La nuit du castor

par C’est Nabum
samedi 24 août 2013

Le Bonimenteur émerveillé ! 

Comment vous parler de la magie de ces instants ?

Avant d'évoquer sur la pointe des pieds ce moment magique, que ceux qui se refusent à abandonner leur téléphone portable, qui ne peuvent se passer de leur chère musique, qui parlent fort ou qui ont perdu l'habitude de s'émerveiller, passent leur chemin. Il en va de même pour ceux qui voudraient traîner de force des adolescents qui ne se sentent pas concernés, des jeunes enfants qui ne tiendront pas la distance ou des amis à qui la seule idée de nature donne des démangeaisons. Ici, seuls les amoureux de la rivière sont conviés !

Tout a commencé il y a bien longtemps, un message envoyé sur la toile, une recommandation de la présidente du Liger club de Sancerre. Vous devriez faire un affût aux castors avec l'ami Yvan ! L'idée était séduisante, la magie de ce rongeur telle que je savais pouvoir toucher mes amis. Hélas, Yvan n'est pas homme à lire ses mails, il s'en fallut de peu que la belle promesse tombe à l'eau ….

Je relançai ce diable d'homme par une inscription en bonne et due forme au chalet de Loire Nature Évasion. Date était prise avec l'une de ses collaboratrices. Le lendemain, un appel téléphonique, à moins que ce fût un interrogatoire en règle, me mettait en relation avec Yvan en personne. Il voulait savoir qui nous étions, nos âges, nos motivations, nos parcours respectifs, notre lien à la Loire ou à la nature.

Pour surprenante que semblait cette inquisition téléphonique, elle portait les prémices d'une communion à venir. S'enquérir pour ne pas se fourvoyer. Mon propos liminaire reprend les inquiétudes du bonhomme et son envie de ne pas galvauder un moment rare, de le vivre pleinement avec des gens qui sont venus pour ces instants magiques. Il met des garde-fous, il pose des exigences parce que sa nuit aux castors peut se transformer en farce pendable.

Ainsi nous étions avertis. Le silence serait d'or, l'observation et l'émerveillement d'argent. Nous allions embarquer pour une expédition qu'il distille au compte-goutte, qu'il n'accorde pas au tout-venant : aux touristes en goguette, aux groupes en virées. Nous étions élus, il fallait être digne de sa confiance ! Je devine quelques sourires narquois, ne soyez pas sceptiques, ce qui allait suivre ne pouvait se briser dans les dérives d'un seul. Tout le groupe devait ressentir au diapason et ce fut le cas …

Nous embarquâmes sur un équipage étrange, un assemblage de trois canoës à couple, embarquant 12 personnes. Le ciel se parait de ses atours de fête, la Loire célébrait ses épousailles avec Lugus, le Dieu des lumières. La rivière flamboyait, elle était d'une beauté à vous couper le souffle. Le grand « catamaran » glissait au fil de l'eau, il nous emportait sans bruit vers une découverte mystérieuse.

La nuit s'approcha, la pleine lune éclairait un paysage qui s'enveloppait de mystère. La Loire devenait réseau capillaire, multipliant à l'envie les îles et les bras. Elle se faisait réseau imbriqué, cache protectrice, envoûtement charmant. Nous allions en silence, écoutant les oiseaux, les grenouilles, les murmures de l'eau. Nous faisions corps avec dame Liger, le cœur battant au rythme d'un élément qui nous dépassait tous.

L'embarcation bruissait encore de nos conversations chuchotées. Il n'était pas encore assez tôt pour croiser la route de nos amis les castors. Yvan évoquait SA rivière : il connaît chaque île, chaque boucle, chaque recoin de son territoire. Il en parle avec cette passion que j'ai retrouvée chez mes amis mariniers. Et cette fois encore, je découvrais une autre Loire, d'autres odeurs, de nouveaux oiseaux, des mouvements de l'eau qui ne sont pas tout à fait les mêmes.

Puis Yvan réclama le silence absolu. Plus de bruit, plus de mouvement. Nous étions figés, à l'écoute d'un monde invisible. Sur ce bras, entourés de hauts arbres, la clarté lunaire n'était plus qu'un vague reflet argenté. Le froid commençait son œuvre, nous devenions proies, entourés de murmures inquiétants, de craquements et de cris. Nous étions désormais intégrés aux pulsations de la rivière.

Soudain nous vîmes notre premier castor. Une tête qui émerge, des mouvements souples, un sillage discret. Nous le suivions, il nous entraînait loin de son refuge avant de disparaître. C'était magique. D'autres vinrent, certains plongèrent à notre approche, d'autres marquèrent quelques colères. Nous en voulions davantage, nous étions subjugués par ces petits rongeurs qui se jouaient de nous … Et puis il y avait la Loire, de plus en plus sombre, de plus en plus envoûtante, de plus en plus sauvage !

Au mi-temps de notre nuit, nous fîmes halte sur une île. Un repas au feu de bois, des chansons et des histoires, des rires et éclats de voix, de bonnes bouteilles et de délicieuses viandes. Un moment différent, festif et chaleureux tout en restant empreint de la sérénité des instants précédents. Nous n'étions ni braillards ni fêtards, nous demeurerions ces observateurs privilégiés, des invités d'un soir à la célébration de la Loire !

Ce moment nous appartient, je n'en dirai pas plus. Nous repartîmes, Yvan était un guide attentif, il perçait les secrets du fleuve, il nous les offrait pour un soir. Un castor nous fit un dernier brin de conduite. Il s'approcha si près qu'on eût dit qu'il nous faisait une haie d'honneur. C'était une interprétation bien présomptueuse. Lorsqu'il fut à quelques centimètres de la tête de notre radeau, il claqua de la queue, arrosant ainsi ces importuns curieux. Il eut la délicatesse d'asperger le plus insupportable de cette belle troupe. Il venait de nous rappeler que nous n'étions tous, ici, que des visiteurs éphémères. Nous allions retrouver le monde des hommes, des merveilles pleins les yeux. Comment faire partager ce moment unique ? Je renonce à y parvenir …

Magiquement sien.

 


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