Voyage au bout de l’envers

par C’est Nabum
jeudi 25 août 2016

Jusqu’aux antipodes !

Voilà, j’y suis ! Je vais changer d’hémisphère, passer un cap symbolique, changer de continent et, pour ce faire,-pas moyen d’y échapper-il m’a fallu accepter, bon gré mal gré, de prendre l’avion. Autant dire que ce n’est pas de gaieté de cœur que je renie mes principes pour avaler des kilomètres par milliers et participer à mon tour à la grande gabegie des transhumances aériennes.

Je maudis l’avion pour l’empreinte qu’il laisse sur notre planète, les bouleversements qu’il engendre tout autant que les désagréments et l’asservissement qu’il impose aux passagers, prisonniers de son inexorable logique. Autant dire que les heures qui s’annoncent seront douloureuses, Je suis sans aucun doute un anachronique notoire, un décalé dans cette société du mouvement et de la vitesse. Je dois porter ma peine les ailes en croix !

Je redoutais mon arrivée à l’aéroport Charles De Gaulle en plein délire sécuritaire. J’en fus pour mes frais. Pas l’ombre d’un képi à l’entrée, pas le plus petit contrôle d’identité. On entre ici comme dans un moulin et dans le contexte actuel, j’avoue même m’en être alarmé. La seule incidence fut le délai absurde et interminable qu’on nous impose pour embarquer à l’autre bout du monde.

« Quatre heures, venez quatre heures avant le décollage sinon votre billet sera vendu une seconde fois et vous resterez le bec dans l’eau ! » Obéissant et quelque peu naïf, je suivis cette recommandation pour découvrir que le transport aérien a aussi ses lenteurs particulières qui peuvent s’assimiler au bouchon routier. Me voilà englué derrière des boutiques honteuses, des zones dédouanées et des tarifs prohibitifs.

Le passage de la douane fut une formalité. L’état d’urgence ne semble pas affermir la vigilance. Aucune fouille, aucun militaire en arme. Le débonnaire est à l’ordre du jour ; un ordre si peu martial que j’en oublie de m’angoisser. Les douze heures d’avion me suffisent largement pour broyer du noir, avoir les jambes en feu malgré une piqûre et chercher vainement le sommeil dans un inconfort spartiate.

Faire la queue, attendre, faire la queue, poiroter, refaire la queue, attendre, toujours attendre. La célérité du moyen de locomotion contraste singulièrement avec tous ses préliminaires. Il y a là un paradoxe qui m’interroge tout en n’affectant guère les passagers prioritaires : les classes affaires qui ont mieux à faire que piétiner et patienter comme les autres. Cette société est décidément à deux vitesses, même quand on voyage dans le même véhicule. Ce doit être une exception de la théorie de la relativité qui a échappé au brave Albert …

Le décollage effectué, il faut bien occuper tout ce monde. L’heure est aux écrans. L’appareil s’offre le luxe de filmer son déplacement sur la piste et une partie de son envol majestueux. Puis, chacun adopte son programme individuel. Le choix est multiple, la diversité sans doute moindre. Le navet est à l’ordre du jour plus sûrement que le chef d’œuvre cinématographique. C’est une excellente façon de nous préparer au repas, qui, d’insipide à quelconque, ne laissera pas de grand souvenir non plus.

L’avion poursuit son inexorable plongée vers le Sud. Les heures s’étirent, les écrans s’éteignent un à un. Les habitués du voyage au long cours dorment. Je vais devoir veiller, moi qui ne cède jamais au sommeil dans un véhicule. Le récit présent va me divertir quelques minutes, je vous en remercie. Il me faudrait en profiter pour corriger le roman sur lequel je travaille en doublette avec une collègue d’écriture. Le bruit permanent des réacteurs tous proches, malgré les bouchons d’oreille, m’en empêche.

La nuit s’annonce, aussi longue que le fut l’attente. Décidément, voyager est un art qui n’est pas donné à tout le monde. Je suis exclu de ce plaisir, je n’ai ni le détachement ni l’insouciance nécessaires pour aborder cette épreuve en toute sérénité. Je vais tuer le temps, tourner en rond, attaché à mon siège, prisonnier de cette carlingue qui relève davantage de la boîte à sardines que du véhicule spacieux.

Encore de longues heures devant moi. Je vais maudire ce trajet. Ma première journée sera gâchée par ce sommeil qui me fuit. Il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur. J’écris en altitude, j’écris d’au-dessus un continent sur lequel je n’ai jamais mis les pieds. Je vole et mes mots glissent sur mon clavier. Je suis porté par la force inexorable de ce monstre mécanique ; les feulements de ses moteurs cadencent mon écriture. J’écris et j’abolis le temps et la distance. J’écris un billet qui, immanquablement, finira par des points de suspension pour aider mon avion à se maintenir en l'air...

Aériennement vôtre.


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