L’Union Européenne : quel effet sur le progrès social ?
par Paul Jael
samedi 14 juin 2025
Le progrès social ne peut pas se passer de l’unification européenne, mais l’unification européenne peut se passer du progrès social. Alors, que faire ?
La construction d’une union européenne a pris son envol en 1958 avec l’entrée en vigueur du Traité de Rome, qui visait à instituer un marché unique basé sur quatre « libertés » :
─ Libre circulation des marchandises.
─ Libre circulation des personnes.
─ Libre circulation des capitaux.
─ Libre circulation des services.
La conséquence qui était aussi l’objectif, c’est que toutes les entreprises européennes se retrouvent dans une grande arène de concurrence. On aperçoit immédiatement le risque inhérent à cette unification économique : si elle ne se double pas d’une harmonisation des législations, les entreprises moins contraintes sur les plans social, fiscal et environnemental bénéficient d’un avantage concurrentiel. Mais de ce côté, l’Europe est une morne plaine. L’Union a beaucoup légiféré sur des détails mais tout ce qui affecte le rapport entre les classes sociales est resté du ressort des Etats. Clairement, cette harmonisation n’était pas une priorité du Traité de Rome. Toutefois, certains articles comportent des allusions ambivalentes qui ménagent une ouverture dans cette direction. Une majorité de politiciens de l’époque conservèrent ces compétences dans le pré carré des Etats par crainte de ne plus avoir la main sur un droit régalien, la fiscalité et sur une matière liée à la paix sociale. Vaine précaution : dépossédé de l’indépendance économique, le pouvoir politique perd de toute façon sa marge de manœuvre. En renonçant à une harmonisation concertée et raisonnée, on obtient une harmonisation sauvage : le nivellement par le bas.
L’intégration économique ne s’est pas seulement approfondie. Elle s’est également élargie géographiquement, d’une part parce que le nombre d’Etats membres allait croissant mais aussi par la création de l’Espace Economique Européen (1992). Celui-ci est une façon d’accorder l’accès au marché unique européen à des pays non-membres de l’UE moyennant certaines conditions. Entretemps, la plupart de ces pays sont entrés dans l’Union ; l’EEE compte encore quatre non-membres de l’UE : la Norvège, l’Islande, le Lichtenstein ainsi que la Suisse (à laquelle s’applique un statut spécial). Les autorités de l’UE profitent de leur compétence en matière de commerce extracommunautaire pour développer le libre-échange le plus large, même au-delà de l’EEE.
Un seul impôt a été harmonisé : la taxe sur la valeur ajoutée. Il le fut pour les besoins de la libre circulation, sans rapport avec la question sociale, ce qui montre que quand d’autres motivations que la justice fiscale sont à l’œuvre, les Etats européens peuvent s’entendre sur la fiscalité. En dehors de la TVA, non seulement, il n’y a pas d’harmonisation, mais pour attirer l’établissement de sociétés transnationales, les Etats membres se livrent à une concurrence fiscale où triomphe la déloyauté. Un exemple de ce spectacle navrant nous est donné par le ruling fiscal, totalement opaque, par lequel, en définitive, des grandes sociétés ont réussi à négocier leur imposition. Le « chacun pour soi » règne dans le royaume de la fiscalité européenne. Pire : il y a (au moins) un paradis fiscal à l’intérieur de l’Union. Tous les Etats membres ont quelques comportements à se reprocher mais l’un d’eux tire une grande part de sa prospérité d’une industrie financière et de services qui s’est construite autour d’une ingénierie fiscale d’Etat. Comme ces brèches fiscales concernent généralement les revenus du capital ou les dépenses de luxe, la progressivité de l’impôt dans les Etats voisins est mise à mal à l’avantage des plus riches. Que pareille aberration puisse persister au sein d’une union économique et monétaire amène à se demander si elle n’arrange pas tous les gouvernants. Un progrès a quand même été réalisé avec l’entrée en vigueur en 2005 de la directive sur l’échange d’informations entre administrations fiscales concernant les revenus d’intérêt. Mais le champ d’application ne couvre qu’une partie du problème. Le progrès le plus important reste à réaliser.
Comme on le voit, l‘unification européenne n’a pas fait qu’unifier l’Europe ; elle en a aussi altéré le modèle social, dans un sens défavorable aux classes populaires et à l’avantage des riches. Alors que la " révolution " discrète de 1993 était encore en chantier, Alain Minc écrivait : « Telle qu’elle se construit, l’Europe libérale ne laisse guère de place à une nouvelle social-démocratie redistributrice, sauf quelques fausses fenêtres en forme, par exemple, de charte sociale » (L’argent fou, Grasset, 1990, pp. 28-29). C’est-là une évolution historique fondamentale. Nous sommes censément en démocratie ; on s’attendrait à ce qu’un bouleversement de cette ampleur fasse suite à la volonté clairement affirmée de l’opinion publique. L’a-t-on entendue ? Ou bien les tenants du libéralisme pur et dur ont-ils profité des zones grises de non-démocratie, que l’unification européenne produisit involontairement surtout à ses débuts, pour faire avancer leur projet partisan ? Avec la complicité passive de la gauche.
Jusqu’au sein des institutions européennes, beaucoup commencent à prendre conscience et à s’inquiéter du retard pris par ce qu’on appelle communément " l’Europe sociale " ou " la dimension sociale de l’Europe ". En 2017, ces institutions, à l’initiative de la Commission, ont publié un document intitulé « Socle européen des droits sociaux ». La lecture de ce document, énonçant de vagues principes, montre à quel point tout reste à faire. Rien de concret n’est en marche. La Commission a certes lancé une initiative en vue de l’instauration d’un système européen de salaire minimum. Mais on en est au stade de la concertation sur le principe-même. Les échos qu’elle a rencontrés n’incitent guère à l’optimisme. Des partis sociaux-démocrates d’Etats-membres prospères dotés d’une protection sociale largement supérieure à la moyenne européenne s’opposent à ce projet sous prétexte que la concertation sociale propre à leur pays apporte de meilleurs résultats. C’est de la courte vue ! Les hauts salaires dans ces pays sont menacés par la concurrence de pays où règnent de trop bas salaires. Le salaire minimum européen est une garantie en cette matière. On peut également s’interroger quant au manque d’empathie de ces partis prétendument progressistes envers les travailleurs des pays à bas salaires.
S’il est si pénible aux Etats membres d’avancer vers l’Europe sociale, il semble plus aisé de prendre des décisions qui vont en sens contraire. Une directive de 1996 d’apparence anodine s’est avérée être une bombe à retardement : le détachement de travailleurs d’un pays pour une durée relativement longue dans un autre Etat membre est autorisé avec les charges sociales du pays d’origine. Lorsque le niveau de ces charges varie fort entre les Etats, les entreprises trouvent facilement la faille. C’est un incitant au dumping social. Une décision récente devrait en atténuer les effets néfastes dans le futur.
L’UE a une dimension technocratique et une dimension politique. Les traités et les institutions ont mis sur les rails une technocratie bien rodée, active, omniprésente, assez efficace. Par contre, l’Europe politique se cherche ; ces mêmes traités et l’échafaudage institutionnel la rendent peu lisible. Or l’avenir de l’Europe sociale dépend de la dynamique politique, pas de la technocratie. Le fond du problème ne réside pas dans le trop-plein de cette technocratie très décriée par beaucoup, mais dans l’absence d’une vie politique comparable à celle qui existe dans les Etats. Les institutions européennes manquent d’un débat permanent entre une gauche ouvertement à gauche et une droite ouvertement à droite. Le consensus entre les deux camps sur la nécessité de promouvoir l’intégration noie la dissension idéologique. L’existence d’un parlement transnational élu au suffrage universel (depuis 1979) n’a manifestement pas suffi à faire décoller la vie politique européenne ; les joutes qui s’y déroulent semblent pâles et feutrées et manquent de relief et d’âpreté. Il y a un rôle à jouer pour un parti transnational (cf. mon article précédent).
Du côté du Conseil des Ministres, le principal organe de décision, la situation est encore pire. Les ministres mandatés par les gouvernements s’y réunissent pour valider les propositions de la Commission ; s’y négocient des accords qui, pour les décisions importantes, doivent être unanimes. Cet organe est réputé pour ses longues nuits de tractations pusillanimes auxquelles les citoyens ne comprennent rien. La prise de décision dans cet organe a quelque chose de vicié. Les arguments de fond pour ou contre une proposition sont escamotés par la défense des intérêts particuliers de chaque Etat. Prenons un exemple : le Conseil serait appelé à se prononcer sur un projet de protection contre telle forme de pollution. Au lieu d’assister à la confrontation entre partisans et adversaires de la régulation, on verra s’affronter les Etats où la production polluante participe activement au PNB et à l’emploi et ceux qui sont peu concernés par cette activité. Des marchandages du type " j’accepte telle proposition si vous ne bloquez pas telle autre proposition " ne sont pas rares.
Jusqu’à la fin du vingtième siècle, la grande majorité des Européens, (sauf probablement en Angleterre) communiaient dans une espèce de foi qu’on devait aimer l’Union Européenne, qu’il était normal de l’aimer au même titre que tout le monde aime Winnie l’ourson ou Saint Nicolas. De son côté, la princesse Europe travaillait à se rendre aussi charmante que possible, usant de la propagande comme moyen de séduction. Voyons le traité instituant l’Union. L’article un nous dit que « les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens. » L’article trois précise les objectifs de l’Union et cite notamment « une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social et à un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. » L’article nous dit également qu’« elle combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant. Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les Etats membres. » On croirait lire du novlangue. Evidemment, construire une Europe unie sur les ruines des guerres passées est éminemment honorable et sympathique. Toute la communication de l’Union à l’adresse de l’opinion publique est pétrie de ce discours de bien-pensance, d’intentions louables et surtout d’autosatisfaction. L’Union Européenne s’entoure d’un mur de vertu qui lui sert de paravent. Les objectifs annoncés sont estimables mais ils sont entourés de trop de logomachie et suivis de trop peu d’action. Le trop-plein de l’une semble avoir pour fonction de compenser la carence de l’autre.
L’ex-président de la Commission Européenne, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, a terminé son discours d’adieu au Parlement Européen par un vibrant « Il faut aimer l’Europe ; si on n’aime pas l’Europe, on n’est pas capable d’amour. Et moi j’aime l’Europe, vive l’Europe », suivi des applaudissements d’usage. En ces circonstances, il eût été malvenu de lui demander s’il aime une Europe avec ou sans paradis fiscal. Mais la question se pose d’elle-même.
Au XXIe siècle, une certaine grogne, qui n’a plus crainte de s’afficher, monte dans la population de plus en plus méfiante vis-à-vis du libre-échange européen qui la malmène. L’extrême droite sent que l’euroscepticisme peut lui servir de cheval de bataille. Pour elle, qui a toujours cultivé le nationalisme, le protectionnisme est naturel. Mais la méfiance populaire envers l’unification européenne est plus diverse et ne se limite pas à cet euroscepticisme. Pour l’eurocratie alliée à la droite libérale, il est tentant de rejeter dans une même réprobation toutes les formes de résistance à son projet européen libre-échangiste, d’amalgamer ceux qui dénoncent une intégration injuste et ceux qui refusent toute intégration. Une illustration de cet amalgame est la condamnation morale, le lynchage médiatique des électeurs français qui par referendum (2005) ont rejeté le projet de constitution européenne. On leur a soumis un texte à la fois illisible et imbuvable. Ils l’ont repoussé. Quoi de plus normal. Ce texte visait avant tout à bétonner et à sacraliser tout ce que les dirigeants européens avaient établi jusque-là, souvent de façon non démocratique. Il faisait entrer dans la constitution une multitude de dispositions qui n’avaient pas à s’y trouver, descendant à un niveau de détail comme on ne le retrouve dans aucune constitution nationale. Par exemple, l’article III-181 prévoyait qu’il est interdit à la Banque Centrale Européenne et aux banques centrales des Etats membres d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux pouvoirs publics européens, nationaux ou locaux. Est-ce démocratique d’interdire aux futurs dirigeants d’avoir une autre conception ? La question posée aux électeurs portait sur l’acceptabilité de la constitution proposée et ils y ont parfaitement répondu. Après le referendum, on leur a reproché la réponse supputée qu’ils auraient donnée à une question qui ne leur fut pas posée : êtes-vous pour ou contre la construction européenne ?
L’extrême gauche a toujours témoigné d’un certain scepticisme envers la construction européenne. La raison en est qu’il est plus facile de s’intéresser à ce que fait l’Europe qu’à ce qu’elle pourrait faire. L’avantage d’avoir plus d’Europe n’apparaît que si on inverse ce rapport. Cet avantage se matérialisera dans l’harmonisation des règles fiscales, sociales et environnementales. Depuis plusieurs années, l’idée inverse semble se frayer un chemin dans l’opinion publique et dans certains milieux politiques. Que les Etats reprennent une part de leurs anciennes prérogatives pour poursuivre le plein emploi et d’autres objectifs socio-économiques qu’ils définissent, à l’intérieur de frontières protégées. Certains politiciens, parfois appelés « souverainistes », prônent le retrait de leur pays hors de l’Union, suivant le modèle du Brexit ; d’autres avouent souhaiter l’implosion de l’Union Européenne, manifestement en crise.
Quand l’état actuel de l’Europe ne donne pas satisfaction, pourquoi préférer le " plus d’Europe " au " moins d’Europe " ? Le fait est que la mondialisation des dernières décennies a cassé les économies nationales. Cette espèce est éteinte. Les économies nationales ont été remplacées par ce qu’on pourrait appeler des « parties nationales de l’économie européenne ». Pourquoi n’y a-t-il pas de manette de marche arrière ? Pourquoi telle partie nationale de l’économie européenne ne peut-elle rebrousser chemin pour redevenir une véritable économie nationale ? Tout simplement parce que c’est trop tard. La spécialisation du commerce international a fait son œuvre. Une grande partie de la production nationale est destinée à l’exportation et une non moins grande partie de la consommation nationale est alimentée par les importations. La marche arrière impliquerait de réorienter l’appareil productif vers les besoins intérieurs ; pendant une période d’adaptation assez longue (au moins une décennie), l’économie nationale serait totalement désorganisée car le travail et le capital devraient être transférés des industries exportatrices déclinantes vers de nouvelles industries qui prendront le relai des importations. Supposons un pays qui aurait réussi cette réorientation ; les besoins de sa population sont maintenant rencontrés à quatre-vingt-dix pour cent par la production nationale. Un gouvernement de gauche pourrait-il y mener une politique de redistribution sans se préoccuper de ce qui se passe à l‘extérieur ? Oui. Toutefois, il y a un " mais ". La déspécialisation de la production nationale au cours de la phase de réorientation l’aura rendue moins efficace ; les produits de consommation auront renchéri, Le niveau de vie baisserait et même sensiblement. La population, l’accepterait-t-elle ? Rien ne l’empêche de préférer une telle situation pour profiter de ses avantages non pécuniaires, mais admettons que c’est peu probable. L’extrême droite, si elle voulait revenir à des économies souveraines, serait confrontée au même problème. En revanche, le gouvernement britannique post-Brexit y échappe car il entend manœuvrer son économie à l’intérieur de l’arène concurrentielle mondiale. Il peut se le permettre car, tant que les conservateurs restent au pouvoir, il n’a aucune ambition sociale. Malgré cela, le Brexit ne semble pas une réussite.
Le rétablissement des frontières internes de l’UE réduirait le revenu des Européens. Le souverainisme ne peut esquiver cette avanie. Le succès de l’Espace Economique Européen doit nous en convaincre : les pays qui avaient fait le choix de rester en dehors de l’Union demandent à bénéficier du marché commun de peur de rater le train de la prospérité.
Comme on le voit, le simple pragmatisme suffit à justifier le " plus d’Europe ", sans qu’ait à intervenir le romantisme de l’idée européenne, romantisme par ailleurs plutôt séduisant. L’attachement à l’Etat-Nation suscite aussi son romantisme, en plein essor depuis quelques années. Entre ces deux romantismes, c’est une affaire de goût. A l’inverse, la nécessité de compléter le marché unique par une harmonisation fiscale et sociale n’est pas une affaire de goût mais une condition de la justice sociale.
Une condition de la justice sociale… dont la mise en œuvre sera une bataille. Ladite justice n’est pas l’objectif des traités. Les institutions et les procédures en place facilitent l’inertie. L’un des principaux obstacles est le processus de décision européen : l’unanimité des Etats membres s’impose pour les décisions importantes. On ne peut rêver d’un moyen plus efficace pour handicaper une institution. Surtout si l’on considère le nombre actuel d’Etats membres. Cette situation n’est pas le fruit du hasard. Certains tenants d’un libéralisme pur et dur, après avoir érigé leur marché unique, craignent que l’UE se mue en pouvoir supranational susceptible d’harmoniser la fiscalité et la législation sociale. Pour prévenir cette éventualité, les plus artificieux ont accéléré l’élargissement de l’UE pour qu’il précède une éventuelle réforme de son processus de décision et la rende ainsi plus improbable. La logique eût voulu que cette réforme précède l’élargissement. Parmi eux, l’ancien premier ministre britannique Tony Blair, favorable à l’intégration européenne… tant qu’elle reste faible. Voici quelques années, une analyste écrivait à ce propos :
Par ailleurs, l'élargissement de l'Union européenne a toujours été une priorité pour Tony Blair. Rappelons que prôner l'élargissement revient de fait à freiner l'approfondissement de l'intégration européenne, et constitue donc un des arguments-clés des Européens les moins intégrationnistes et les plus soucieux de sauvegarder leur identité nationale. L’intégration politique est en effet plus difficile dans une Europe à 27 qu’à 15. Autre priorité du gouvernement Blair : le marché unique. La vision blairiste est celle d'une Europe libérale axée sur la flexibilité du marché du travail et la notion d'employabilité. (K. Tournier-Sol, « Identité britannique et identité européenne dans la politique du New Labour »).
" Bien joué ", pourrait-on dire. L’Europe sociale est restée à quai, ce qui était l’objectif. Pourtant, dès cette époque, la manœuvre était intelligible. Or tout le monde a laissé faire.
En conséquence, ceux qui comptent sur l’intégration européenne pour faire avancer le changement social n’y parviendront pas en agissant seulement " par le haut ". Le système institutionnel ne garantit pas qu’une volonté majoritaire au sein de la population européenne l’emporte sur d’éventuelles minorités de blocage. Mais la volonté populaire a d’autres canaux pour s’exprimer. A elle de se faire entendre. Les partis de gauche ne doivent pas oublier que l’ordre social existant en fait des sujets contestataires. Une opposition de type bourgeois, tranquille, docile risque d’être insuffisante. Il faut animer la société civile européenne, ne négliger aucune arme, pas même les campagnes de boycott.
La bataille idéologique sera rude également. Nombreux sont ceux qui chargent l’Europe de tous les péchés, avec sa bureaucratie qu’il est si plaisant de détester. L’accueil vis-à-vis de la demande de " plus d’Europe " sera glacial aussi bien de la part des eurosceptiques que de ceux qui souhaitent se contenter de l’unification du marché. La justice sociale en tant que valeur met en question la légitimité du marché unique lorsqu’il ne s’accompagne pas des harmonisations légales nécessaire ; il ne faut pas craindre de le souligner. A ceux qui se récrieront contre la perspective d’un pouvoir politique supranational, demandons s’ils préfèrent un pouvoir économique supranational bien plus implacable et moins démocratique : le marché mondial. La question n’est pas de savoir s’il y aura un pouvoir supranational mais lequel des deux triomphera.