osé parler de "mode du suicide", sont coupables, c’est indubitable. Le péril pour les salariés de ce management par le stress était déjà dénoncé il y a cinq ans ; c’est donc qu’ils ont préféré la logique du capitalisme libéral, celle du profit, à l’application du code du travail. Lisez ce que dit la loi : "Liés aux conditions générales de travail, les risques professionnels font peser sur les salariés la menace d’une altération de leur santé qui peut se traduire par une maladie ou un accident. Il appartient à l’employeur de supprimer ou de réduire ces risques afin d’assurer la sécurité des salariés et de protéger leur santé physique et mentale." La faillite de la direction d’Orange est patente. "Plusieurs médecins du travail ont démissionné après que la direction leur a demandé de supprimer certains paragraphes faisant apparaître des maladies professionnelles", accuse Ivan du Roy dans 20 minutes. Gravissime. Tournons-nous à nouveau vers ce qu’écrit le site gouvernemental consacré à la prévention des risques professionnels : "La responsabilité pénale et/ou civile de l’employeur peut être engagée en cas de manquements à ses obligations en matière d’hygiène et de sécurité." Nier que ce soit le cas est intenable. Pourtant, celui qui est désigné comme le principal responsablede cette situation, le directeur exécutif d’Orange France, bras droit de Lombard, Louis Pierre Wenès, refuse de façon autiste de remettre sa stratégie en question : "On a fait parler les morts !", proteste-t-il dans L’Obs.com. "Redoute-t-il de perdre son poste après la vague de suicides ? « Je considérerais alors que je suis victime d’une monstrueuse manipulation », répond-il, glacial. Droit dans ses bottes, Wenès, 60 ans, semble plus furieux qu’embarrassé ou peiné. Pour lui, apparemment, cette affaire a été montée en épingle par les médias, instrumentalisés par les syndicats avant les élections au conseil d’administration le 15 novembre prochain. Dans son groupe, en effet, on ne se suicide pas plus qu’avant, et pas plus qu’ailleurs. En revanche, Wenès sous-estime gravement la crise que traverse sa maison. « Le climat social n’est pas si épouvantable que cela, affirme-t-il. Au cours de la période 2006-2008, 14 000 personnes ont changé de métier et près de 22 000 personnes sont parties sans que l’on ait de grèves massives dures... » Il semble ne pas comprendre que les récents suicides ont révélé un profond mal-être chez l’opérateur. (...) Après le plan Thierry Breton, qui avait déjà fait partir 20 000 salariés de 2003 à 2006, Didier Lombard en remet une couche : son plan NExT prévoit 20 000 départs supplémentaires. Et Louis-Pierre Wenès l’exécute avec les méthodes musclées dont il n’a jamais fait mystère : « Je mets la pression tout le temps, je ne laisse pas de marge de manoeuvre », explique- t-il en mai 2007 à La Tribune." Voilà donc un homme qui s’estime victime d’une cabale et assume parfaitement ses méthodes, alors même qu’elles conduisent des salariés directement au tombeau ! L’Etat va-t-il réagir ? Ce serait oublier que nous sommes gouvernés par des libéraux qui ne jurent justement que par la loi du profit et se fichent comme d’une guigne des dégâts humains. Illustration : après avoir reçu Lombard hier, l’inénarrable Christine Lagarde, ministre de l’Economie, lui a renouvelé "sa pleine et entière confiance". Le management d’Orange tue, le gouvernement complice !
PS : le cas d’Orange est emblématique mais il n’est évidemment pas unique. C’est la logique libérale qui tue. Un ouvrage signé Paul Moreira et Hubert Prolongeau détaille le processus, de nombreux exemples à l’appui : Travailler à en mourir, à paraître le 14 octobre chez Flammarion.
PS bis : nous avons consacré coup sur coup en juillet 2007 deux billets au démontage de la tarte-à-la-crème sarkozyste de la "valeur travail", Le travail rend libre... définitivement et Le travail, source de souffrance.