Insécurisant
par C’est Nabum
vendredi 21 mars 2025
Les mots leur manquent pour exprimer nos maux
La toile m'affirme en lettres capitales que notre société sombre en plein marasme et que désormais notre pays est le plus « insécurisant » d'Europe. Devant l'horreur de ce terme qui vient semer l'effroi chez les inquiets et les pleutres, qui se répand comme une peste brune dans tout le pays pour renforcer de sournoises intentions parlementaires, il est impossible semble-t-il de tenter de nuancer tout en émettant un doute sur ce terme dont l'origine anglo-saxonne fleure bon l’amalgame et le slogan simplificateur.
Il est des termes plus précis pour qualifier ce qui peut parfois être ressenti en fonction du contexte : « Crainte, peur, menace, angoisse, inquiétude, terreur, effroi, danger, agression, provocation, terrorisme, racket, délinquance, ... ». La liste est longue et chaque terme renvoie à des situations précises qui méritent alors des réponses adaptées et circonstanciées (même si désormais seules les causes méritent notre attention).
Mais là n'est plus l'ambition des boutefeux qui entendent régner par la peur, diviser les catégories les unes contre les autres afin de maintenir un système fondamentalement inégalitaire et injuste. Faire haïr son prochain est la plus sûre méthode pour conserver le pouvoir et les incommensurables privilèges octroyés à la haute bourgeoise et à leurs valets au pouvoir.
Les boucs émissaires sont désormais légion : étrangers, jeunes des quartiers, musulmans, fonctionnaires, profiteurs, chômeurs, bénéficiaires des aides sociales, écologistes, … la liste est longue tout en écartant ceux qui firent les beaux jours des exécrations passées : les juifs et les francs-maçons. Il semble que ce soit considéré comme un progrès alors que ce n'est qu'une déplorable généralisation de la méthode en changeant de cible.
Pour engendrer la peur, cette fameuse peur qui est la pire des conseillères, les moyens de communication mettent le paquet pour faire de chaque incident un événement à grand spectacle, une occasion de sortir la grosse artillerie de la répression, la promesse de décisions législatives pour resserrer encore plus les boulons et renforcer le rôle de la police. Le tout répressif pour satisfaire une population morte de trouille au point que plus personne ne remplit son rôle de modérateur, de modulateur, de citoyen vigilant dans l'espace public qui s'interpose ou fait une remarque au lieu de se contenter de dénoncer.
Alors le ministre de l’Intérieur agite le chiffon rouge, déploie des forces de l'ordre qui au final ne parviennent même pas à juguler des supporters astucieusement manipulés pour semer les graines de la peur qui donneront les fruits pourris de l'extrémisme et du désordre. L'insécurité n'est plus un sentiment, c'est désormais une évidence et malheur à qui s'aventure à réclamer les mots justes pour évoquer nos maux afin que les réponses soient proportionnelles, adaptées et efficaces.
Puisqu'il ne s'agit que d'insécurité, il faut et il suffit de créer les conditions de la sécurité en accroissant l'arsenal répressif, le nombre de policiers et les moyens de surveillance et de coercition. Et tant qu'à faire, chassons les étrangers de notre sol alors que les mêmes qui en appellent à cette solution miracle sont ceux qui se font livrer leurs repas par des sans-papiers, roulent dans des VTC conduits par d'autres et se font livrer des produits qui arrivent par les mêmes truchements.
L'insécurité est soigneusement orchestrée par les chaînes d'information qui en ont fait leur fonds de commerce, par le pouvoir qui entend rester en place en roulant des épaules et en reprenant les solutions de l'extrême droite, par l'abaissement systématique depuis de longues années du système éducatif qui se dispense désormais de donner les outils pour comprendre et réfléchir, évaluer et critiquer les informations tout en débattant avec des arguments et non des slogans si commodes.
Alors, il n'est pas à y revenir : la France est le pays le plus insécurisant d'Europe, il faut le croire puisque les réseaux asociaux l'affirment rendant ainsi un service considérable à ceux qui tapis dans l'ombre, attendent leur heure.
Illustrations de Nicolas de Crécy