Procès Le Pen : vers une bombe constitutionnelle ?

par Fergus
mardi 18 mars 2025

Le 31 mars à 10 heures, le tribunal correctionnel de Paris signifiera à Marine Le Pen sa probable condamnation dans l’affaire des emplois fictifs du Rassemblement national. Cette sanction judiciaire sera-t-elle assortie d’une peine d’inéligibilité avec « exécution provisoire » qui la priverait d’une candidature à la présidentielle de 2027 ? La réponse pourrait faire l’effet d’une bombe dans le paysage politique français...

Après 10 ans d’enquête, Marine Le Pen et 26 autres personnes – tous députés ou assistants parlementaires du Rassemblement national (y compris le... chauffeur de l’ancienne présidente du parti) – ont comparu du 30 septembre au 27 novembre 2024 devant le tribunal correctionnel de Paris. En cause : des emplois fictifs, mis en place afin de détourner des fonds européens au profit du RN. Au total, le Parlement de Strasbourg a estimé le préjudice de l’Union européenne à près de 5 millions d’euros.

Au terme des auditions, les procureurs Nicolas Barret et Louise Neyton ont requis des peines de prison, plus ou moins partiellement assorties de sursis, contre 11 des prévenus. Ont également été requises à leur encontre par les magistrats des amendes significatives ainsi que des peines d’inéligibilité, toutes faisant l’objet d’une demande d’« exécution provisoire ». Autrement dit, applicables dès le prononcé de la condamnation, y compris en cas de pourvoi des justiciables en appel.

Rappelons pour mémoire qu’outre les peines requises à l’encontre du Rassemblement national et des autres prévenus, les procureurs ont requis contre Marine Le Pen, alors présidente du parti, une peine de 5 ans de prison, dont 2 ans ferme, ainsi que 300 000 euros d’amende. Mais surtout 5 ans d’inéligibilité avec « exécution provisoire », ce qui aurait de facto pour effet de l’empêcher d’être candidate à l’élection présidentielle de 2027 dans le cas où les juges suivraient les réquisitions du ministère public dans toute leur rigueur.

Une disposition controversée

La loi Sapin 2 sur la transparence économique et la lutte contre la corruption permet en effet, depuis décembre 2016, de prononcer l’« exécution provisoire » d’une peine d’inéligibilité avant tout pourvoi en appel. Cette disposition est-elle conforme à l’esprit des institutions ? C’est très clairement ce qu’ont voulu établir les membres du Conseil d’état lorsqu’ils ont saisi le Conseil constitutionnel le 27 décembre 2024 d’une « Question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) sur cette disposition pénale controversée.

En l’occurrence, la saisine du Conseil constitutionnel par le Conseil d’état* n’a pas pour objet de statuer sur le cas de Marine Le Pen ni sur celui d’aucun des autres prévenus qui ont comparu avec elle. Mais sur le cas d’un élu de Mayotte, Rachadi Saindou, condamné en juin 2024 par le Tribunal judiciaire de Mamoudzou à 2 ans de prison, dont 1 an ferme, et 4 ans d’inéligibilité avec « exécution provisoire » pour des faits de détournement de fonds et de prise illégale d’intérêts commis dans l’exercice de son mandat.

Le Conseil constitutionnel rendra sa décision le 27 mars sur le cas de Rachadi Saindou. Cette décision aura-t-elle pour effet de suspendre le mandat en cours de Marine Le Pen en cas de condamnation ? Non, en aucune manière, car le cadre législatif n’est pas le même pour un élu local que pour un(e) élu(e) national(e). Du fait de son statut de députée, Marine Le Pen bénéficie en effet, comme tous les élus nationaux, d’une immunité parlementaire qui ne peut être levée que par ses pairs en cas de manquement pénal grave.

Richard Ferrand au cœur de la polémique

Si son principe est validé par le Conseil constitutionnel, l’« exécution provisoire » de l’inéligibilité de Marine Le Pen ne s’appliquerait par conséquent qu’aux élections à venir. À commencer par la présidentielle de 2027 dont chacun sait qu’elle est au cœur de l’ambition politique de la dirigeante du RN. La décision qui sera donnée le 27 mars par les « sages » de la rue Montpensier revêtira donc une importance capitale pour Marine Le Pen selon qu’elle validera ou pas la légitimité constitutionnelle de cette disposition.

Dans la négative, l’inéligibilité ne pourra prendre effet avant que le fond de l’affaire ait été jugé en appel. Dans l’affirmative, l’« exécution provisoire » deviendra effective dès lors qu’elle aura été prononcée par les juges de première instance s’ils décident de suivre les réquisitions des procureurs. Marine Le Pen pourrait dans ce cas être de facto empêchée d’être candidate en 2027, ou avant cette échéance si Emmanuel Macron était amené à démissionner pour quelque raison que ce soit.

L’empêchement de Marine Le Pen serait un séisme dans le paysage électoral français, eu égard à la position dominante du RN lors des derniers scrutins nationaux. Et nul ne peut dire quelles en seraient les conséquences aux plans sociétal et électoral. Mais une chose est d’ores et déjà certaine : les polémiques ne manqueront pas de surgir sur le cas Richard Ferrand. Quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel, son nouveau président sera mis en accusation.

Accusé par les uns d’avoir été l’instrument d’une manœuvre anti-RN. Accusé par les autres d’avoir conclu un deal avec Marine Le Pen. Avec quelles conséquences sur la longévité du gouvernement Bayrou ? Nous devrions le savoir rapidement.

La compétence du Conseil d’état ne porte que sur la justice administrative. Seuls le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation sont habilités à établir une jurisprudence en termes de justice civile et pénale

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