Victoria Woodhull, une Américaine en avance sur son temps...

par lephénix
samedi 10 août 2024

Les paris sont ouverts : les électeurs américains (ou leur « système électoral »...) porteront-ils une femme à la présidence de leur pays ? Au XIXe siècle déjà, une femme pressée ou en avance, Victoria Woodhull (1838-1927), avait tenté (à deux reprises et à vingt ans d’intervalle…) d’entrer à la Maison-Blanche...

 

« Un jour, j’occuperai la Maison-Blanche » aurait jeté la jeune Victoria, née Claflin, depuis le porche de la masure familiale à Homer (comté de Licking), dans l’Ohio profond.

Si l’Histoire l’a oubliée, elle n’en demeure pas moins la première Américaine à s’être présentée aux élections présidentielles à une époque où les femmes n’avaient pas le droit de vote et n'étaient pas éligibles à la vie publique… Lorsqu’elle annonce officiellement sa candidature, en mai 1872, elle n’a même pas l’âge requis pour entrer dans la Maison-Blanche – 35 ans pour les hommes…

Jusqu’alors, elle a été la première femme à s’exprimer devant le comité judiciaire du Congrès américain : le 11 janvier 1871, elle y plaidait la cause, encore inconcevable, du droit de vote des femmes... Ce qui l’encourage à sauter le pas suivant en posant sa candidature à la « magistrature suprême » : « Si ma campagne politique est un échec, cela servira à éduquer les femmes » confiait-elle, lucide, quant à l’issue de son aventure électorale…

En ce temps-là, le pire n’est jamais décevant pour les femmes : le jour de l’élection, le 5 novembre 1872, elle est jetée en prison pour… « obscénité » : son journal, Woodhull and Claflin’s weekly, avait consacré sa Une à la liaison adultérine que l’éminent prédicateur Henry Ward Beecher Stowe (1813-1887), le frère de la romancière Harriett Beecher Stowe (l’auteure de La Case de l’Oncle Tom…) entretenait avec l’une de ses paroissiennes – en l’occurrence, la femme de son meilleur ami, Théodore Tilton… Elle est encore en prison lors du décompte des voix – nul ne sait combien de suffrages elle a obtenus…

 

Courtière et pionnière, toujours « ensorcelante »…

 

Victoria naît le 23 septembre 1838 au foyer de Buck, un père charlatan, alcoolique et coureur de jupons, et de Roxanne, une servante taraudée par des crises mystiques. Le « chef de famille » est rapidement bouté hors de la ville par ses concitoyens excédés par ses escroqueries en tous genres. Victoria et sa jeune sœur Tennessee (1844-1923) se font de la menue monnaie avec des numéros de médium que leur géniteur a eu le temps de leur apprendre – le spiritisme est alors en passe de devenir une nouvelle religion…

A quinze ans, elle rencontre Canning Woodhull, un médecin alcoolique de vingt-huit ans qui devient son peu exemplaire premier époux et lui « donne » deux enfants, dont un garçon, Byron, lourdement handicapé. Elle fait scandale en divorçant puis en se remariant avec le colonel James Blood (tous deux étaient mariés chacun de leur côté) avant de partir à New York – ne serait-ce que pour fuir la zone des combats de la guerre de Sécession. Là naît sa fille, Zula, le 23 avril 1861.

Dans la capitale de tous les possibles, les deux sœurs rencontrent Cornelius Vanderbilt (1794-1877), le magnat des chemins de fer qui leur offre de quoi ouvrir leur charge d’agent de change, Woodhull, Calfin & Company – la toute première dirigée par des femmes.

Fascinée par ces « ensorcelantes courtières » qui font du lobbying alliant militantisme féministe, spiritisme et voyance, la presse leur ouvre un boulevard – Victoria s’y engouffre en annonçant sa candidature à la Maison-Blanche dans le New York Herald, avant de fonder son propre hebdomadaire qui sera le premier à publier en 1871 la traduction du Manifeste du Parti communiste de Karl Marx (1818-1883). Dans son organe de presse, Victoria défend non seulement le droit de vote des femmes mais également celui de choisir leur conjoint, de disposer de leur corps à leur guise (« free love »), de porter des jupes courtes voire de se prostituer en toute légalité – ce qui lui vaut d’être exclue de l’Internationale communiste par Marx…

Après une brève liaison avec le jeune philosophe anarchiste Benjamin Tucker (1854-1939), elle épouse en 1883 le richissime banquier anglais John Biddulph Martin (1841-1897), franchit l’océan et devient châtelaine sur le domaine de Manor House (comté de Norton, Worcestershire). Reniant tous ses engagements antérieurs, elle s’adonne aux bonnes œuvres, fonde avec sa fille le journal The Humanitarian en 1892 et tente une nouvelle fois, cette année-là, de se présenter à l’élection présidentielle américaine avec le soutien de son mari.

Un bail plus tard, ce dernier décède prématurément en lui léguant toute sa fortune... Métamorphosée en grande bourgeoise philanthrope, elle scandalise encore ses voisins en amazone motorisée, adepte de l’automobilisme naissant – une femme au volant d’une pétaradante « voiture sans chevaux » et conduisant à vive allure, de surcroît, est un spectacle encore peu courant voire fort peu prisé…

Pionnière en presque tout, Victoria Woodhull soupirait face au conservatisme de ses contemporains : « La vérité, c’est que je suis en avance de trop d’années sur mon époque  »… Rattrapée par la trépidante époque suivante qui préférait les excès de vitesse et la "disruption" permanente aux conservatismes, elle est tombée dans l’oubli, après avoir suscité le tout premier débat sur la capacité des filles d’Eve à investir l’arène politique, à diriger un pays ou à créer du collectif… Depuis, les femmes ont conquis le monde à toutes jambes, en ne cédant en rien ni sur leur « féminité » et leur ambition ni sur leur légitimité ou leur dû – quand bien même aucune d’entre elles n’est encore entrée à la Maison-Blanche, si ce n’est en « première dame » et, parfois, en "Secrétaire d'Etat"… Mais "jouit-on" vraiment du pouvoir comme on jouirait, en toute simplicité, de la promesse de l'aube ou de la paix du soir ?


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