Violence physique et violence morale

par Sylvain Reboul
mercredi 8 février 2006

Dans le débat à propos des caricatures de Mahomet, certains, qui défendent la liberté absolue d’expression, considèrent que ces caricatures ne sont pas violentes dès lors qu’elles n’impliquent aucune agression physique contre les musulmans ; c’est ne pas (vouloir) comprendre que la relation entre souffrance physique et violence morale est inhérente à toute expérience de la violence, et qu’ils n’accepteraient pas eux-mêmes d’être victimes d’une humiliation radicale (qui atteint l’individu dans le sens et la valeur qu’il donne à sa vie)

Contrairement à ceux qui pensent que rien n’est pire que la souffrance physique, et que la violence est nécessairement accompagnée et/ou la conséquence d’une souffrance physique, je tiens à dire que cela est démenti par l’expérience humaine la plus générale : la souffrance physique, même extrême, peut être bien vécue, comme un honneur et non comme une violence, par exemple dans un combat à la loyale (boxe par exemple), qui respecte la dignité de l’adversaire. Elle n’est plus alors ressentie comme une violence, mais comme une épreuve valorisante nécessaire. Comme le plaisir peut être mal vécu, c’est-à-dire violent, dès lors qu’il nous soumet à la dépendance dévalorisante d’un autre ou d’une drogue.

On peut accepter en effet de risquer sa vie pour une humiliation subie insupportable. On peut être tenté par le suicide, dès lors qu’on se sent, à tort ou à raison, rejeté, méprisé et méprisable, et qu’on méprise sa propre vie. On peut ressentir le grand malheur dans le sentiment de la perte de toute reconnaissance de soi (échec amoureux ou professionnel, voir aussi le cas du harcèlement sexuel qui transforme le sujet victime en pur objet du désir d’un autre, et qui est bien reconnu par le droit comme une violence criminelle).

L’amputation d’une partie du corps peut être une nécessité médicale, et n’est plus alors ressentie comme une souffrance morale insupportable, mais elle le devient lorsque cette amputation est le résultat d’une torture. Le viol même, s’il ne laisse aucune trace physique, peut être ressenti comme une souffrance pire que le fait d’avoir été hystérectomié ou estropié à la suite d’un accident de la route dont personne ne peut être tenu pour responsable.

Ainsi, la qualité de la vie et son sens dépendent toujours de la relation positive ou non qu’on entretient avec soi et les autres. La souffrance physique devient insurmontable lorsqu’elle nous réduit à une impuissance toujours humiliante, ce qui fait qu’il vaut parfois mieux mourir que de continuer à ne pas souffrir grâce aux médicaments qui nous réduisent à l’état de légume sans espoir d’en sortir.

Par contre, la souffrance physique peut être source de joie, dès lors qu’elle nous confère un statut positif (ex : la souffrance du sportif, de la femme qui accouche, etc.).

Mourir et prendre le risque de souffrir physiquement pour préserver sa dignité, est-si difficile à comprendre ? La plupart de ceux qui affirment que rien n’est pire que la violence physique en dehors de toute violence morale seraient-ils prêts à se coucher devant quelqu’un qui les insulte pour l’éviter ? Permettez-moi d’en douter, toute l’histoire des hommes montre le contraire, à savoir que la violence physique est bien souvent la réponse à la violence morale pour qui croit, à tort ou à raison, qu’il ne dispose d’aucun autre moyen pour laver l’affront dont il souffre. Il est donc juste de dire qu’il n’y a de violence physique dans les rapports humains que s’il y a violence morale, c’est-à-dire violation du droit à la dignité morale et de l’intégrité psychologique d’une personne.

Beau débat philosophique, qui ouvre une autre perspective sur la violence des caricatures islamophobes et leurs conséquences sur des croyants musulmans, qui n’ont rien à voir avec le terrorisme islamique.

De la violence


Lire l'article complet, et les commentaires