« On n’est pas là pour peser de l’avoine »

par C’est Nabum
samedi 15 février 2020

L’âne préfère les chardons…

L’avoine a eu un bien curieux parcours avant que de frayer son chemin de gloire et de rejoindre le blé et l’oseille dans les synonymes de l’argent, preuve si besoin était que même la mauvaise herbe peut se bonifier au fil du temps. Elle se nomma « aveine » au temps de sa déveine tandis que le champ où pousse la plante se nommait « Aveinerieux ».

Comme la fiscalité de l’ancien régime n’a rien à envier à notre époque, il y eut même une redevance sur les récoltes d’un champ d’avoine, taxe appelée Aveine elle aussi et qui préfigure sans doute la future vignette automobile. Quoi de plus naturel en somme de frapper au porte-monnaie les utilisateurs d’ânes et bourriques, chevaux et mulets qu’en venant prélever directement à la source. Bercy n’a donc rien inventé.

Fort heureusement l’âne préfère les chardons, se méfiant de ce qui lui vient tout cuit dans la bouche. La bouillie d’avoine est tout juste bonne pour les pourceaux, quoique ses grandes oreilles lui donnent mauvaise réputation auprès des imbéciles et des sots, notre compagnon sait de quoi il en retourne si on le nourrit de céréales. Son pet alors dissuade le fermier qui pourra alors sans l’ombre d’une hésitation vous évoquer l’odeur de l’argent.

Le cheval, fier destrier à la réflexion moins galopante que le pas, aime, contrairement à son cousin, sa ration d’avoine. Il a soudainement flatulence et digestions délicates ce qui contrarie le charretier, prompt comme chacun sait à manier la langue et le fouet. Une pluie d’insultes et quelques coups mettent en route le convoi tandis que le linguiste fait de l’avoinée une raclée de première, qui finira son existence dans les commissariats de police.

L’avoine cesse alors de symboliser la richesse. Le blé, fort de la prospérité des céréaliers de Beauce n’a plus pour seul concurrent que l’oseille, la fraîche sort de son panier d’osier pour représenter cet argent qui échappe au contrôle. Le percepteur en fera toute une salade mais voilà de l’artiche qui échappe à son contrôle, l’oseille n’ayant-elle pas la réputation de dissoudre les arêtes, celles qui restent en travers de la gorge ?

Mais revenons à notre avoine. Il est amusant de découvrir que ce sont les écossais qui ont importé en Amérique ce qui allait se transformer en flocon du petit déjeuner. La réputation de pingres qui colle aux hommes en kilt ajoute à la confusion tandis que l’industrie agro-alimentaire allait faire de la thune sur cette céréalière consommation.

J’ai déjà raconté l’histoire de la rue du puits à l’avoine, la richesse du cœur est plus utile que celle de la bourse. L’avoine mérite mieux et nous pouvons puiser dans le trésor des langues quelques belles expressions. Les Tchèques qui ne sont pas en bois affirment : « L’avoine fait le cheval, la bière le héros et l’or le gentilhomme », avec encore cette relation implicite entre notre céréale et la bonne fortune puisque le blé permet longtemps de faire de la bière jusqu’au décret de pureté de 1516 : « Les seuls ingrédients qui pouvaient être utilisés dans la bière étaient alors : l'orge, le houblon et l'eau. » Ni blé ni avoine donc.

Du côté de l’âne, la sagesse populaire affirme en France que : « Si vous donnez de l’avoine à un âne, il vous paiera d’un coup de pied » tandis qu’à Québec le propos est mieux senti : « Si vous donnez de l’avoine à un âne, il vous pétera au nez ! ». Ayant ainsi fait le tour de la question, je me demande encore pourquoi en Berry quand on se berdille, qu’on marque le pas et qu’on ne sait plus quoi faire, il y a toujours une bourrique pour déclarer de manière péremptoire : « On n’est pas là pour peser de l’avoine ! » sentence qui immanquablement se prolonge autour d’une chopine tirée de la barrique et de quelques verres. Il est vrai que les ânes aiment les petits vins qui piquent !

Avoinement vôtre.


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