Quand Jacques Chirac trahit l’esprit démocratique !

par stephane rossard
vendredi 10 février 2006

En associant la publication des dessins satiriques de Mahomet à de la « provocation », Jacques Chirac porte un coup sérieux à l’esprit démocratique. Non seulement il trahit la tradition intellectuelle française séculaire, marquée du sceau des Lumières, de la Raison et de la Tolérance, mais il se met, aussi, en porte-à-faux avec son opinion publique. Une nouvelle ombre, sur une fin de règne déjà laborieuse.

Il y a un temps, Jacques Chirac dénonçait (avec virulence) le Parti de l’étranger. Depuis, en serait-il devenu le chef, son porte-parole ? Une interpellation probablement choquante dans sa formulation, mais parfaitement fondée au vu de sa condamnation, tout aussi choquante, des « provocations manifestes » face à la vague de violences soulevée dans le monde musulman par la publication en Europe de caricatures du prophète Mahomet. Attaque indirecte qui vise, ne nous y trompons pas, la revue Charlie Hebdo, qui a décidé de publier dans son édition de mercredi les douze caricatures de la discorde.

Jacques Chirac a commis une grave erreur de jugement. En effet, pour lui, publier ces dessins satiriques relèverait donc de la provocation ! Malgré lui, il se fait donc l’avocat de ces forces « fanatiques », au sens où elles détiendraient la vérité exclusive, indiscutable, dont l’objectif est de faire taire toute voix discordante, d’imposer sa propre loi, celle d’un dogme religieux en l’occurrence, foulant par là-même les libertés fondamentales inhérentes à toute démocratie. Faut-il lui rappeler que notre constitution garantit la liberté d’expression ? Faut-il rappeler à Jacques Chirac, par là-même, qu’il en est le premier garant en tant que chef d’État ?

Mais, au fait, qui a, le premier, provoqué ? À écouter Jacques Chirac, ce serait donc la presse ! La pesse danoise, par qui le « scandale » est arrivé ; puis européenne, qui a pris le relais. En assimilant une publication de dessins satiriques à de la provocation, Jacques Chirac se désolidarise des médias qui ont réagi vite, d’une même voix et avec fermeté, pour réaffirmer leurs droits et libertés dans un régime démocratique normalement constitué.

Un véritable coup de poignard dans le dos, porté au camp des démocrates. Par sa déclaration, il donne raison aux représentants de l’obscurantisme. Il légitime, implicitement, ainsi, la violence de ces derniers jours. Bref, ce sont les démocrates qui ont péché, et non les ’’fanatiques’’ et les leaders politiques qui ont instrumentalisé cette colère.

Une fois de plus, à ménager le chou et la chèvre, Jacques Chirac se retrouve face à ses incohérences, à ses contradictions, une des seules constantes de son comportement politique. En effet, il condamne à la fois les violences et les publications ! C’est à y perdre son latin ! Un grand écart douloureux ! Une confusion embarrassante, car elle brouille l’image de la France. Donc, elle l’affaiblit ! Jacques Chirac est coutumier du fait. Mais on ne s’y habitue toujours pas, en amoureux de la France !

Par sa déclaration, on peut se demander si Jacques Chirac est digne, avec tout le respect que je lui dois (et Dieu sait que j’ai du mal, étant donné l’irrespect dont il témoigne pour la France et ses concitoyens depuis son arrivée à l’Élysée), d’être le représentant de la France, pays de la Raison, de la Tolérance et des Lumières ? En l’entendant, Diderot, Voltaire, pour n’en citer que deux, ont dû se retourner dans leur tombe !

Jacques Chirac s’inscrit « totalement » en faux avec son opinion publique. En effet, selon un sondage conduit par le site Expression Publique, 66% des internautes estiment que les journaux français ont eu raison de publier les caricatures de Mahomet, estimant qu’ils ont rempli leur rôle en permettant au public de se faire une opinion.

47% des internautes affirment même que " rien ne doit limiter la liberté d’expression, quelle que soit la religion caricaturée" ! Toujours selon ce même sondage, 71% estiment que les gouvernements européens n’ont pas à formuler quelque regret que ce soit, tandis que 51% % jugent la prise de position du ministère des Affaires étrangères " trop complaisante avec les pays musulmans’’ . Le président objecterait-il que ses concitoyens sont devenus « fous », « provocateurs » voire « racistes » comme certains le laissent scandaleusement croire ? Loin de là, car dans le même temps, faisant preuve de discernement, 40% des internautes estiment qu’il faut aussi prendre garde à ne pas choquer les convictions intimes.

Un sujet de plus, donc, sur lequel Jacques Chirac est nettement désavoué, après le référendum sur le traité européen organisé en mai 2005. Sans compter les défaites électorales en rafale de son propre camp politique depuis sa réélection en 2002 à la tête de l’État. Autant d’avertissements qui lui sont adressés, défiant la logique politique, qu’il le veuille ou non, et dont il se prévaut pour justifier sa présence à l’Élysée. Mais Jacques Chirac a préféré faire la sourde oreille, décidé qu’il est, coûte que coûte, à aller jusqu’au bout de son mandat.

Par ailleurs, dans son article « La contagion de la démocratie », publié dans l’édition du 9 février du quotidien Le Monde, Thomas Ferenczi écrit : « Le commissaire européen à la justice, la liberté et la sécurité, Franco Frattini, a eu raison de rappeler, au nom de la Commission, que "la confrontation entre opinions différentes, même âpre et irrévérencieuse" nourrit "la polémique politique libre", et que cette pratique "remplace les armes et la violence par les idées et les mots" ». Avant d’ajouter : « Ils [les manifestants en colère] ont choisi de répondre par des actes de brutalité aux attaques portées par la voie de presse contre leur religion. Une fois de plus, ils ont perdu l’occasion de montrer que l’islam peut coexister avec la démocratie ».

Quant à Leïla Sahid, déléguée générale de la Palestine auprès de l’Union européenne, elle a eu des mots forts, en regrettant l’incapacité du monde musulman à « délégitimer Ben Laden ».

Voilà qui montre que Jacques Chirac s’est bien trompé de camp. Et par là-même, cela montre sa mauvaise appréciation de la réalité, de la menace, même, qui pèse sur les démocraties, et du mal-être du monde islamique d’aujourd’hui, à l’identité qui se cherche entre modernité et tradition.

C’est bien la première fois dans l’histoire des démocraties occidentales depuis la Seconde Guerre mondiale qu’un Chef d’État, en tous un cas un leader politique exerçant les plus hautes responsabilités, se maintient de la sorte au pouvoir, alors que le divorce est consommé avec ses concitoyens, qu’il n’est plus écouté, plus même entendu !

Le pouvoir, c’est la comme vieillesse, un radeau, quand ce qui fait toute sa grandeur, le sens de l’intérêt supérieur, de la Nation, est perdu de vue par celui qu’il l’exerce. Tel est le cas. Cependant, à la différence de la vieillesse, dans laquelle nous sommes seuls à « sombrer », en étant chef de l’État, Jacques Chirac entraîne dans sa chute tout un pays au naufrage ! Merci !


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