Le métro, cliché sociologique
par martin
vendredi 24 octobre 2008
Les transports en commun ! Lieux d’observation pour tous, voici un petit cliché sociologique largement appuyé par mon cynisme et défendu par ma plume. Une touche de poésie en prime.
Avant chaque épreuve, il y a l’attente. Cette succession d’instants stériles où la projection du devenir est anxiogène, un ennui colossal où toute esquisse du futur est rendue impossible par l’obligation que l’on se crée, mais qui nous guide. La servitude est totale, une impuissance difficilement supportable pour les hommes libres. Une attente à la liberté qui rend les secondes coupables de leur existence car avec la reconnaissance du temps naissait la dépendance de l’horloge, celle qui aiguille le monde.
Les quais sont saturés, la foule s’étale sur toute sa longueur et déjà l’appréhension gagne du terrain. Quelques badauds discutent, mais leurs verbes sont vite couverts par les cliquetis métalliques d’une rame déjà chargée d’âmes. La machine approche. L’arrêt sera bref.Le ballet prend alors toute sa place, le désordre ambiant tisse un lien commun autour d’une même soumission que le temps s’est appliqué à rendre sale. La logique humaine défie les lois de la raison, mais la rationalité des individus devance les sentiments et plus vite on entre, plus vite on sort. Le culte du soi chaparde la politesse et déstructure l’éducation, chacun se faufilant et jouant des coudes, mais peu importe pourvu que l’on ne croise aucun regard.
Le signal sonore retentit. Une poignée de secondes pour s’accommoder de son inconfort, un entracte fort utile pour recouvrer un semblant d’équilibre. D’un instant à l’autre, ces lourdes portes automatisées s’écraseront l’une dans l’autre avec le devoir tragique de rendre prisonniers ces passagers. Un vacarme similaire à un coup d’envoi, la tension est à son comble, le mouvement est lancé. Assis dans un coin, il y a ce grand-père. Son visage est celui d’un passé long et difficile, la vie a fait son travail et lui a apposé quelques cicatrices. Ses grands yeux bleus sondent les alentours, la mécanique est parfaitement rodée, l’âge n’est plus à l’action, mais à l’observation. Sa pensée n’est pas critique, mais nul ne lui enlèvera le sentiment qu’un jour l’homme s’est trompé. En face de lui, une enfant grignote et semble invulnérable au malaise général. L’un se retourne sur la société, l’autre s’apprête à y entrer. Les deux s’observent et, le temps d’un regard, ils inversent les rôles. Il y a ceux qui fuient, trop lâches pour affronter un silence qui ne va pas de soi, ils trouvent refuge dans la musique ou dans la lecture, ils s’échappent. Visuel ou tactile, l’espace est si restreint que le contact est inéluctable. La gêne est collective, mais les malheureux prennent le risque de l’habitude, le risque d’une implosion sociale passée sous silence. En s’agrippant à une barre de maintien pour éviter la chute, un homme effleure la main d’une jolie femme, celui-ci s’excuse comme s’il venait de commettre un affront, mais le pardon se mérite. Voilà qu’il s’incline avant de baisser les yeux. L’idiot se punissait.L’individualisme pour les uns. Le peur du regard pour les autres. Une assemblée de « chiens de faïence » avec la volonté commune d’accélérer le temps.
Manifester sa présence par un acte fou comme celui de parler ? Une envie de communiquer inscrite dans notre nature, mais détournée par la pesanteur de l’ambiance générale. Les divisions sont trop nombreuses, la fracture est ouverte, c’est au cœur de la machine que les hommes déraillent. Encore vivants, mais déjà sous terre, tous s’éloigneront avec le souvenir de gens heureux et la certitude qu’un jour l’homme fut sociable. Mais la nuit apporte avec elle son parfum de douceur. Les esprits échauffés par l’alcool se libèrent, la fatigue des uns anesthésie la méfiance des autres, le travail fini, les raisons d’être animal disparaissent. Les regards se multiplient, les échanges fécondent les esprits et, lentement, la fraternité fait son lit. L’hymne aux étoiles devrait être entendu.