Filer un mauvais coton

par C’est Nabum
jeudi 27 février 2025

 

Il suffit de tirer le fil.

 

S'atteler à vous narrer le cheminement de cette belle expression ne sera pas coton. Il faut tout d'abord rembobiner la bobine afin de retrouver l'origine de cette matière qui fit couler tant de larmes et de sang. Contrairement aux idées reçues, le coton n'apparaît pas en Europe après la « découverte » de l'Amérique.

La matière était connue auparavant sous le terme de « Calicot », mot qui lui aussi prit une tout autre direction depuis qu'il arpente les rues en se faisant banderole dans les manifestations. À l'origine, il provient d'Inde puisqu'il doit son patronyme à la ville de Calicut qui se nomme aujourd'hui Kozhikode dans la province du Kerala.

Notre calicot de l'époque était un mauvais coton grossier qui avait une certaine propension à l'usure en produisant des bouloches. C'était ainsi un clin d'œil à ses origines puisqu'il était censé célébré Kali, la déesse Indienne de la préservation, de la transformation et de la destruction. Celui qui la vénère échappe à la peur de la déchéance tandis que dans le cas contraire, elle symbolise le pouvoir destructeur du temps.

Le calicot fit une entrée fracassante dans l'histoire de France avec le bandit Mandrin, célébré par la complainte éponyme. C'est la ruine de l'entreprise familiale, dans le Dauphiné, qui pousse Mandrin vers la contrebande du tabac et du calicot en 1753. Devenu rapidement le meneur de la fameuse bande de contrebandiers, il lance en 1754 six campagnes, au cours desquelles il revend dans le sud-est de la France de la marchandise prohibée, achetée en Suisse ou dans le duché de Savoie. Sa sixième campagne se solde par un massacre à Autun, auquel il échappe de justesse en se réfugiant en Savoie, en décembre 1754. C'est au prix de la trahison de membres de sa bande que les autorités françaises pourront enfin attraper Mandrin au printemps 1755, pour le traduire en justice. Il fut condamné à mort et roué vif le 26 mai 1755.

Voilà le premier individu qui eut mérité de s'entendre dire qu'il filait un mauvais coton. Sans doute qu'il avait les jambes de cette même matière lorsqu'il montait sur l'échafaud et qu'il était blanc comme un linge, mais ce serait aller bien vite en besogne car la roue du temps n'était pas allée aussi vite…

En cette époque, dans les filatures et le commerce du coton, on disait qu'un tissu qui boulochait qu'il jetait du coton. Il manifestait ainsi les prémices d'une usure qui s’achèverait par une déchirure ou un effilochage désastreux. L'expression fut progressivement appliquée aux gens qui avaient de gros ennuis de santé. On disait d'eux qu'ils jetaient un mauvais coton. Puis la santé ne fut pas le seul domaine d'usage puisque les ennuis financiers entrèrent dans la danse.

Puis le monde évoluant, c'est au XIXe siècle que son usage se généralisa sous la forme actuelle : « Filer un mauvais coton » alors que les matières synthétiques allaient mettre à mal l'industrie textile du pays. Le paradoxe apparaît clairement d'autant plus que bien vite, plus personne ne filait quoique ce soit.

D'autres filaient un bien plus mauvais coton de l'autre côté de l'Atlantique. Toute cette main d'œuvre servile qui mettait en péril son existence dans les champs de coton. J'espère que vous penserez à ces malheureux quand vous userez de cette formule. Nous sommes bien loin de la douceur de cette merveilleuse matière qu'il serait bon de remettre à l'ordre du jour au détriment des textiles issus de l'industrie chimique.

Tant qu'à faire, tournez-vous également vers le lin et le chanvre, textiles naturels d'un confort sans pareil. Si nous ne retournons pas vers plus de modération dans le domaine de la mode, c'est notre pays qui filera un mauvais coton.


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