Les yeux dans le potage

par C’est Nabum
mardi 8 octobre 2024

 

À la bonne soupe.

 

Soupe, potage, consommé, brouet, bouillon, minestrone ou bien encore rata, les mots ne manquent pas pour désigner ce plat qui oscille entre liquide et solide, léger ou bien roboratif, mise en bouche ou alors plat unique. Tous les possibles sont permis pour ce qui passe alors pour le sommet de l'art du « J'y fous tout ! ».

La soupe a pourtant mauvaise presse et provoque bien des grimaces dans le beau monde à l'évocation de ce plat par trop populaire. Le consommé vient à la rescousse afin de lui éviter de prendre le bouillon chez ceux qui n'utilisent la louche que pour se servir du caviar. Dans les gargotes étoilées, elle peut éventuellement trouver place à la condition d'être servie dans un dé à coudre avec mille et un salamalecs.

Laissons donc à ces gens leurs manières hautaines et leurs incapacités à goûter l'authentique pour aller remplir notre marmite de tout ce qui peut requinquer un travailleur, revigorer un mourant, ravigoter un anémique ou donner un coup de fouet à la compagnie. Quoique le fouet en la matière ne permettrait que de battre une crème qu'on poserait négligemment sur la surface de la chose pour contrarier diététiciens et nutritionnistes.

Il convient de lui préférer le moulin à légumes si vous optez pour le mixage afin de dissimuler la nature exacte du curieux mélange que vous avez constitué. Vous plongez ainsi en eau trouble au risque de réveiller la vieille légende de la soupe de cailloux. D'autres préfèreront couper les poils de poireaux en quatre et tailler menu tous les ingrédients pour donner dans le minestrone et montrer ainsi leur dextérité.

La bonne soupe peut aussi se mettre à dos les végétariens en acceptant en son sein quelques délicats morceaux de viande. Nous atteignons alors le subtil équilibre entre les saveurs et les odeurs tout en ouvrant grand tous les possibles pour l'univers des condiments et des épices. Le sel et le poivre ne sont plus les seuls exhausteurs de goûts tandis que la subtilité s'impose dans le dosage.

Il est permis encore sans être chafouin d'y incorporer du lait même si sans contestation aucune je penche davantage pour l'apport d'un gros nuage de vin dans le fond de l'assiette à soupe. Faire chabrot suppose cependant d'avoir des yeux dans le potage et parfois derrière la tête pour éviter des remarques désobligeantes ou dégoutées. L'usage s'en perd tout comme celui de casser un œuf dans le liquide bouillant.

Quant au trempage du pain, il risque de vous laisser dans la panade ! Bien des pains ne tiennent plus la soupe ni même le gruyère qu'on pourrait y adjoindre. La trempe qui permet de dresser fièrement la cuillère au milieu de son assiette est passée de mode tout comme ce bon vieux viandox qui ne se trouve plus guère dans les placards. L'exotisme a pris sa relève d'autant plus aisément que les sachets lyophilisés mènent notre bonne vieille soupe à la baguette.

Les pâtes de toute nature ont supplanté notre ancestral vermicelle qui fit la gloire de ce plat alors que les lettres ont cessé de donner aux enfants l'envie d'apprendre à lire tout en mangeant leur potage. Tout ceci est passé de mode et la soupe déshydratée a le vent en poupe, se satisfaisant d'un bol d'eau bouillante pour devenir ce qu'ils osent encore nommer un plat.

Le seul avantage que je reconnais à la chose, c'est de laisser traîner dans les rues des papiers colorés sur une face, brillants sur l'autre car il existe des adeptes de la consommation crue de la chose. On mesure ainsi bien mieux la décadence d'une époque qui se voue à l'instantané, au fade, au médiocre et à l'insipide.

Si vous voulez échapper à ce mouvement de fond, retournez à votre vieux pot, repoussez les robots aussi onéreux qu'électriques et composez vous-même une soupe, un bouillon ou encore un potage avec amour, inventivité et patience. Il vous faudra aussi éplucher des légumes, je mesure l'étrangeté de la pratique pour beaucoup, mais je vous assure que cela en vaut la peine.


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