Le Donald, la France et l’ouvre-boîte
par Alexandre Gerbi
mercredi 26 février 2025
Particulièrement comique ce qui se passe en ce moment. Une France politiquement paralysée, en totale perdition, menacée d’implosion, voit se déployer un spectacle imbitable : celui du Donald qui agit tous azimuts, sulfateuse montée sur mitrailleuse, mèche d’or au vent. Avec Macron, serpillière particulièrement spongieuse le 24 février à Washington, lui léchant les bottes. De leur côté, les Français, réduits à un ectoplasme de peuple qui ne sait même plus qui il est, la cervelle farcie d’inepties politiques, de mensonges historiques, de certitudes absurdes, de droite comme de gauche, ne comprennent rien au phénomène Trump. Erreur 404. Douche froide surpuissante pour peuple racrapoté. Si seulement la bêtise pouvait partir comme la crasse…
Les baffes dans la gueule qu’inflige Trump à la France, ou plutôt à sa pitoyable direction politique, se multiplient. L’une des plus belles gifles est sans doute le rappel d’un des piliers fondamentaux de la politique avec un grand P, totalement oubliée des Français : l’importance de la question territoriale.
Territoire ? Connais pas !
Les Français sont un peuple atypique : ils se flattent d’avoir fait bon marché de l’espace géographique, dans des proportions vertigineuses. Et de tout ce qui va, presque toujours, avec : les ressources diverses (pétrole, gaz, bois, minerais, eau, agriculture, etc.), et bien sûr la démographie. Bref, la puissance. Le magicien Charles de Gaulle a réussi à faire avaler à son vieux peuple cette énormité : un pays peut être tout aussi fort, et même plus fort (défense de rire), en larguant 95 % de son territoire et la moitié de sa population…
Bien sûr, le finaud De Gaulle savait que par le biais du néocolonialisme, il pourrait continuer d’exploiter à son profit les territoires d’Afrique qu’il tenait dans sa main. Tandis que, « en même temps » comme dirait l’autre, les pseudo-indépendances le dispenseraient désormais d’y investir (écoles, hôpitaux, routes, chemin de fer, (aéro)ports, ponts, etc.).
De la sorte, doublement gagnant au plan financier, le général-président pourrait proposer à ce qui restait de la France, réduite à la métropole, c’est-à-dire à sa partie la plus riche, l’enivrant tourbillon de la société de consommation. La civilisation de la machine à laver, de la télévision et des yéyés imités, importés des Etats-Unis, en lieu et place de la grande aventure de l’Outre-Mer africain. Le choix d’un vieillard s’enfonçant dans la nuit froide et morne. Le choix étriqué et mortifère d’un peuple sans Idéal. Ce qu’expliquèrent métaphoriquement Blondin et Verneuil dans Un singe en hiver, ou Godard dans Le Petit Soldat et Pierrot le Fou…
Ainsi dorlotés, ballottés par une histoire de fous, les Français avalèrent voluptueusement la pilule.
Le bazardage des territoires d’Afrique et des départements d’Algérie, présenté comme le triomphe de la liberté, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, s’inscrivait indiscutablement dans le sens de l’Histoire. Tous les empires, cher ami, ne se sont-ils pas effondrés ? CQFD. Certes. A part la Chine. A part les Etats-Unis. A part la Russie (malgré le naufrage de l’URSS). A part le Brésil. A part Albion, dont le roi demeure aussi celui de ses grandes colonies de peuplement, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, indéfectiblement unies à l’Angleterre chaque fois que nécessaire.
Ces divers empires, dûment maintenus, dominent toujours, peu ou prou, le monde.
Mais à part ça, incontestablement, tous les empires se sont effondrés. Chaque Français, instruit ou pas, vous le dira. Sûr et fier de son fait.
Les Africains voulaient que la France reste
Hypnotisés par De Gaulle, les Français avaient-ils conscience que ces indépendances avaient été imposées contre leur gré aux indigènes, citoyens de l’Union française depuis 1946, et parfois Français de plein droit comme à Dakar ou Saint-Louis ? Et que ces populations diverses, si elles avaient eu le choix, auraient pour la plupart préféré que la France reste avec elles ? Si les Français le surent, on s’employa à les en dissuader.
Reste que, dans les faits, en Afrique noire, les populations ne furent pas consultées sur la question de l’indépendance. Elles en furent même expressément dépossédées, par le truchement de la très scélérate loi 60-525. Votée au prix d’une quadruple violation de la Constitution selon la volonté de l’impeccable républicain et démocrate De Gaulle. Précisément parce qu’il savait que la plupart des Africains ne voulaient pas se séparer de la France. Il fallait donc les empêcher de voter. Tandis qu’en Algérie, le référendum d’autodétermination fut organisé sous la terreur du FLN avec l’appui de l’Elysée, sous l’œil d’une armée française purgée et désormais obéissante. Avec ce résultat édifiant : 99,72 % de OUI à l’indépendance en 1962…
A vrai dire, dans cette affaire, la démocratie n’avait plus beaucoup d’importance. Le Général savait tout mieux que tout le monde. Beaucoup le pensent encore aujourd’hui. Ils le proclament tous les quatre matins avec des airs bouffis. C’était lui qui décidait. Les populations n’avaient par conséquent pas leur mot à dire. Au reste, le communiste Maurice Thorez lui-même en était d’accord, qui s’était indigné qu’on consultât les Africains sur la question de la nouvelle Constitution le 28 septembre 1958. D’où l’utilité de la loi 60-525 précédemment citée qui, deux ans plus tard, sans faire trop de vagues, déposséda les « Nègres » du fameux droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Droit pourtant invoqué en permanence pour les basculer dans la sécession. Cherchez l’erreur…
Mais l’essentiel n’était-il pas que la France redevienne elle-même ? C’est-à-dire qu’elle se débarrasse de ces populations bigarrées qui l’eussent transformée en insupportable nation cosmopolite ? C’est du moins ainsi que raisonnait Charles de Gaulle, l’idole fondatrice de la Ve République antiraciste tartuffe. Cherchez l’erreur là encore…
La grande Zohra tomba peu à peu le masque, de juin 1958 à septembre 1961. Au début, pour enfumer son monde, l’ermite de Colombey proclama, des trémolos dans la voix, que les Algériens étaient désormais des Français à part entière. Des compatriotes. Des frères. Elu triomphalement sur ce programme, il passa peu à peu à l’affirmation froide et définitive que cette idée était absurde. Revenu au pouvoir sous prétexte de sauver l’unité franco-africaine, il s’employa à la démanteler. Même le Gabon, qui demandait à devenir un département, reçu l’ordre de prendre la porte. La mort dans l’âme, dos au mur, son chef Léon Mba se résigna à faire comme tout le monde. Enfin, De Gaulle largua les départements d’Algérie. Pour mettre tout cette négraille à distance, comme eût dit Yambo Ouologuem, l’auteur martyr du Devoir de Violence.
Evidemment, cette liquidation colossale, induisant un effarant rétrécissement, compromettait les chances de la France comme grande puissance. Des géants s’étaient affirmés en cette fin de deuxième millénaire : Etats-Unis, Russie, Chine, Inde, ensemble multipolaire britannique... Un scénario qui s’était profilé de loin. Tocqueville l’avait relevé prophétiquement : pour faire face à ces géants, la France devrait nécessairement disposer d’un vaste outre-mer. A défaut du rêve napoléonien en Europe, réduite par De Gaulle, à peu de chose près, à l’Hexagone européen, la France était vouée à la relégation. Si ce n’est à l’assujettissement. France, naine dérisoire aux pieds de l’un ou l’autre de ces titans modernes…
Entourloupes et sacs de bouse
Il fallut, on l’a dit, la force d’entourloupe d’un De Gaulle, bénéficiant du soutien du monde entier faisant diplomatiquement et cyniquement chorus. D’autant que tous tiraient les ficelles à la mesure de leurs moyens, pour faire avaler aux Français la couleuvre du largage de l’ancien Empire auquel, contrairement à ce qu’il est convenu de dire aujourd’hui, ils étaient très attachés. Les années 1930, apogée de l’Empire aux taches roses sur la carte du monde, vantant l’un des plus grands empires de tous les temps, n’étaient pas loin…
Mais en l’an 2025, les successeurs du Général, de Pompidou jusqu’à Macron, ayant joué la même partition que le fondateur du régime ; le reste du monde ayant mis cinq sous à la musique ; les anciens colonisés ayant fini par joindre leurs voix aux chœur ; le résultat et là : tout Français, en dehors d’un ou deux hurluberlus, s’accordent à penser que la séparation franco-africaine et franco-algérienne était aussi juste qu’inéluctable. La plupart de nos contemporains n’ont qu’une connaissance rudimentaire de l’histoire de la décolonisation et de l’histoire coloniale, mais ils sont tous sûrs et certains de leur fait et n’entendent pas changer d’avis. Dont acte. On verra comment se terminera ce petit jeu. C’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses, comme aimait à pontifier l’inutile Chirac…
La Naine et les Titans
En attendant, avec Trump, les Etats-Unis connaissent ces jours-ci leur chemin de Damas. Si le Donald n’est pas qu’un vil bonimenteur, ils semblent décidés à rompre avec la logique d’Albion. C’est-à-dire qu’ils comptent cesser de semer la discorde et la guerre entre leurs rivaux, renonçant à la recette qui a tant réussi à leur mère anglaise.
Mais si les Etats-Unis accomplissent ce grand tournant, c’est pour mieux servir leur volonté de puissance originelle. L’heure n’est plus aux chocs des Titans, car les Titans sont devenus trop musclés pour une planète devenue soudain, en comparaison, minuscule et fragile. Devant l’inanité et les périls d’une lutte à mort, devant l’urgence d’une concorde pour espérer bâtir un avenir viable et prospère, les Américains abandonnent le bellicisme pour la cogestion du monde. Mue salutaire au bord du précipice où nous conduisaient perfidement Macron et ses maîtres.
Suivant une approche poutinienne, Trump entend désormais envisager l’autre, non comme un ennemi à abattre par tous les moyens y compris les plus déloyaux et sanglants, mais comme un partenaire constructif en vue d’une stabilisation générale. Ce retournement historique qui s’impose, doit aussi se faire au plus grand profit des Etats-Unis. L’expansion servant de gage à la nouvelle donne.
Autrement dit, au seuil de cette nouvelle ère qui commence à peine, les Etats-Unis se donnent les moyens d’être le plus fort possible en tirant parti du chambardement. L’État profond, ou ce qu’il en reste après déwokisation, à savoir le cénacle de La Porte du paradis de Michael Cimino, n’aurait sans doute pas avalé toute cette salade sans de sérieuses contreparties territoriales et financières. Les richesses minérales ou agricoles de l’Ukraine faisant partie du lot.
Pour entrer de plain-pied dans ce nouveau monde pacifique qu’il veut construire avec les autres géants, Russie, Chine, Inde, Brésil, le Donald revient aux fondamentaux de l’espace et des ressources qui vont avec. Personne ne pourra dire qu’il se voue à la paix par décadence. Il entend donc annexer le Canada et le Groënland, ces deux vestiges de feue la puissance européenne qui, au point où elle en est d’abaissement, de vassalisation, restera couchée comme Macron à Washington ; chasser les Chinois de Panama et remettre la main sur le canal ; s’emparer d’un territoire maritime bien pratique au fond de la Méditerranée et, dit-on, aux eaux territoriales potentiellement bourrées de gisements gaziers, la bande de Gaza, et la transformer en nouvelle Floride Deluxe ; faire main basse sur les terres rares et finalement les terres ukrainiennes, pour se rembourser d’une guerre dont il rend responsable le pantin Zelensky, alors que les Etats-Unis et leurs valets européens, autres dindons de la farce, ont tout fait pour déclencher ce conflit, de Maïdan au Donbass.
Forcément, en face, les Français, avec leur outremer en charpie, avec leur Empire disparu comme l’Atlantide dans la joie ou d’indifférence, regardent tout ça sans trop comprendre.
Un peu comme une poule qui a trouvé un ouvre-boîte…