Ouverture des Jeux olympiques 2024 : Paris tenu !
par Sylvain Rakotoarison
samedi 27 juillet 2024
« On verra tous à partir de vendredi soir pourquoi ça valait la peine ! » (Emmanuel Macron, le 23 juillet 2024 sur France 2).
Unie dans la diversité. C'est bien cette devise de l'Europe, qui a été placardée après le passage de la dernière équipe d'athlètes olympiques, celle des 571 Français menée par Mélina Robert-Pichon et Florent Manaudou, qui vont participer aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, lors de cette grandiose cérémonie d'ouverture ce vendredi 26 juillet 2024 entre 19 heures 30 et 23 heures 30. Les sabotages odieux contre la SNCF la nuit précédente n'ont pas eu d'incidence directe sur la cérémonie et c'était tant mieux.
Quelle émotion de voir les quelque 6 500 sportifs de la Terre entière descendre la Seine dans 85 bateaux du pont d'Austerlitz au pont d'Iéna (six kilomètres) ! La ville de Paris accueillait vendredi soir l'humanité dans toute sa diversité mais aussi dans toute son unité, celle de la joie de se rassembler autour des valeurs simples et essentielles du sport.
Comme un milliard d'êtres humains, paraît-il (23,4 millions de téléspectateurs pour France 2), j'ai suivi benoîtement à la télévision cette cérémonie d'ouverture. Je n'ai pas l'habitude de le faire car souvent, cela ne me parle pas, voire cela me barbe, mais mon patriotisme m'incitait à célébrer finalement une gloire française, celle d'accueillir les Jeux olympiques d'été, et ce n'est pas souvent, seulement une fois par siècle. Bref, ça s'arrose !
Ça s'arrose, je ne rigole hélas pas (rigole prend tout son sens), car pour le malheur des artistes, et des spectateurs dans les rues de Paris, la pluie, parfois battante, a rendu le spectacle encore plus méritoire, l'exploit de faire comme s'il ne pleuvait pas. Certes, les caméras étaient parfois aveuglées de gouttes dégoulinantes, le costume des artistes complètement trempé, le piano quasiment sous l'eau (heureusement, on l'a asséché en l'incendiant !), mais qu'importe ! pour le téléspectateur confortablement installé dans son fauteuil, ce n'était qu'un petit détail. Il faudra juste songer à l'avenir à ne plus inviter François Hollande à une manifestation qui se passerait à l'extérieur. Sa présence apporte la poisse et les internautes s'en sont donné à cœur joie !
Mais revenons au spectacle. Il était exceptionnel et bravo à Thomas Jolly, l'intendant en chef, pour l'avoir conçu et organisé. Au diable les aigris ! Si les Français dénigreurs de leur propre génie ne sont pas capables, pour certains, d'apprécier à sa juste mesure l'exploit tant artistique que culturel de ce spectacle, au moins, les observateurs étrangers ne seront pas ingrats, toute la presse internationale est "dithyrambique" dans sa réaction.
Le principe du spectacle, c'était de revisiter Paris, la France, le monde et les Jeux olympiques par la Seine et la Tour Eiffel. Revisiter sans donner des leçons de morale, sans arrogance française. On passait ainsi le long des monuments historique avec des spectacles d'artistes très diversifiés. Commentant vendredi soir l'événement pour "Le Monde", l'historien Guillaume Mazeau expliquait : « À la différence des cérémonies du Bicentenaire de la Révolution française mises en scène par le publicitaire Jean-Paul Goude (1989), organisées comme un défilé sur les Champs-Élysées, c’est la Seine qui sert de fil conducteur ce soir. ».
Les athlètes des 206 nations qui vont participer, y compris la Corée du Nord, Israël et la Palestine, ont défilé dans des bateaux navigant jusqu'au Trocadéro où se tenait la tribune officielle. Entre certaines équipes, des plateaux artistiques étaient proposés sur le thème d'une valeur, ou même d'un mot, comme liberté, égalité, fraternité, sororité, sportivité, obscurité, solennité, etc.
Un certain suspense était entretenu sur l'identité des derniers passeurs de la flamme olympique et les spectateurs n'ont pas été déçus : cela a commencé au Trocadéro par Zinedine Zidane, puis Rafael Nadal qui a pris le bateau avec Serena Williams, et deux légendes dont la présence a ému beaucoup de monde, Nadia Comaneci et Carl Lewis, pour remonter la Seine jusqu'à la Pyramide du Louvre. Là, Amélie Mauresmo a pris le relais en courant quelques centaines de mètres le long des quais avant de passer la flamme à Tony Parker, Marie-Amélie Le Fur, accompagnée des deux porte-drapeaux français des JO paralympiques, Nantenin Keita et Alexis Hanquinquant. Puis, très rapidement, les plus grands athlètes français de l’histoire se relayaient la flamme, dont trois anciens ministres, Jean-François Lamour, David Douillet et Laura Flessel, ainsi que Michaël Guigou, Clarisse Agbegnenou, Alain Bernard, Laure Manaudou et Renaud Lavillenie. Enfin, Charles Coste, le plus âgé des champions olympiques français, champion de cyclisme, 100 ans, de son fauteuil, l'a remise aux deux derniers porteurs que furent Marie-José Pérec (comme les rumeurs l'annonçait) et Teddy Riner. Ils ont marché jusqu'au bassin central des Tuileries pour allumer la vasque olympique avant que celle-ci ne s'envolât dans les airs en montgolfière. Beauté et originalité.
Juste auparavant, Emmanuel Macron, en tant que Président de la République française, a déclaré les Jeux olympiques et paralympiques ouverts, avec une pointe d'émotion et presque de sidération, après deux discours. Le premier du président du comité d'organisation des Jeux olympiques Tony Estanguet qui proclamait le rassemblement et l'unité des Français derrière leurs athlètes (« L'humanité est belle quand elle se rassemble ! »), à tel point que je me demandais s'il n'allait pas devenir le nouveau Premier Ministre, et Thomas Bach, le président du CIO (Comité international olympique). Tous les deux parlaient français et anglais (le français, en plus d'être la langue du pays d'accueil est aussi la langue officielle des JO).
Je rejoins l'état d'esprit de quelqu'un comme Jean-Pierre Rousseau, ancien directeur de la musique de Radio France (l'Orchestre national de France, la maîtrise et le chœur de Radio France ont participé à la cérémonie à la fin), qui a exprimé sa joie samedi matin sur son blog : « Il y a trois jours j'écrivais : "Réjouissons-nous pour une fois d’avoir été capables d’organiser un tel événement, réjouissons-nous de découvrir une cérémonie d’ouverture qui sera la plus belle fête du monde". Ce fut la plus belle fête du monde. Tant pis pour les grincheux et les coincés. Je n'ai pas tout aimé, j'ai trouvé certaines séquences trop longues ou peu inspirées, et alors ? Que valent ces réserves face à une soirée immense, grandiose, unique ? à la force des images ? ».
Oui, bien sûr, il y a eu des choses que je n'ai pas aimées non plus, mais peut-être pas les mêmes que mes voisins. Par exemple, je n'ai pas apprécié le début, avec toutes ces plumes, French cancan, ces clichés éculés de la France de l'an 1900, de la Belle Époque, et au début, beaucoup de clichés réduisaient la France, à son industrie de luxe, à ses monuments, etc. mais cela a évolué sur du plus original, du plus créatif, là aussi sur des choses que je n'ai pas forcément aimées, mais qui montraient tant la diversité française que la diversité humaine. Et surtout la diversité artistique.
J'ai aussi trouvé trop longue la chevauchée fluviale de la porteuse du drapeau olympique (une gendarme, Floriane Issert), et le drapeau a même été accroché à l'envers. Mais ce n'était pas très grave. Et j'ai trouvé dommage l'absence de Kylian Mbappé, qui s'en est expliqué dès le 16 juin 2024 : « Mon club a une position très claire, à partir de ce moment je pense que je ne participerai pas aux Jeux. C'est une vérité, c'est comme ça. J'arrive dans une nouvelle équipe. Arriver en septembre pour une nouvelle aventure, ce n'est pas le meilleur des débuts d'aventure. ». J'ai regretté aussi l'absence d'une œuvre du compositeur de musique électroacoustique Pierre Henry qui aurait pu passer avantageusement, par exemple, pendant qu'étaient montrées les belles images d'archives des Jeux olympiques.
Il y a eu Lady Gaga, Aya Nakamura qui a tant fait polémique, qui s'est produite devant l'Académie française, la mezzo-soprano Axelle Saint-Cirel qui a chanté avec une voix très émouvante "La Marseillaise" sur un bateau. J'ai beaucoup aimé Carmen, malgré le côté un peu cliché, la recherche de la Joconde au Louvre, avec les personnages des tableaux se transformant en réalité, un peu à l'instar du film "Une nuit au musée" ("La Joconde" a été retrouvée chez les insupportables Minions).
Si je n'ai pas beaucoup apprécié le rappeur Rim'K avec "King", j'ai adoré les passages enregistrés de Daniel Balavoine, de Claude François (dommage d'entendre "Alexandrie" avec la délégation de l'Ukraine et pas de l'Égypte), de Mylène Farmer et de plein d'autres (Gainsbourg était aussi au répertoire, semble-t-il ; il y a eu aussi Véronique Samson, Sheila, etc.). À la fin du défilé des sportifs français, le drapeau européen s'est éclairé sur le sol, avec des étoiles entourant la Tour Eiffel, comme par magie. Philippe Katerine a été extraordinaire à chanter "Nu" en tenue adéquate (nu) ! Dix grandes femmes ont été honorées, dont Olympe de Gouges, Louise Michel, Gisèle Halimi et, en dernier, Simone Veil. Zizi Jeanmaire et Charles Aznavour ont été également honorés.
J'ai été très ému aussi par l'interprétation (traditionnelle pour les cérémonies d'ouvertures des JO) de "Imagine" (John Lennon) par la chanteuse à la voix d'or Juliette Armanet avec Sofiane Pamart au piano. À propos de piano, j'ai oublié aussi de signaler l'exploit de jouer sous la pluie battante de l'un des futurs plus grands pianistes mondiaux, le Français Alexandre Kantorow (27 ans) qui a joué "Jeux d'eau" de Maurice Ravel. Des artistes et des funambules ont défilé sur le Pont Neuf comme dans un défilé de haute couture, après que la Patrouille de France a dessiné un cœur rose dans le ciel parisien. Auparavant, il était aussi original d'évoquer les artisans de la reconstruction de Notre-Dame de Paris ainsi que ceux de la Monnaie de Paris qui ont confectionné les médailles d'or olympiques avec un peu de ferraille de la Tour Eiffel.
Le passage de la délégation française, la dernière du défilé, s'est fait sur un enregistrement de "Lettre à France" de Michel Polnareff. Pendant la remontée de la Seine de la flamme avec quelques superchampions (Rafael Nadal, Serena Williams, Nadia Comaneci et Carl Lewis), la Tour Eiffel s'est mise à danser dans un show laser en hommage à Jean-Michel Jarre ("Oxygène 2024").
Enfin, le clou de la cérémonie, à la fin, tant attendue, dont la présence a été souvent annoncée ou discutée, Céline Dion a chanté "L'Hymne à l'amour" d'Édith Piaf, au premier étage de la Tour Eiffel, avec une voix difficile à cause de sa maladie, mais toute en majesté, accompagnée au piano par Scott Price. Elle ne s'était pas produite depuis quatre ans ; en revanche, elle avait déjà chanté à une cérémonie d'ouverture des JO, à Atlanta en 1996 ("The Power of the Dream"). Très joli cadeau fait à la France (et les polémiques sur son coût sont dérisoires dans la malveillance).
Il suffit d'écouter la réaction des spectateurs pour comprendre que cette cérémonie d'ouverture des JO était exceptionnelle, historique. La grande richesse de ce polyspectacle grandiose, c'était qu'il y en avait pour tout le monde, de tous les genres, de toutes les opinions, de toutes les références, historiques, intellectuelles, artistiques, culturelles, littéraires, sociales, économiques.
L'historien Guillaume Mazeau notait ainsi : « Ce soir, la profusion de symboles historiques, la variété des usages du passé, l’inédite diversité humaine des figures et des acteurs et actrices, la volonté de ne pas adresser la leçon au monde, tout cela fait rupture dans la manière dont la France représente et raconte ordinairement son passé dans les événements solennels ou commémorations officielles. C’est un spectacle, une vision fictionnée et idéalisée, un peu bricolée, mais par rapport à bien d’autres, elle est non seulement capable de concerner plus de monde que d’habitude, mais aussi prête à dialoguer avec ce qu’écrivent les historiennes et des historiens d’aujourd’hui. Le récit national n’est pas esquivé, une histoire de France est esquissée dans sa singularité, mais cette histoire n’est ici ni linéaire ni fermée à la différence. Cette histoire n’est pas une histoire moins riche, ou destructive, mais une histoire qui nous ressemble et nous nourrit. Ce dialogue entre histoire, grand spectacle et création artistique n’est pas facile, il doit être souligné » ("Le Monde").
Cette soirée merveilleuse restera évidemment dans les annales comme une fête où le grandiose était associé à l'imaginatif et au créatif. Je plains l'organisateur de prochains Jeux olympiques à Los Angeles (USA) en 2028 comme à Brisbane (Australie) en 2032, car ils partiront déjà de très haut. Vive la France et vive le monde !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 juillet 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Ouverture des Jeux olympiques : Paris tenu !
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