Edwy Plenel, simplement journaliste
par Eric Mainville
mercredi 15 mars 2006
Edwy Plenel, l’ancien directeur de la rédaction du Monde, est avant tout journaliste. C’est ce qu’ont pu constater les habitués d’une librairie parisienne qui l’ont rencontré.
Que ressent celui qui a été au cœur du pouvoir et en a été chassé ? Cette question trotte dans la tête de ceux qui rencontrent Edwy Plenel. L’ancien directeur du Monde a occupé un lieu de pouvoir. Le premier pouvoir, disent les uns, celui de la presse. Un contre-pouvoir, estiment les autres. Toujours est-il qu’aujourd’hui, M. Plenel ne dirige plus chaque jour les réunions de rédaction du Monde. A la suite d’un long processus qu’il retrace dans un livre, Procès, il a quitté la direction du journal, puis a été licencié en novembre 2005.
Il peut donc faire sien un des aphorismes affichés ironiquement dans son bureau : « J’ai décidé de quitter la presse pour faire du journalisme ». Samedi dernier, le journaliste Plenel avait rendez-vous à la librairie La Boucherie (Paris Ve) pour rencontrer des lecteurs. Tous avaient sans doute à l’esprit la fameuse question. C’est donc avec une certaine curiosité que les uns et les autres sont allés à sa rencontre. Mais pas une curiosité malsaine. Car si M. Plenel a perdu sa position sociale, il conserve le prestige né de ce qu’il a accompli pendant 25 ans passés au Monde.
Capacité d’écoute
Au milieu de la librairie, M. Plenel discute avec ses lecteurs. Costume noir, chemise sombre. Sa moustache noire (nietzschéenne ?), ses yeux qui sourient, aident à créer le contact. M. Plenel parle beaucoup, d’une voix aiguë, insistante, presque têtue. Mais il écoute aussi. Il sait écouter. C’est même une de ses qualités professionnelles. Une journaliste m’avait raconté qu’elle avait eu l’occasion de l’interviewer. Avec l’arrière-pensée de lui soutirer quelques informations. « Et à la fin de l’entretien je me suis rendue compte que c’est lui qui m’avait fait parler, sans rien me dire. C’est une vraie éponge. » Cette capacité d’écoute et d’empathie, M. Plenel la confirme : « Le journaliste doit savoir créer un rapport avec ses informateurs. Mais un rapport qui reste distant. Généralement, ils veulent que ce soit donnant donnant. On ne doit pas l’accepter : il faut éduquer ses informateurs. »
Plenel achète Le Monde
Quelqu’un lui pose ces questions : « Aujourd’hui, est-ce que vous achetez Le Monde ? Ou bien êtes-vous abonné ? Et qu’éprouvez-vous quand vous le lisez ? » Sa réponse : « J’achète Le Monde. Et je le lis avec un regard professionnel. Je suis attentif à ce qu’il contient. Et aussi à ce qu’il ne contient pas. Ce dont il ne parle pas et dont il faudrait parler. » Comme exemple de ce dont le Monde n’a pas parlé, il évoque la nomination d’Harry Roselmack, journaliste antillais engagé par TF1. Cette nomination a été annoncée, avant que la chaîne ne le révèle, par Nicolas Sarkozy, informé sans doute par son ami Martin Bouygue (patron de TF1). Ce faisant, il espérait séduire les habitants des Antillais où il devait se déplacer. Or, Le Monde n’a pas parlé de ce « détournement » d’une bonne nouvelle à des fins personnelles. Le Monde, selon M. Plenel, n’a pas plus évoqué les liens entre un des directeurs de la rédaction et une société impliquée dans l’affaire de la fusion Suez-GDF.
Concernant la nouvelle formule du Monde (c’est-à-dire le Monde de l’après Plenel), il affirme : « Le journal est moins proche de l’événement. Il sort tous les jours mais ce n’est plus un quotidien. C’est un quotidien avec un rythme de magazine. Il n’a plus la même réactivité, la même prise de risque. »
Risque
Le risque. Un mot qu’aime M. Plenel. Risquer. Jouer. Le journaliste est-il un joueur ? M. Plenel répond dans Procès en citant un autre proverbe épinglé dans son bureau au Monde : « La manchette, c’est comme le poker. Faut pas abattre ses cartes trop tôt. » Pourquoi le risque ? « Parce que l’important, c’est le moment où une information est révélée. Si, avant la guerre d’Irak, un journal américain avait mis en doute l’existence d’armes de destruction massive, cela aurait eu une autre signification que de le dire aujourd’hui. » Ajoutons un autre aphorisme : « Une information, c’est quelque chose que quelqu’un quelque part veut tenir secret. Tout le reste est de la publicité. » Edwy Plenel reste attaché à cette image, presque à ce mythe, du journaliste, seul, (seul contre tous ? ou seul comme Franz Kafka, à qui il doit le titre de son Procès ?) qui « sort » l’information que certains voudraient taire.
On le comprend bien, la mission qu’il assigne au journaliste est politique. Il déplore la dépolitisation de la société. Laquelle se traduit, notamment, par l’impossibilité du débat. « Le débat a laissé place à l’invective et à la violence. » Autre symptôme de ce qu’il désigne comme une dépolitisation : l’attaque ad hominem. « Dans la mise en cause dont j’ai fait l’objet à la parution de La Face cachée du Monde, livre qui me mettait en cause personnellement, on me reprochait moins ce que j’avais fait que ce que j’étais. » Dans Procès (p. 91) il écrit : « Si la curiosité pour les individus est la paresse du débat d’idée, les attaques individuelles en sont la dégénérescence. Nul souhait de discuter avec l’adversaire, mais celui de le voir disparaître. »
Peur
Un des corollaires de la dépolitisation est l’instrumentalisation des peurs. Plenel désigne évidemment la politique de Bush. Mais aussi la stratégie de Sarkozy, telle qu’elle est en train de se dessiner. Edwy Plenel nous confie qu’il a en projet un livre au sujet de la France qui a peur. Un autre projet, beaucoup plus difficile à réaliser, celui-là : créer un journal. Edwy Plenel reconnaît : « Pour créer un journal, il faut beaucoup, beaucoup d’argent. » Après cette discussion, il a dédicacé des exemplaires de son livre. Sur le mien, il a écrit : « A Eric, cette explication, cette inquiétude, cette espérance. » Retenons cette espérance.