5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
par Sylvain Rakotoarison
vendredi 25 octobre 2024
« Et je vous le dis ce soir avec force, nous sommes ce peuple de bâtisseurs. Nous avons tant à reconstruire. Alors oui, nous rebâtirons la cathédrale Notre-Dame plus belle encore, et je veux que cela soit achevé d’ici cinq années. Nous le pouvons, et là aussi, nous mobiliserons. Après le temps de l’épreuve viendra celui de la réflexion, puis celui de l’action, mais ne les mélangeons pas. » (Emmanuel Macron, allocution télévisée du 16 avril 2019).
Pari tenu ! Au lendemain de l'incendie qui a détruit une grande partie de Notre-Dame de Paris, le Président de la République Emmanuel Macron avait donné un délai très court et audacieux pour tout rebâtir. La cathédrale restaurée sera en principe inaugurée en grandes pompes le 7 décembre 2024. La flèche a été reconstruite et redevenue visible le 19 février 2024, et les huit cloches réinstallées le 12 septembre 2024. La réouverture au grand public de la cathédrale monumentale dans six semaines, après sa fermeture et restauration depuis cinq ans, attise bien des convoitises.
Dans l'interview accordée à Claire Bommelaer et Yves Thréard pour "Le Figaro" du 23 octobre 2024, la Ministre de la Culture Rachida Dati, également chef de l'opposition municipale à la Ville de Paris, a jeté un pavé dans la mare avec cette proposition de rendre payante l'entrée de la cathédrale Notre-Dame de Paris, l'un des joyaux de Paris et de la France : « Faire payer l'entrée de Notre-Dame sauverait toutes les églises de France. ». Son premier objectif étant d'en discuter, elle l'a largement atteint en provoquant la polémique (ce qui a de triste dans ce genre de sujet, c'est que tout le monde a son avis, les uns pour, les autres contre, et ça conduit à faire un monde clivé à un moment où nous aurions bien besoin de rassemblement). Le second objectif, celui de tous les ministres, à savoir trouver des sous, c'est moins sûr de l'atteindre !
Tout est bon pour rassembler des sous, évidemment. Mais attention ! À mon sens, cette proposition est assez inquiétante de l'état de la société actuelle et plus encore de l'état de la classe politique qui semble être en perte de valeurs fondamentales.
Rappelons d'abord les arguments de la ministre et les avantages d'une telle proposition, puis insistons sur sa difficile mise en œuvre et enfin, expliquons pourquoi cela me paraît complètement scandaleux.
L'argument principal de Rachida Dati, c'est de dégager 75 millions d'euros par an pour restaurer les églises, parfois petites, de France. Sur les 50 000 lieux de culte catholiques que compte la France, 5 000 sont dans un état très grave qui nécessite une restauration pour ne pas mettre en danger ses visiteurs. Avant 2019, il y avait 12 millions de visiteurs de Notre-Dame chaque année. Rachida Dati voudrait ainsi faire porter le chapeau à ces visiteurs de la cathédrale de Paris pour sauver les églises de tout le territoire français, à la fois l'idée d'apporter des fonds et l'idée aussi d'une solidarité territoriale : « Avec 5 euros seulement par visiteur, on récolterait 75 millions d’euros par an. Ainsi, Notre-Dame de Paris sauverait toutes les églises de Paris et de France (…) Ce serait un magnifique symbole. ».
Soyons clairs, 5 euros, c'est vrai, c'est symbolique, avec probablement l'exonération pour les enfants (pour une famille nombreuse, ça peut monter très vite pour le porte-monnaie). D'où mon problème avec la calcul de la ministre : 5 x 12 millions moins les enfants (admettons un enfant pour trois adultes), je ne trouve que 45 millions d'euros et pas 75, mais je me tais, sinon, le tarif va augmenter ! Qu'importe, l'idée à discuter pour moi est plus de faire payer que de savoir combien. Il faudrait 700 millions d'euros pour restaurer les 5 000 églises vétustes, en dix ou quinze ans, ou vingt ans, ce programme serait totalement financé : intéressant donc, pour les responsables de la conservation du patrimoine. Rappelons aussi que le loto du patrimoine (organisé par Stéphane Bern) apporte chaque année entre 25 et 30 millions d'euros, soit 118 projets de restauration (de monuments historiques, pas seulement des édifices religieux).
Après tout, le principe de l'usager payeur est meilleur que le principe du tout gratuit pour les services publics, par exemple, pour les transports en commun. Qui dit gratuits dit en fait payants pour les contribuables, y compris les non usagers. C'est vrai pour les écoles (ceux qui n'ont pas d'enfants les financent aussi), mais il s'agit de solidarité comme de payer la sécurité sociale lorsqu'on n'est pas malade (le coût d'une maladie étant monstrueux). Mais dans l'exemple de la cathédrale, ce principe s'entrechoque avec le principe de la laïcité et de la neutralité de l'État.
"À cause" de la liberté du culte, seuls les visiteurs, c'est-à-dire les touristes devraient payer, et pas les fidèles, ceux qui voudraient venir prier ou assister aux messes. Déjà, rien que cette dernière phrase est bancale tant d'un point de vue théorique (inégalité face à la taxe, qu'en dit la Constitution ?) que d'un point de vue pratique (comment faire la différence ?). Et puis, je me regarde moi : j'ai visité des milliers d'églises pendant mes voyages à travers la France, et chaque fois, je m'y suis recueilli, mais aussi, je m'y suis cultivé, j'ai parfois admiré un beau vitrail, ou un autre truc. D'ailleurs, une des rares fois où je suis entré à Notre-Dame de Paris, il y avait une messe à laquelle je n'allais pas assister, prenant résolument ma casquette de touriste (bien que francilien). De toute façon, c'est tellement bruyant Notre-Dame qu'il est bien difficile de se recueillir en silence. Mais ce bruit est aussi joyeux, une église, ça vit, c'est l'animation du village. L'église est toujours vivante, par définition.
Rachida Dati a pris aussi exemple sur l'étranger : « Partout en Europe, l’accès aux édifices religieux les plus remarquables est payant. J’ai proposé à l’archevêque de Paris une idée simple : mettre en place un tarif symbolique pour toutes les visites touristiques de Notre-Dame et consacrer totalement cet argent à un grand plan de sauvegarde du patrimoine religieux. ».
Le partout est exagéré, mais c'est vrai en partie. Pour visiter la Sagrada Familia, c'est 26 euros l'entrée (qui vaut le coût !), l'Abbaye du Mont-Saint-Michel, c'est 13 euros, l'Abbaye de Westminster, c'est 36 euros (selon le cours de la livre sterling). J'ai payé aussi pour entrer à la cathédrale de Cracovie, celle de Jean-Paul II. Et en France, même si l'entrée est gratuite, certaines visites sont payantes : les dômes, les tours, les cryptes, les baptistères, les salles du trésor, etc. sont parfois à entrée payante. En revanche, les plus belles églises, celles de Rome, sont gratuites.
Entre parenthèses, la Ministre de la Culture a mis aussi sur le chantier l'idée de faire payer plus cher les touristes hors Union Européenne que les autres : « Est-il par exemple normal qu’un visiteur français paie son entrée au Louvre le même prix qu’un visiteur brésilien ou chinois ? (…) [Les] Français n’ont pas vocation à payer tout, tout seuls. (…) C’est une vraie rupture dans la politique tarifaire de nos établissements culturels. Nous sommes en train d’y travailler, pour une mise en place au 1er janvier 2026. ». Remarquons que la Russie a déjà adopté depuis longtemps cette politique tarifaire : les Russes paient beaucoup moins cher leurs musées que les étrangers. Mais revenons à Notre-Dame.
Dans cette controverse, la position est relativement simple : les croyants sont scandalisés par l'idée de faire payer l'entrée dans une cathédrale, car cela entrave la liberté du culte et empêche les plus pauvres à aller à Notre-Dame ; ceux qui ne sont pas croyants, n'y voient que les vieilles pierres et trouvent logique de faire payer comme on fait payer pour entrer dans n'importe quel monument "païen". En somme, la question est de savoir si Notre-Dame de Paris est un monument, auquel cas elle s'insère dans le patrimoine de la France sous la responsabilité du Ministère de la Culture, ou si Notre-Dame de Paris est une cathédrale, lieu de culte par excellence des catholiques français, auquel cas elle doit être en libre service et sa gestion dépend du ministère du culte, à savoir le Ministère de l'Intérieur. J'aimerais donc connaître l'avis de Bruno Retailleau sur le sujet. Mgr Michel Aupetit, l'ancien archevêque de Paris, avait en effet bien rappelé la destination de Notre-Dame juste après son incendie : « C’est un lieu de culte qui doit être rendu au culte. Notre-Dame n’est pas un musée. ». Cela a le mérite de la clarté.
La mise en pratique de proposition de Rachida Dati est en outre très difficile car comment seront choisies les églises à restaurer une fois que les sommes seront acquises ? Où ira l'argent ? Comment sera-t-il géré et avec quels frais de gestion ? La journaliste spécialiste du Vatican Caroline Pigozzi est très pessimiste sur la manière de gérer ce nouvel argent. Pour Alexandre Giuglaris, directeur général de la Fondation du Patrimoine, au contraire, ce n'est pas un problème. La Fondation du Patrimoine est prêt à s'en occuper et elle est même très alléchée par la proposition, car, évidemment, elle ne s'occupe que du matériel et pas du spirituel. Elle gère déjà l'argent obtenu par le loto du patrimoine.
En tant que croyant, je serais très choqué de voir un péage à l'entrée d'une église et plus encore d'une cathédrale. Déjà, la différence avec il y a trente ans, c'est que les églises sont souvent fermées car faute de bonnes âmes de permanence, elles ne peuvent plus rester ouvertes sans surveillance à cause des vols (ce qui n'était pas le cas dans mon jeune temps). J'ai déjà eu ce sentiment quand je voulais visiter la cathédrale de Brou, à l'entrée de Bourg-en-Bresse, dont l'entrée est payante (mais justement, l'église ou plus précisément l'abbatiale n'est plus consacrée et cet ensemble est un musée et pas un édifice religieux même s'il l'a été).
La reconstruction de Notre-Dame de Paris n'a pas eu de problème de fonds : les nombreux dons, en particulier des familles les plus riches de France, ont permis de rassembler près de 900 millions d'euros (selon les promesses de 2019, je ne sais pas si cette somme a été effectivement recueillie : selon certaines sources, 840 millions d'euros auraient été collectées et le coût des travaux auraient été de 700 millions d'euros, d'où un surplus de 140 millions d'euros qui va servir à... ?). Ce grave incendie a montré que les Français (les plus riches) pouvaient rapidement mobiliser beaucoup d'argent quand le cœur leur parlait. Inciter aux dons et ne pas taxer, ne pas imposer, c'est peut-être la clef du problème. On critique les niches fiscales mais celle qui permet d'avoir moins d'impôts parce qu'on donne à des associations caritatives ou d'intérêt public me paraît une bonne niche fiscale, peut-être faudrait-il en inventer une spécifiquement pour les dons destinés à restaurer le patrimoine religieux de la France ?
Cette collecte de dons (au final bénéficiaire) montre aussi que faire payer l'entrée de Notre-Dame alors que sa reconstruction a été totalement financée par des dons serait une grosse arnaque intellectuelle. Pour ne pas être trop polémique, la destination du surplus de 140 millions d'euros a fait beaucoup réfléchir au sommet de l'État et le Président de la République a choisi de ne pas les consacrer à la restauration d'autres églises (car ce n'était pas la destination de ces dons) et cette somme resterait toujours consacrée à l'entretien de Notre-Dame de Paris, hors travaux dus à l'incendie.
C'est cela qui est important : Jésus-Christ avait viré les marchands du temple et on voudrait les y réinstaller ? On payait déjà pour monter dans les tours, et il va y avoir un musée de Notre-Dame qui sera naturellement payant. Faire payer un lieu de culte est d'ailleurs contraire à l'article 17 de notre loi si chérie du 9 décembre 1905 : « La visite des édifices et l'exposition des objets mobiliers classés seront publiques : elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance. » (ce qu'a rappelé avec pertinence sur Twitter un internaute bien documenté).
Le débat de rendre payante l'entrée de Notre-Dame de Paris semble de toute façon mort-né car l'État doit impliquer une institution essentielle, le diocèse de Paris, qui a déjà réagi ainsi le 24 octobre 2024 : « Nous souhaitons rappeler la position inchangée de l'Église catholique en France s'agissant de la gratuité du droit d'entrée dans les églises et les cathédrales. ».
Cette gratuité est la garantie à tout le monde de pouvoir visiter la cathédrale. Et même si le visiteur n'est pas croyant, se moque de prier ou d'assister à une messe, le simple fait d'entrer dans la cathédrale, de s'y imprégner, d'admirer son architecture, sa lumière, son atmosphère, est déjà un rapprochement vers Dieu, que le visiteur le veuille ou pas. Lui mettre la barrière de l'argent signifierait que le Dieu honoré dans la cathédrale serait l'argent. Je sais que dans certains pays étrangers, on fait payer (il me semble, pas en Allemagne, mais quand on est croyant, on paie dans ses impôts l'équivalent du denier du culte à la religion déclarée).
L'État a voulu confisquer les biens de l'Église avec sa loi de séparation des Églises et de l'État, et aujourd'hui, il n'est pas capable d'assumer l'entretien de ce patrimoine volé. Il faut savoir ce qu'on veut. La loi du 9 décembre 1905 s'est montrée pertinente et moderne car elle rend l'État impartial et neutre. C'est une façon de voir très rare (nos voisins s'en étonnent régulièrement), mais il faut l'assumer jusqu'au bout. Et surtout, voulue pour l'Église catholique, elle anticipait les liens entre l'islam et la République. En quelque sorte, en instaurant un péage à l'entrée de la cathédrale de Paris (d'abord symbolique, puis on l'augmenterait et on l'étendrait aux autres cathédrales, aux autres églises et chapelles de France), on remettrait en cause cette loi du 9 décembre 1905, du moins son esprit (car on peut toujours trouver un arrangement juridique), qui nous est, nous Français, si précieuse et si irrévocable pour donner des arguments face aux partisans de l'islamisation à outrance de la société.
C'est donc philosophiquement, politiquement et surtout spirituellement que la proposition de Rachida Dati me paraît scandaleuse. Et cela n'empêche pas de faire des dons, même minimes de 5 euros, pour aider à la restauration des édifices religieux. Mais dans le seul cadre de la générosité "volontaire". Il y a trente-cinq ans environ, j'avais envoyé un don, très faible (je ne sais plus combien mais peu, et c'était en francs) pour la construction de la seule cathédrale du XXe siècle en France, celle d'Évry. Non seulement j'étais fier d'avoir participé (très modestement) à cette très belle cathédrale, mais j'avais en plus reçu un authentique brevet de bâtisseur de cathédrale ! (que j'ai perdu depuis longtemps). Bref, arrêtons de taxer encore et encore les Français !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 octobre 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
Jean-Louis Georgelin.
Eugène Viollet-le-Duc.
Notre-Dame de Paris : la flèche ne sera pas remplacée par une pyramide !
La Renaissance de Notre-Dame de Paris : humour et polémiques autour d’une cathédrale.
Allocution du Président Emmanuel Macron du 16 avril 2019 (texte intégral).
Notre-Dame de Paris, double symbole identitaire.
Maurice Bellet, cruauté et tendresse.