Petite histoire de la mondialisation
par patrickk
vendredi 24 octobre 2008
Ouvrez n’importe quel livre de science-fiction, vous y retrouverez toujours les mêmes thèmes : la terre est unifiée, elle ne forme qu’un seul État dans lequel tous les habitants parlent la même langue. Ainsi dans la BD de Valérian et Laureline, la terre unifiée possède une capitale, Galaxity, et tout le monde parle l’esperanto galactique. Ainsi les auteurs de SF voient-ils l’avenir sous la forme d’un monde uni, cohérent, et sans la moindre différence locale ou régionale.
Le mot mondialisation est à la mode depuis quelques années, mais les auteurs de SF y avaient vu clair depuis longtemps. Il faut penser qu’ils ont raison. Le monde futur est l’aboutissement d’un long processus qui a commencé dès l’Antiquité. Eh oui, dès l’Antiquité. Il fut un temps où chaque peuple parlait sa langue, adhérait à sa religion et pratiquait son écriture – lorsqu’il la pratiquait.
La religion d’abord. Lorsque les Assyriens, les Perses ou autres conquéraient un territoire ils ne cherchaient pas à convertir les vaincus. Jamais un roi assyrien n’a demandé aux représentants d’un peuple vaincu de s’incliner devant Mardouk ou Gilgamesh. À chacun ses dieux. C’est avec l’apparition des grandes religions que l’idée qu’elles détenaient la vérité et que les hommes devaient s’y convertir a commencé à se répandre. Et encore pas toutes. Ni le confucianisme ni le taoïsme ni l’hindouisme n’ont jamais envoyé de missionnaires. Cela ne concerne en fait que trois religions : le bouddhisme, à partir de 500 avant, le christianisme et l’islam. Fort heureusement toutes sortes de schismes ont maintenu la variété religieuse. Il y a peu de choses communes entre le lamaïsme tibétain et le bouddhisme dit du « petit véhicule » pratiqué à Ceylan, entre l’austérité des pasteurs protestants et l’exubérance des rituels de l’Eglise orthodoxe. Il s’est produit, néanmoins, une certaine unification du monde en un nombre réduit de grandes religions. Il n’y a plus guère que quelques ethnies amérindiennes et africaines pour adorer leurs propres dieux comme c’était la règle dans l’Antiquité.
Le second point sur lequel s’est focalisée la mondialisation ce sont les chiffres et les lettres. Dans l’Antiquité, chaque peuple avait son écriture. Certes, les Grecs ont emprunté l’alphabet phénicien, mais ils l’ont adapté tout comme les Araméens. De même, les Romains ont déformé l’alphabet grec. À quelques exceptions près, c’est à partir du XIVe siècle qu’on a commencé à écrire différentes langues dans le même alphabet latin. Ce fut le cas des six principales langues qui passèrent à l’écrit : anglais, français, allemand, italien, espagnol et portugais. Depuis, le phénomène s’est étendu à toute l’Europe, sauf pour le cyrillique (russe, serbe, bulgare) et le grec. Depuis, l’alphabet latin a progressé, adopté par les Turcs (sous Atatürk), les Vietnamiens, les Malais, les Indonésiens. Il est utilisé dans les écoles chinoises pour apprendre les caractères.
Et ce qui est vrai des lettres l’est encore plus des chiffres. Même les langues qui n’ont pas adopté les caractères latins ont adopté les chiffres dits arabes. Arménien, géorgien, russe, grec, etc.
C’est aussi vrai du calendrier, le calendrier chrétien, dit grégorien, est devenu universel. C’est aussi vrai du costume, en particulier du costume masculin. Regardez une conférence internationale : qui porte l’habit national ?
Mais il n’y avait jusque-là pas de véritable mouvement conscient de mondialisation. La première véritable tentative de mondialisation fut la Révolution française. La notion même de Déclaration des droits de l’homme était une nouveauté à l’époque. « Les hommes naissent libres et égaux en droit », entendre tous les hommes. La Révolution française voulut imposer aussi sa langue. C’est le fameux manifeste de Rivarol sur la langue française. Il est vrai qu’à l’époque le français était la langue dominante en Europe.
La Révolution française réussira sur deux points. Le type de gouvernement qu’elle propose — basé sur la République et le suffrage universel — s’est pratiquement imposé partout. Rares sont les monarchies réelles aujourd’hui. Le système métrique qui lui aussi s’est imposé dans le monde entier sauf, c’est le paradoxe, chez les chantres actuels de la mondialisation, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.
Mais le retour de bâton devait revenir bien vite. Le XIXe siècle est le siècle du nationalisme qui se termine par l’éclatement des nations multiethniques comme l’Autriche-Hongrie, d’une part, l’unification d’États comme l’Allemagne et l’Italie d’autre part. Cette vague nationaliste déboucha sur une véritable hystérie ultra-nationaliste avant la Seconde Guerre mondiale : Hitler, Mussolini, Franco, Salazar, Atatürk et son successeur Inonü, Horty, Pidulsky et j’en oublie.
La seconde tentative de mondialisation fut le marxisme. C’est le fameux « prolétaires de tous les pays unissez-vous » ou bien « les prolétaires n’ont que leurs chaînes à perdre et le monde à gagner ». Ce fut à nouveau un échec, les États communistes devinrent aussi chauvins que les autres, parfois plus ; le communisme n’étant souvent, comme au Vietnam pendant les deux guerres contre les Français et les Américains, que l’expression du nationalisme.
Ceci nous conduit finalement à la mondialisation actuelle, la troisième, sous la houlette américaine, celle qui est en passe de réussir. En quoi est-elle différente des précédentes ? Il ne suffit pas de dire que le monde s’est rétréci : les transports, internet, etc. On a un peu trop tendance à voir la mondialisation actuelle comme un phénomène essentiellement économique. C’est un phénomène total : économique, mais aussi culturel, linguistique, etc. Le monde évolue vers une homogénéisation : même religion : un vague déisme promu par les sectes pentecôtistes américaines ; même langue : l’anglais ; même culture ou plutôt même absence de culture, et son remplacement par l’utilitaire.
Lorsque le français était la première langue mondiale, mondiale voulait dire européenne. Mais surtout, à l’époque, peu de gens savaient lire et écrire, encore moins une langue étrangère. Le français était une affaire d’élites. Ce qui est frappant dans la mondialisation actuelle est qu’elle transcende les classes sociales (seule chose qui subsiste dans ce nouveau monde en cours d’homogénéisation) : l’anglais est la langue chic que parlent les élites qui dirigent l’Europe et les chefs d’entreprise, la langue des scientifiques, mais c’est aussi la langue du rock et de toute une couche populaire inondée de séries B américaines et de traductions style Harlequin.
Il y a bien sûr des réactions de rejet. Ben Laden en est un exemple. Mais existe-t-il une troisième voie entre Bush et Ben Laden ? Et celle-ci a-t-elle des chances de percer ?
Patrick Kaplanian