Sarkozy le communiquant ou l’art du tribun

par manu
mercredi 14 mars 2007

Jeudi 8 mars, les bras ouvert, les mains ancrées sur le pupitre, Nicolas Sarkozy est prêt pour la « leçon de choses ». Formé à l’école de la communication politique, Nicolas a su dompter son témpérament courroucé... Comme l’a très bien montré l’émission Arrêt sur image, notre tribun est descendu de quelques décibels, a adouci son intonation, espacé ses mots par des silences complices, et avec tout l’entrain qui le caractérise nous entraîne sur le plateau dans un tourbillon de sourires chics et de phrases chocs.

Première leçon, à la photo où il est assis discutant avec F. Bayrou et au rappel d’Arlette Chabot sur le commentaire de Bayrou sur cette photo où il précisait

qu’il ne s’était jamais senti proche de Sarkozy et n’avait pas d’affinités avec lui, Nicolas avec un sourire précise mielleusement qu’il apprécie l’homme et que François est un ami. Traduction : si votre ennemi insiste sur la différence qu’il a vis-à-vis de vous, le meilleur moyen de le faire passer pour un menteur est de dire que vous en êtes l’ami en l’appelant par son prénom avec un air nostalgique.

Deuxième leçon, prendre un point de vue en démontrant l’inconvénient de ce dernier chez l’autre... et l’avantage de ce même point chez vous... démonstration par l’exemple... un gouvernement à la Bayrou constitué de différentes sensibilités..."Seule l’alternance est garante de la réussite d’un projet de société (de l’UMP chiraquienne à l’UMP sarkzoyste ?), mettre des personnes aux idées opposées ne peut amener qu’à l’immobilisme, car l’on sait très bien que le non l’emporte toujours sur le oui et que dans ces conditions aucun projet ne peut avancer..."

Et d’annoncer quelques instants après : "Je ne suis pas sectaire et renfermé sur notre seul camp, il est normal et évident que j’ouvrirai mon gouvernement à toute personne ne faisant pas partie de notre famille politique mais qui voudra oeuvrer pour le bien de la France..." et ça passe comme une lettre à la poste... l’ouverture chez Bayrou ne peut pas marcher, l’ouverture chez moi fonctionnera !

Toute l’habileté de Sarkozy ici est de transformer le caractère "humain" de la présidentielle chez l’autre (l’élection présidentielle étant la rencontre d’un peuple avec un homme et avec les idées qu’il incarne) en élection à caractère de parti (législatives)... Quand Bayrou parle de conviction, de volonté et de vision qu’il veut concrétiser par un gouvernement constitué de personnes quelle que soit leur origine , notre tribun nous fait avaler qu’une personne issue d’une famille politique vient avec ce même parti et avec le programme de ce dernier. Or il n’a jamais été question pour M. Bayrou d’accepter que chaque personne vienne avec son programme et avec ses décisions, mais s’engage sur le programme et vienne pour le mettre en oeuvre, sinon pas la peine de se déplacer, et c’est logique ! Quand vous postulez pour un emploi, acceptez-vous l’emploi par rapport à une mission qu’on vous propose, un objectif de l’entreprise que vous partagez dans les règles de fonctionnement qui seront celles de votre poste... ou alors entrez-vous dans l’entreprise avec votre plan, pour forcer l’entreprise à se mettre en accord avec votre vision, pour que celle-ci mette en oeuvre votre politique sous peine de bloquer toute décision dans celle ci ? Non : pourquoi en serait-il autrement dans le gouvernement ?

Par contre l’ouverture dans un gouvernement Sarkozy, limité de plus à quinze ministres, serait de quelle sorte, sachant qu’il faut placer toute l’instance dirigeante de Fillon à X. Bertrand en passant par Douste-Blazy : que resterait-il pour quelqu’un de l’extérieur... un poste... pour un centriste qui est naturellement UMP (cf. les propos de S. Veil pour qui le centre est au coeur de l’UMP)... Quelle serait la lattitude de cette personne si ce n’est être placée dans la vitrine du magasin pendant que les décisions sont prises à l’étage ?! Comme cela, à toute remarque sur le monolithisme de l’Etat UMP, on nous montrera le mannequin dans la vitrine estampillée "autre parti"...

Troisième leçon, faire des propositions aptes à satisfaire tout le monde en en masquant les contradictions par des cas de "détresse humaine" et en intercalant d’autres propositions n’ayant aucun trait commun. De l’exterieur cela se traduit par un doux chant mélodieux ou résonnent les mots pouvoir d’achat, gagner plus, être propriétaire, allocation premier enfant, baisse des impôts ; mais en s’ébrouant un peu pour ne pas se laisser endormir par cette mélodie, on s’apercoit que la mélodie n’est pas si symphonique que ça et que les notes sont mêmes discordantes.

Exemple : notre orateur, s’il n’a pas insisté trop là-dessus pour que l’évidence ne surgisse pas, nous a longuement auparavant expliqué que le nouveau contrat universel était un bienfait car le fait d’être plus flexible (précaire ?) permettrait aux entreprises d’embaucher plus sereinement sans être freinées par l’investissement à long terme d’un CDI dans les conditions du droit du travail actuel (M. Sarkozy avait d’ailleurs bien précisé au Medef que ce contrat s’inspirait en partie du CNE). Pour que cette mesure ne soit pas trop "pro-entreprises", le candidat avance l’idée d’un "capital formation" qui permettrait à un ouvrier qui perdrait son emploi d’avoir un droit préférentiel et immédiat à une reconversion lui ouvrant grandes les portes d’un nouvel emploi avec un niveau de qualification supérieur. Déjà ici l’astuce consiste à mettre en avant un point censé être positif (le capital formation pour un retour rapide à l’embauche) alors que l’efficacité de cet avantage sur l’emploi n’est plus d’actualité depuis longtemps (cf. les bacs +5 travaillant à Mc Do) et qu’elle n’est pas chosie mais imposée de fait par une des procédures de licenciement "libérées".

La contradiction qui passe inaperçue est la proposition visant à déduire de l’impôt sur les revenus les intérêts des emprunts pour la construction du logement principal.

D’un côté on flexibilise le travail et donc on encourage la mobilité géographique (il est de plus en plus rare de retrouver un poste, surtout à qualification accrue après une formation, proche de chez soi) et de l’autre on encourage les gens à construire ! Comment vont faire les milliers de famille qui viendront de construire leur maison avec un endettement sur trente ans et qui se verront dans l’obligation de partir car ils n’auront plus été indispensables pour leur entreprise au bout de deux, quatre, ou cinq ans ?

Il aurait été plus logique d’encourager des mesures incitatives au logement locatif (aides et garanties aux propriétaires, remboursement des déménagements, procédures aidées pour l’inscription dans de nouvelles écoles...) puisqu’elles seraient la conséquence de la mobilité professionnelle induite par le nouveau contrat... mais M. Sarkozy n’en est pas à un contresens près.

Quatrième et dernière leçon, car sinon on y serait encore demain, l’aplomb nécessaire pour faire des propositions qui sont le contraire de votre pratique quotidienne. Notre communiquant nous explique qu’il est contre la politique de copinage, que l’Etat doit être impartial, les pouvoirs politiques et judiciaires bien séparés, que les nomminations ne doivent pas être imposées mais décidées démocratiquement... alors que quelques heures auparavant un événement a secoué la magistrature : le juge d’instruction Philippe Courroye, proche de Sarkozy, a été nommé au poste de procureur de la République de Nanterre (fief du même Sarkozy), CONTRE l’avis négatif du Conseil supérieur de la magistrature... si certains peuvent arguer du fait que notre tribun n’y est pour rien (sic), comment expliqueraient-ils le scandale du quartier de la Défense qu’expose de façon détaillée Nicolas Delaunay sur son blog (http://nicolasdelaunay.blog.20minutes.fr) ..extrait : "Le plus important quartier d’affaires de France était jusqu’à présent placé sous le pilotage d’un Etablissement public d’aménagement, l’Epad (établissement public d’aménagement de la Défense) au sein duquel siégeaient des représentants de l’Etat, de la région, du département et des collectivités locales concernées.

Avec cette nouvelle loi, adoptée en un temps record s’agissant d’une initiative parlementaire, ce qui est rarissime, l’Epad est purement et simplement supprimé et remplacé par un établissement public où ne siègeront plus que le Conseil général des Hauts-de-Seine et les communes UMP de Puteaux et Courbevoie. Autant dire que le département du ministre-candidat aura désormais les mains libres sur cette formidable mine d’or que constitue la Défense. Une modification législative particulièrement bienvenue pour Nicolas Sarkozy, alors que le gouvernement a récemment autorisé un programme de densification de ce quartier avec la construction de 400 000 mètres carrés de bureaux supplémentaires."

Voilà tout l’art du tribun, vous faire avaler avec le sourire des propositions contradictoires, vous faire applaudir des considérations démocratiques et citoyennes qui s’arrêtent à la porte du "palais", faire que vous vous sentez écouté et touché parce que votre espoir a été "entendu".

Hormis toutes les qualités que l’on peut lui trouver dans l’exercice politique, j’essaye de ne jamais oublier que notre grand pourfendeur est avant tout un homme, et qu’un homme se juge plus à ses actions qu’à ses paroles, et que jusqu’à présent, les paroles ont couvert tout le spectre des intentions, du noir au blanc... de la France arrogante face à l’Amérique sur le dossier de l’Irak, à la France fière, indépendante et responsable qui a agi sur ce dossier avec intelligence et fierté... et que dans les actes, après cinq ans de gouvernement dont les postes les plus important juste après celui de premier ministre (Budget et Intérieur) M. Sarkzoy ose nous proposer une "rupture", sauf à dire que de la place Beauvau à l’Elysée la rupture est immense.

Je préfère un candidat qui a décidé de ne plus suivre une ligne directrice qui ne faisait que mettre les Francais sur la paille, en disant dans la fosse aux lions que "quand on pense tous la même chose , on ne pense plus rien" , en s’opposant ouvertement au gouvernement (vote de la censure), en refusant trois fois un poste ministeriel car la direction n’était plus conforme à sa vision de la démocratie et de l’équité et de l’avenir, et qui contre vents et marées, et réduit presque à l’isolement, continue à marteler ses convictions, et qui reparti d’en bas ose aborder, dans un programme établi depuis des mois, des sujets qui fâchent, et qui assume le fait de ne pas promettre de raser gratis demain... Entre le rebelle qui, offusqué de la conduite de l’Etat , quitte l’or des palais pour revenir seul chez lui, réfléchir, reconstruire un projet avec une équipe réduite au minimum pour revenir défendre SA france, libre et démocratique, responsable et avisée... et l’homme clé d’un gouvernement qui n’a fait que creuser les inégalités trop occupé entre Neuilly et le Medef et qui subitement en début d’année découvre Jaurès et Blum, mon choix est vite fait.

Cdlt


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