Les professionnels de l’information ont-ils un avenir ?

par Christian Bensi
mardi 12 juin 2007

Un nombre croissant de personnes recourt à Internet pour s’informer. Dans nos sociétés, l’information est devenue une valeur essentielle. La fréquentation des structures d’information du public et celles de l’information orientation diminuent. Pour autant, peut-on imaginer que l’humain devienne inutile face à un univers Internet omniprésent ? Comment les professionnels peuvent-ils s’adapter aux nouvelles attentes d’un public plus exigeant et assurer une mission complémentaire à l’outil informatique ?

On assiste aujourd’hui sur le web à la mise en place de véritables services dont certains sont très performants et totalement adaptés aux attentes du public. Cette situation génère de l’inquiétude chez les professionnels.

Les professionnels de l’information ou de l’orientation scolaire sont-ils biens formés, apportent-ils assez de valeur ajoutée, sont-ils suffisamment à l’écoute ? Le public se déplace moins dans les lieux d’accueil. Par paresse, par manque de temps mais aussi parfois parce qu’ils ont été déçus par les conseils qu’on leur a donnés. Si un professionnel est moins compétent qu’un service web, aussi froid qu’une machine, moins aimable qu’un ordinateur, pourtant insensible par nature, alors oui le professionnel de l’information, de l’orientation, de l’accueil va (doit) disparaître.

Ce que sait faire le conseiller ou l’informateur, c’est s’appuyer sur des éléments de contexte pour faire des propositions à la personne qu’il reçoit. Mais trop souvent la formation continue de ces professionnels est oubliée. Que vaut, dans un secteur qui évolue en permanence, une formation acquise vingt ans plus tôt et jamais réactivée, à l’exception de quelques jours de rencontres ou de stages de mise à niveau dans l’année ?

Combien de fois aussi, je vois des professionnels, dépassés par l’ordinateur, se réfugier vers des éditions papiers, parfois périmées mais qu’ils maîtrisent ! Comment ces professionnels peuvent-ils espérer rester crédibles aux yeux d’un public de plus en plus coutumier de l’outil Internet ?

Les professionnels, qui considèrent Internet comme l’outil qui les mettra au chômage, sont déjà condamnés. Ceux qui estiment que leur métier ne sera jamais concerné le sont aussi. Ne pas anticiper, c’est disparaître !

Quels sont les métiers qui se développeront demain ?

L’information sera collectée par des experts. Malgré l’informatisation des procédures et l’assistance qu’offriront les systèmes, la collecte restera infiniment complexe à effectuer. Il faudra toujours valider les sources, contrôler la fiabilité de l’information diffusée et garder un esprit critique. Ce contrôle et cette validation seront de plus en plus difficiles à effectuer dans un monde où la volonté de travestir la réalité pour mieux « communiquer » sera forte. Ces professionnels devront être de vrais professionnels de la collecte d’information, parfaitement rompus aux techniques de recherche, aux mécanismes législatifs et doté des outils informatiques les plus efficaces. Ces personnels seront fortement spécialisés. Les champs de l’information sont trop nombreux aujourd’hui pour imaginer que la polyvalence ait le moindre avenir.

On aura besoin de rédacteurs pour mettre en forme l’information, pour la rendre attrayante, pour la « vendre », pour donner l’envie d’en savoir davantage. Dans un monde où l’information se multipliera, il sera de plus en plus difficile de capter l’attention de ceux qu’on voudra informer. Les rédacteurs devront recourir à des textes moins littéraires, moins redondants, plus efficaces et plus simples. Mais ces rédacteurs devront aussi encourager la réflexion critique du public pour lutter contre les manipulations. Ils utiliseront davantage l’image mais seront vigilants quant à la finalité de son utilisation. Les rédacteurs devront travailler au sein de structures indépendantes du pouvoir économique, si l’on souhaite préserver leur liberté rédactionnelle.

Mais l’information et l’information-orientation de demain nécessiteront surtout des médiateurs. Ces professionnels-là assureront le lien entre l’information et celui qui la cherche. Malgré les progrès enregistrés, une partie du public n’a pas accès à l’information, n’est pas outillé pour effectuer une recherche efficace. Et puis une partie du public souhaitera valider ce qu’il a lu. J’ai plusieurs fois entendu des professionnels affirmer : « Je soupçonne les jeunes qui viennent ici de ne pas savoir le nom de la structure qui m’emploie. Ils viennent me voir parce qu’ils pensent qu’ils peuvent me faire confiance. Ils m’ont choisi. »

Ces médiateurs seront de moins en moins des professionnels de l’information et de plus en plus des professionnels de la relation. Capables d’écoute, ils disposeront sans doute d’apports en psychologie pour comprendre le pourquoi de la demande et analyser les résistances. Et puis ce sont ces médiateurs qui permettront le passage de l’information à l’action. C’est eux qui donneront de la motivation. C’est eux aussi qui apprendront à chercher à leur public, qui leur donneront les méthodes pour authentifier les sources, pour accéder à l’information en toute autonomie. Ils interviendront dans des lieux publics (établissements scolaires, mairies, médiathèques, maisons de service au public, etc.) mais aussi par le biais de standards téléphoniques spécialisés pouvant à tout moment basculer leur interlocuteur vers les « experts » dont je parlais tout à l’heure. Ces médiateurs interviendront aussi dans les mondes virtuels sur Internet, les messageries, les forums, les réseaux sociaux auxquels les jeunes s’inscrivent de plus en plus souvent.

Ces médiateurs qualifiés, on en rencontre énormément déjà, chez les informateurs jeunesse, les conseillers d’orientation psychologues, les conseillers de missions locales, les personnels qui œuvrent dans les CIDF, etc.

Il faut mettre de l’humain dans Internet. On peut imaginer demain la généralisation de systèmes permettant à celui qui navigue sur le web de rentrer en contact avec un interlocuteur par le biais d’un casque et d’un micro ou d’une webcam. On appelle ces systèmes : « click to call. » Ce procédé est déjà largement utilisé par les entreprises d’e-commerce. Google avait souhaité l’adopter pour mettre en relation ses annonceurs et leurs clients potentiels. J’ai été amené à l’expérimenter pendant plus d’un an sur le portail d’information sur les métiers : Métiers Point Info.

Mais qu’ils soient experts ou médiateurs, les futurs professionnels de l’accueil et de l’information devront s’adapter à une société qui vit à des rythmes différents. Il faudra sans doute adapter les horaires de présence des médiateurs aux besoins du public comme le fait le secteur de l’animation socioculturelle ou le secteur commercial depuis de nombreuses années.

Pour s’adapter à une demande qui s’est avec le temps profondément modifiée, il faudra, si l’on veut garder un service public efficace, refuser les structures redondantes, la logique du « mille-feuilles », totalement inefficace et véritable gouffre financier. Il faudra regrouper les institutions. La tendance, qui consiste à vouloir demain, ne réfléchir l’orientation scolaire que par le seul biais de l’emploi potentiel est contre-productive. A quoi sert-il pour un jeune de suivre une formation vers un « emploi à débouchés » s’il ne souhaite pas s’y investir, s’il abandonne ses études en cours de route ou n’exerce jamais le métier pour lequel il a été formé ?

Il faudra aussi refuser la logique du saupoudrage qui consiste à ouvrir sans cesse des services nouveaux mais qui ne disposent pas des moyens nécessaires et des personnels formés.

Si une réelle qualité de service n’est pas atteinte rapidement, il est à craindre qu’un jour l’ordinateur s’impose là où les professionnels auront fait preuve d’immobilisme.

L’information est appelée dans les années qui viennent à devenir un formidable enjeu économique et social. Le service public saura-t-il le comprendre à temps ?


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