Lettre ouverte à la CGT suite à l’exclusion d’un syndicaliste pro-palestinien

par Alain Marshal
lundi 17 juin 2024

Lettre de Laurent DE WANGEN (CGT Educ'action 75) à Isabelle VUILLET et Michaël MARCILLOUX, co-secrétaires de l'Union Nationale des Syndicats de l’Education Nationale (UNSEN), et à Sophie BINET, Secrétaire Générale de la CGT, protestant contre l'exclusion d'un syndicaliste qui a critiqué publiquement les positions de la Confédération suite au 7 octobre, trop poreuses à la propagande israélienne.

Camarades,

Effaré, comme d’autres camarades, par la décision d’exclusion de Salah de la CGT Educ’action du Puy-de-Dôme survenue le 12 avril 2024, je tiens à ajouter ce témoignage personnel au dossier.

Connaissant Salah depuis près d’une dizaine d’années, j’ai pu admirer son intégrité et son engagement inébranlable aux côtés de la juste lutte du peuple palestinien. Nos discussions m’ont beaucoup apporté car il a une connaissance du monde arabo-musulman que je n’ai pas. En particulier, polyglotte (il parle anglais, arabe et français couramment), il a accès à des sources auxquelles peu de Français ont accès. 

Surtout, au-delà de la question palestinienne, sa droiture et sa détermination ne peuvent être qu’un atout dans une structure syndicale. À condition de donner ses chances au syndiqué en question et je pense qu’une grande partie du problème vient de là.

Les 6 motifs de sanction avancés pour exclure Salah sont :

1/ « diffamation de l’ensemble des membres du Bureau » (c’est-à-dire s’être plaint d’être victime de discriminations et mis à l’écart) ;

2/ « menace de rendre publics des propos diffamatoires » (c’est-à-dire de dénoncer une situation d’injustice) ;

3/ « demande stigmatisante sur l’origine d’un membre du Bureau » (c’est-à-dire d’avoir souligné qu’il était le seul Arabe de l’équipe) ;

4/ « utilisation à des fins personnelles du fichier ‘Adhérents’ du syndicat » (c’est-à-dire d’avoir adressé par email les pièces du dossier à l’ensemble des syndiqués qui devaient se prononcer sur son exclusion) ;

5/ enregistrement illicite d’une réunion de Bureau ;

6/ diffusion de cet enregistrement, notamment sur You Tube.

Des 6 motifs susmentionnés, aucun ne justifie une mesure aussi radicale que l’exclusion d’un syndicat qui prétend être ouvert aux divergences d’opinion. D’autant plus que ces motifs sont simplement énoncés sans argumentation ou preuve à l’appui, ce qui laisse ouverte la suspicion de purge arbitraire cachant d’autres motifs.

La CGT, qui s’enorgueillit d’être un syndicat de masse et de classe respectant scrupuleusement les différences ethniques, idéologiques et religieuses des travailleurs et travailleuses, se doit de regarder ce dossier de façon nettement plus approfondie (avec débat contradictoire, ce qui n’a pas été le cas au sein de la CGT Educ’action 63) avant de prendre une décision aussi extrême que l’exclusion d’un travailleur syndiqué. 

Le principal motif d’exclusion – pour ne pas dire l’unique – d’un tel syndicat devrait être le refus obstiné de défendre les droits de certains salariés, ce qui n’a à aucun moment été reproché à Salah.

La diffamation est certainement l’accusation la plus grave – les autres motifs pouvant facilement se régler en interne – mais il faudrait l’étayer de façon un peu plus sérieuse et comprendre ce qui est à l’origine de cette soi-disant diffamation.

En effet, l’enregistrement de la réunion du 10 novembre 2023 [dont la retranscription intégrale est accessible ici] montre bien la violence dont a été victime Salah, seul face à une bande de 9 copains reconnaissant explicitement sa mise à l’écart et lui demandant instamment de démissionner du Bureau, puis s’énervant face à son refus d’obtempérer. L’un des membres de cette équipe ira même jusqu’à menacer de le frapper en fin de réunion pour le faire céder, une autre se permettra de lui dire : « Tu salis ma religion », tandis qu’un autre lui reprochera de ne pas considérer le Hamas comme un groupe terroriste et lui dira : « Ta religion n’a rien à faire à la CGT. »

Une semaine plus tard, ce même camarade le diffamera bel et bien en l’accusant de l’avoir traité de « mécréant » durant la réunion du 10 novembre et en le menaçant de poursuites judiciaires sur cette base pour l’intimider et le faire passer pour un extrémiste, avec le soutien tacite des autres membres du Bureau, comme le démontre un second enregistrement publié par Salah. Face au refus obstiné de la CGT Educ’ 63 de faire la lumière sur ces accusations qui n’ont jamais été formulées à l’écrit, Salah n’avait pas d’autre choix que de publier ces enregistrements pour se disculper. 

Il est particulièrement préoccupant de voir qu’aucun des syndiqués de cette section n’a semblé ému par ces procédés indignes qui salissaient et mettaient en danger leur propre camarade et collègue, au moment où tant de militants et syndicalistes étaient inculpés abusivement pour « apologie du terrorisme » à cause de leur soutien pour la Palestine. Qu’en disent l’UNSEN et la Confédération ?

Ce qui me pose problème et me met mal à l’aise dans toute cette affaire est les non-dits dans l’acte d’accusation. Je ne peux m’empêcher de penser que Salah a été exclu parce qu’il était isolé au sein du groupe de ses pairs du fait de certaines positions politiques et/ou religieuses :

- sur la Palestine avec son refus de condamner l’opération du 7 octobre 2023 de la résistance palestinienne ;

- sur l’école privée et confessionnelle avec son refus de dénigrer celle-ci ;

- sur ses convictions et pratiques religieuses.

À titre personnel, je précise que mes vues sur la Palestine sont proches de celles de Salah (je suis d’ailleurs signataire de la tribune qu’il a initiée pour dénoncer les positions initiales de la CGT, juste après le 7 octobre, concernant la Palestine), mais que je ne partage pas ses opinions sur les deux autres points. Mais à ma connaissance, il n’y a pas de délit d’opinion à la CGT.

Il est facile de prétendre être tolérant et lutter contre le racisme et l'islamophobie systémiques, mais évidemment beaucoup plus difficile de pratiquer cette ouverture d’esprit. 

Compte tenu de ces éléments, je me verrais dans l’obligation de démissionner de la CGT Educ’action si l’exclusion de Salah, qui est dénoncée dans cette pétition demandant sa réintégration, était confirmée à l’issue de la procédure d’appel.

Fraternellement,

Laurent DE WANGEN

CGT Educ’action 75

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Message adressé à l'UNSEN par la section CGT Educ'action d'un lycée parisien

Bonjour, 

Personnels syndiqués à la CGT Educ’action 75, nous avons appris l’exclusion de notre camarade Salah L. suite à un vote en CSD du syndicat Educ’action 63.

Nous avons été choqués de découvrir qu’il était ainsi possible d’être exclu d’un syndicat CGT.

Nous ne comprenons pas qu’un collègue puisse être privé de la solidarité et défense mutuelle de ses droits qu’assure le fait d’être syndiqué à la CGT, et ce lors d’une procédure dont le déroulement qu'il nous a raconté, sans débat et aux motifs peu précisés, peuvent laisser penser que cette décision est liée à son engagement pour la cause palestinienne. Cette exclusion nous choque d’autant plus que cela s’inscrit dans un contexte général très répressif sur le sujet de la Palestine, comme le montre la condamnation de notre camarade Jean-Paul Delescaut de l’UD CGT du Nord.

Serait-il possible que l’UNSEN mette en place une médiation pour voir ce qui peut être fait pour clarifier et apaiser la situation, et s’assurer que notre camarade pourra toujours être défendu comme chacun de nous ?

Yassine Chabane, Mohsen Chouaikhia, Pascale Jeay, Yassine Khaled, Maxime Pelletier, Agnès Robin, Laurent de Wangen, Olivier Martin (sympathisant)

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Commentaires rétrospectifs sur la procédure d'exclusion, par Bruno DRWESKI, défenseur de Salah 

Extraits de la Plaidoirie en défense d'un syndicaliste pro-palestinien menacé d'exclusion

Le CSD qui s’est tenu dans la matinée du vendredi 12 avril 2024 s’est passé de façon plutôt insolite :

- nous avons présenté notre point de vue et soulevé plusieurs questions

- les partisans de l’exclusion (le Bureau) ont présenté leur point de vue, essentiellement en lisant une déclaration préparée à l’avance, dans laquelle 6 chefs d’accusation qui justifieraient difficilement une exclusion définitive ont été énoncés sans être étayés, avec en complément la lecture de déclarations jugées problématiques de Salah sur la Palestine, les écoles confessionnelles et les thématiques IVG/LGBT

- la salle a pu émettre des observations 

- nous avons eu le mot de la fin.

Mais à aucun moment la discussion prévue, et même attendue au vu des enjeux, n’a pu avoir lieu. Salah L. a protesté contre cette procédure qui le privait de toute opportunité de débat contradictoire, indispensable pour éclaircir les points de litige. Il a demandé à ce qu’elle soit au moins soumise au vote, et elle a été adoptée à l’unanimité moins sa voix.

Mes questions sur les capacités et activités de défense des travailleurs par Salah L. et son impartialité à le faire sont donc restées sans réponse : or, elles touchaient aux problèmes fondamentaux qu’on devrait poser à tout militant syndical, sans s’égarer dans des questions personnelles, morales, individuelles ou émotionnelles. La question de la chronologie des faits n’a pas non plus reçu de réponse : en effet, la procédure d’exclusion a été lancée après la pétition sur la Palestine et non avant, alors que les autres divergences mentionnées étaient connues de longue date.

Un vote à bulletin secret a conclu cette succession de monologues : 29 voix ont voté pour l’exclusion, 1 voix contre, 1 abstention. Cette section CGT compte environ 160 syndiqués, donc environ 1/5e étaient présents.

Salah L. est reparti avec sa notification d’exclusion, qui était pré-imprimée. Une procédure d'appel est en cours. 

***

Si ce n'est déjà fait, je vous invite à signer et à faire largement circuler cette pétition sur change.org, qui appelle à ma réintégration à la CGT, d'où j'ai été exclu pour avoir initié une pétition dénonçant les positions ambigües de la Confédération sur la cause palestinienne suite au 7 octobre (que vous pouvez également lire et signer ici).

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