Questions au journal du Monde au sujet de ses articles sur les Gaulois
par Emile Mourey
lundi 27 juillet 2009
Six articles annoncés sur les Gaulois. Quatre parus. Après mon article du 24 juillet qui réagissait au « druide philosophe », je propose ici ma réaction constructive aux deux articles suivants intitulés « Le sang et le vin » et « Le mystère des pierres nues ».
Soyons précis ! Dans les textes romains, les Gaulois sont les habitants de la Gaule, c’est-à-dire d’un territoire bien délimité par les mers et le Rhin qui le sépare de la Germanie.
Quant au mot Celte, il apparaît pour la première fois, au VI ème siècle av. J.C., dans un très court écrit d’Hécatée de Millet. Évoquant notre région "barbare", l’historien et géographe grec ne cite que trois villes : Narbonne, Marseille qu’il situe en Ligurie et, au-delà de Marseille, Nuerax, habitée par les Celtes. Mon opinion est que lorsqu’ils sont cités ici pour la première fois, les Celtes ne sont que les habitants de Nuerax, alias Bibrax, alias Bibracte que je situe à Mont-Saint-Vincent et non au mont Beuvray. Tout cela, je l’ai expliqué en long et en large dans mes ouvrages et sur mon site internet www.bibracte.com. Selon moi, ce sont les habitants de la cité rayonnante de Nuerax/Bibracte/Mont-Saint-Vincent qui ont étendu aux habitants de tout le continent européen leur nom de Celtes.
Deuxième question : vous séparez d’une façon catégorique l’époque des pierres dressées de celle des Celtes, ce qui vous conduit à réfuter tout rapport qui pourrait exister entre celles-ci et les croyances des druides. Je suis beaucoup moins affirmatif que vous l’êtes.
Bien que je n’ai pas fait une étude approfondie de la question, je constate une assez forte présence de pierres dressées en Bourgogne, notamment sur les itinéraires antiques menant à Mont-Saint-Vincent où je situe Bibracte. Plutôt qu’une rupture, je préfère voir dans cette région une longue évolution comparable à celle que nous révèle la Bible en pays de Canaan. Je cite : A la première lueur du jour, Jacob se leva. Il prit la pierre contre laquelle il avait reposé et il la dressa pour monument. Il versa de l’huile sur son sommet et il appela le lieu : “Bethel”, ce qui signifie “la maison de Dieu” (Gn 28, 16-19). Ainsi donc, Jacob, le père d’Israël, érigeait des menhirs ; Josué en fit dresser un autre à l’Eternel sous un chêne, et je pourrais citer d’autres exemples, notamment un alignement commémoratif de douze pierres probablement circulaire (Jos 4, 8) . Josué dressa également ce qu’il faut bien appeler des dolmens. Tu bâtiras l’autel de l’Eternel en pierres brutes sur lesquelles tu n’auras pas brandi le fer (il s’agit donc bien de pierres ni équarries ni taillées par le burin et le marteau) et dessus, tu offriras des holocaustes à Yahvé, ton Dieu (Jos 8, 30-32). Josué, c’est 1400 av. J.C. ; Jacob, c’est 2 000 ans av.J.C. ; et Abraham qui, lui aussi, dressait des autels, c’est 2100 av. J.C.. Il n’y a pas concordance avec vos datations puisque vous situez chez nous la fin des pierres dressées vers l’an 2000, au moment où la Bible les voit apparaître en pays de Canaan. Cela demande des vérifications et des explications.
Légendes de la pierre au diable, de la pierre branlante, et autres légendes, le riche patrimoine de la Bourgogne témoigne de la persistance des croyances attachées aux pierres dressées jusqu’au moment où l’Eglise décida de les extirper : Au Vème siècle, le concile d’Arles prescrivait ceci : « Si sur le territoire d’un évêque, des infidèles allument des torches ou vénèrent des arbres, des fontaines ou des pierres et que l’évêque néglige d’extirper ces superstitions, qu’il sache bien qu’il est coupable. Quant à l’organisateur de ces pratiques, si, averti, il ne veut pas se corriger, qu’il soit privé de la communion » (F. Niel, la civilisation des mégalithes, page 61).
Troisième question : en fait, vous ne voulez pas voir les liens et les courants qui se sont établis depuis les temps les plus anciens entre le pays de Canaan et notre vieux pays.
Dans votre article sur le sang et le vin, vous écrivez que Vin et amphores remplissaient sans doute des rôles symboliques ou religieux et particuliers à "nos ancêtres les Gaulois". En outre, vous précisez qu’il s’agissait de vin rouge, voire pourpre.
Comment pouvez-vous hésiter à ne pas voir dans ce vin rouge-sang le breuvage sacré des druides ? La fameuse potion magique ! Breuvage dont l’usage était manifestement contrôlé par les druides, distribué au peuple seulement dans des circonstances particulières, lors des cérémonies, lors des banquets sacrés ou avant les batailles. Les druides avaient probablement leurs vignes réservées et en interdisaient la culture au peuple de la même façon qu’il se réservait la connaissance de l’écriture. Il en était ainsi aux Etats-Unis pendant la prohibition. Seul le curé avait droit à sa vigne pour le vin de messe.
Comment ne pas faire le rapprochement avec le pays des Juifs ? Je cite :
Portant superbement ses vêtements de gloire aux magnifiques ornements,
il montait au saint autel, remplissant le sanctuaire de sa présence.
Les prêtres l’entouraient comme une frondaison de cèdres,
élevant l’offrande du Seigneur...
Il étendait la main sur la coupe sacrée,
procédant à la libation du sang de la grappe.
Puis, le déversant au pied de l’autel,
il faisait monter vers le Très-Haut, la fumée de son parfum (Sir 50, 15).
Comment ne pas faire le rapprochement avec le texte de Ben Sira (vers 190 av.J.C.) ?
Avec le vin, ne fais pas le brave,
Car le vin en a perdu beaucoup...
Car il a été créé pour la gaieté des hommes...
Mais l’ivresse accroît la fureur de l’insensé jusqu’au scandale...
Lors d’un banquet de vin...
Ne dis pas à ton prochain des paroles outrageantes (Sir. 31,25-31).
Oui, les Gaulois ont bien eu un problème avec le vin. On devine le drame ; car les marchands romains n’étaient pas des enfants de chœur. S’infiltrant depuis la Province dans la Gaule celtique, ils préparaient déjà la conquête romaine bien avant l’arrivée de César. Le texte des Commentaires laisse entendre qu’ils se conduisirent vis-à-vis des Gaulois comme d’autres, plus tard, décimèrent les Indiens d’Amérique par l’alcool.
Les vestiges d’amphores romaines retrouvés dans nos fleuves et dans notre sol sont aussi nombreux que la soif de nos ancêtres était grande. La lutte de Vercingétorix et de ses jeunes compagnons face au relâchement des mœurs prend, dans cette perspective, une dimension morale insoupçonnée. On comprend Critognatos rappelant la valeur passée des Gaulois et Litavic qui lance ses troupes contre les marchands romains.
Merci de nous répondre.
Extraits de mes ouvrages