Un père sacrifié : Jean Calas, victime expiatoire de la haine religieuse

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
vendredi 21 février 2025

Dans la France du XVIIIe siècle, une ombre épaisse planait sur la liberté de conscience. L'affaire Jean Calas, survenue à Toulouse en 1761, en est une tragique illustration. Ce fait divers, où un père protestant fut accusé à tort du meurtre de son fils, mit en lumière les préjugés religieux et les erreurs judiciaires de l'époque. Mais cette affaire eut aussi le mérite de révéler l'engagement de Voltaire, figure emblématique des Lumières, qui se battit pour la réhabilitation de Jean Calas et la défense de la tolérance.

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Les faits

Tout commence le 13 octobre 1761, dans la maison des Calas, à Toulouse. Marc-Antoine, l'un des fils de Jean Calas, un négociant protestant, est retrouvé mort pendu. La version officielle, rapidement répandue, est celle d'un meurtre. Jean Calas est accusé d'avoir tué son fils pour l'empêcher de se convertir au catholicisme.

 

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Pourtant, les circonstances de la mort de Marc-Antoine sont troubles. Le jeune homme, sujet à des crises de mélancolie, aurait pu se suicider. Mais, dans la France de cette époque, le suicide est un crime et la famille Calas, par peur des représailles, préfère taire cette possibilité.

 

 

L'enquête sommaire et bâclée, menée par les autorités locales, est très rapidement orientée contre Jean Calas. Les préjugés religieux sont forts dans cette région où les protestants sont minoritaires. Les rumeurs les plus folles circulent, alimentant la conviction de la culpabilité du père. Pourtant, un de ses fils s'est déjà converti au catholicisme et la famille est restée unie.

 

 

Un procès inique

Le procès de Jean Calas, qui s'ouvre le 9 mars 1762 devant le Parlement de Toulouse, est une parodie de justice. Les juges, imprégnés des préjugés religieux de leur temps, ne cherchent pas à établir la vérité. Ils se contentent de reprendre les accusations sans apporter de preuves. Les capitouls condamnent Jean Calas "à être rompu vif, à être exposé deux heures sur une roue, après quoi il sera étranglé et jeté sur un bûcher pour y être brûlé". 

Le 10 mars 1762, Jean Calas est conduit sur la place Saint-Georges à Toulouse, lieu des exécutions publiques. La foule est nombreuse, venue assister à ce spectacle macabre. Jean Calas, malgré ses vives protestations d'innocence, est soumis à la question, c'est-à-dire à la torture. Il est roué de coups, ses membres sont brisés un par un. Mais il ne cède pas et continue de clamer son innocence.

 

 

Après des heures de souffrance, Jean Calas est finalement étranglé. Son corps est ensuite exposé au public, puis brûlé. Cette exécution, d'une cruauté inouïe, est un symbole de l'intolérance religieuse et de l'injustice de l'époque.

Sa famille est totalement désemparée. Elle est convaincue de son innocence et cherche de l'aide pour faire réviser le procès.

 

L'engagement de Voltaire

C'est dans ce contexte que Voltaire, informé de l'affaire, entre en scène. Le philosophe, indigné par l'injustice dont a été victime Jean Calas, décide de prendre sa défense. Il voit dans cette affaire l'occasion de dénoncer l'intolérance religieuse et les erreurs judiciaires.

 

 

Voltaire se lance alors dans une véritable enquête. Il étudie attentivement le dossier, interroge les témoins, analyse les pièces à conviction. Il est rapidement convaincu de l'innocence de Jean Calas.

 

 

Voltaire était connu pour ses idées sur la tolérance religieuse et sa critique acerbe du christianisme et plus particulièrement du catholicisme. Il rejetait ce qu'il considérait comme l'intolérance et la superstition de l'Église catholique, et il a plaidé pour la liberté de religion et la séparation de l'Église et de l'État. Il s'est notamment exprimé sur le sujet dans son Dictionnaire philosophique :

"Le plus grand service qu'on puisse rendre au genre humain, c'est de détruire la superstition, je ne dis pas la religion, car la religion est le culte que rendent à Dieu les hommes réunis en société. La superstition est le culte qu'on rend à Dieu dans la solitude et dans l'ignorance.

Parallèlement à son enquête, Voltaire mène une campagne de presse pour sensibiliser l'opinion publique. Il publie de nombreux articles et pamphlets dans lesquels il dénonce les abus de la justice et les préjugés religieux. Son engagement est total. Il écrit notamment "Traité sur la tolérance" en 1763, pamphlet retentissant qui plaide pour la liberté de conscience et la réhabilitation de la famille Calas.

 

La réhabilitation

L'affaire Calas, qui avait profondément ému l'opinion publique grâce à l'engagement de Voltaire, arriva finalement devant le Conseil du roi. Après un examen minutieux du dossier, les juges reconnurent l'innocence de Jean Calas et cassèrent le jugement rendu par le Parlement de Toulouse.

Le 9 mars 1765, Jean Calas fut réhabilité par une assemblée de 80 juges et par le Conseil du roi. Ce verdict, fruit d'un long combat pour la justice, fut accueilli avec soulagement et émotion par la famille Calas et par tous ceux qui avaient soutenu leur cause.

Mais la réhabilitation ne s'arrêta pas là. Louis XV, touché par l'histoire de cette famille injustement frappée, décida de leur accorder une réparation financière conséquente. Par lettres patentes du roi en date du 10 mars 1765, la famille Calas reçut une pension de 36 000 livres. Cette somme considérable, bien que ne pouvant effacer la douleur et l'injustice subies, témoignait de la volonté du roi de reconnaître l'erreur judiciaire et de soulager la famille Calas.

 

 

L'édit de tolérance

L'affaire Calas eut un impact profond sur la société française. Elle contribua à éveiller les consciences sur les dangers de l'intolérance religieuse et sur la nécessité de défendre les droits de l'homme.

Quelques années plus tard, en 1787, Louis XVI signa l’édit de tolérance, qui reconnaissait un état civil aux protestants, ainsi qu’aux Juifs, et leur accordait la liberté de culte privée. Cette mesure, bien que limitée, était un pas important vers la reconnaissance de la liberté de conscience.

 

 

Il faudra attendre la Révolution française pour que les protestants obtiennent la pleine et entière liberté de culte. La loi du 18 germinal an X (8 avril 1802) reconnut officiellement les Églises protestantes et leur accorda le droit d'exercer publiquement leur culte.

 

La liberté de culte

La liberté de culte, principe aujourd'hui fondamental de notre société, garantit à chacun le droit de pratiquer la religion de son choix ou de n'en pratiquer aucune. Cette liberté, acquise au prix de luttes parfois sanglantes, constitue un élément essentiel de la protection des droits de l'homme. 

Cette liberté est le fruit d'une longue et difficile lutte, souvent marquée par des affaires retentissantes et tragiques comme celle de Jean Calas. Elle nous rappelle que la vigilance est de mise pour défendre les droits de l'homme et combattre toutes les formes d'intolérance ou d’obscurantisme religieux.

 


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