« Un p’tit truc en plus » a bien un p’tit truc en plus !

par Vincent Delaury
lundi 27 mai 2024

Mais où s’arrêtera ce petit film ?! Déjà plus de quatre millions d’entrées (les 5 millions étant déjà assurés), au box-office hexagonal pour Un p’tit truc en plus, s’offrant même le luxe de réaliser le meilleur départ de l’année, devant le blockbuster Dune 2. Cette comédie, solaire et joviale, se déroulant dans une colonie de vacances pour jeunes adultes en situation de handicap, est le film-phénomène à succès du moment, signé par l’humoriste cathodique Artus (36 ans), stand-upeur et, depuis quelque temps, acteur au cinéma, qui s’est même offert mercredi dernier, à 18h30 pétantes, avant la projection officielle du coûteux Comte de Monte-Cristo de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière (+ Alexandre Dumas !), une montée des marges tonitruante et festive sur le tapis rouge des marches du prestigieux, et riche, Festival de Cannes – qui, on l’a vu avec tristesse, n’a encore, cela devrait changer l’an prochain, ouf, aucun appareillage idoine pour permettre aux participants handicapés de prendre part à la fête en se passant de l’aide, gênante, des valides – en présence de certains de ses comédiens handicapés des plus enjoués (autistes, trisomiques, handicapés moteur…, qui s’appellent Marie, Ludovic, Sofian, Mayane-Sarah ou Arnaud), grave boostés, « Je suis Marilyn Monroe !  », disait Marie toute vêtue de blanc, aussitôt complimentée par Alice Belaïdi (« T’es très très jolie, ma chérie »), par le triomphe de leur transport en commun, sans œillères, qu’est ce film du vivre-ensemble, avec un p’tit truc en plus, traçant sa route sans mièvrerie ni sensiblerie et encore moins pathos. Tout du long, c’est une sorte de road-movie campagnard, on a envie d’être avec eux, tant ils s’avèrent attachants, gonflés et touchants.

Les membres de l’équipe du film « Un p’tit truc en plus », lors de leur montée (controversée) des marches à Cannes, le mercredi 22 mai 2024. ©Photo Sarah Meyssonnier / Reuters

Le fabuleux destin d’Un p’tit truc en plus

Arnaud Toupense dans « Un p’tit truc en plus » (2024, Artus)

« Ils ont débarqué en stars, c’est le plus beau cadeau qu’on puisse leur faire  », a déclaré à raison, au sujet de ses comédiens fêtés à Cannes, Artus, artiste engagé parrain des Jeux Paralympiques et de Handicap International, qui, depuis plusieurs années, aborde avec humour et sensibilité ce thème délicat de la différence, enrichissante et révélatrice, dans ses sketchs, au Montreux Comedy Festival par exemple, ajoutant, concernant cette montée des marches des minorités invisibles sapées comme des milords façon Que le spectacle commence !, dans Aujourd’hui en France n°24802 du jeudi 23 mai 2024 (cité par Catherine Balle, in l’article Cannes chavire pour leur p’tit truc en plus, p.26) : « [c’est] l’aboutissement d’une aventure qui a été folle, humainement. Quand je vois des influenceurs sur le tapis rouge, je me dis que ces comédiens-là ont plus de légitimité à y être. Venir à Cannes, c’est une façon de prolonger notre plaisir. On aurait déjà été contents de tous se retrouver dans un festival à la montagne avec trois pélos. Mais là, il y a en plus cette magie de Cannes. Je pense que ça va être un souvenir gravé pour tout le monde et une photo qu’on aura tous dans notre chambre. » 

C’est aussi une belle revanche, pour cet homme de scène connaissant en ce moment son heure de gloire, de voir ici ses comédiens « de la marge » sur leur 31, avec notamment de chouettes costards portés par les garçons et des diamants prêtés, à toutes les filles, par le groupe Kering ainsi que par le joaillier Korloff alors que son film, difficile à monter, fut longtemps boudé non seulement par les marques de luxe – on se souvient de sa colère saine sur France Inter, Artus s’était alors indigné qu’aucune marque de luxe n’ait accepté d’habiller ses comédiens pour la montée cannoise, depuis, et avec l’appui influent, à l’en croire Libé, de coups de fil du gouvernement aux grands patrons, les groupes LVMH et Kering sont entrés dans la danse en participant, en termes d’accessoires prêtés, de la fête -, mais également par un certain nombre de décideurs du milieu du cinéma, ne croyant pas au potentiel commercial d’un tel projet à part, regroupant au départ une poignée d’acteurs en situation de handicap mental : « On s’est heurtés à beaucoup de refus. On a entendu des phrases complètement dingues - "bon, ça va, on sait qu’ils existent, on va pas les montrer non plus "… C’est affligeant. Ça raconte la peur, le rejet que suscite le handicap, aujourd’hui encore. Mais justement, c’est pour ça qu’il faut aller sur ces sujets-là. Moi, en tous cas, plus on me disait "non", plus j’avais envie de faire ce film. » 

C’est, il faut bien le dire, pour ce P’tit truc en plus ayant le vent en poupe, un triomphe inattendu, porté davantage, comme souvent pour une comédie populaire française, par un très bon bouche-à-oreille plutôt que par la presse établie, par exemple Le Monde et Télérama ne lui ont accordé qu’une p’tite place dans leurs pages, en haut à droite (certes, c’est mieux que rien), en faisant pour autant grosso modo la fine bouche (respectivement « Comme on pouvait le craindre, la frontière entre burlesque et inconséquence y est fragile. Pendant une trop grande partie du récit, le personnage joué par Artus imite une personne trisomique avec des mimiques obscènes et franchement embarrassantes » et « une comédie généreuse mais digne des Bisounours »), pendant que Le Canard enchaîné, lui, dans son édition du mardi 30 avril 2024, l’ignorait carrément de sa sélection des films de la semaine à voir ou à ne pas voir. Mal joué ! Petite précision, comme souvent avec les comédies « familiales », la province fait la course en tête, contribuant largement au succès phénoménal de ce P’tit truc en plus, laissant, jusqu’à encore récemment, la capitale plus indifférente, le film ne comptant que 7% de ses entrées à Paname. Mais il se dit, dans l’oreillette, que la tendance serait en train de passer à l’équilibre : Paris pouffe de rire également, youpi.

L’artiste Artus invité sur le plateau télé de l’émission d’Anne-Élisabeth Lemoine, « C à vous » (France 5), le lundi 20 mai 2024, pour la présence à venir à Cannes de son « P’tit truc en plus »

Franchement, à mon avis, ça peut faire 10 millions d’entrées, ce p’tit truc au cinoche, en allant lorgner du côté des Choristes, détenant encore le record du meilleur box-office pour un premier film : 8,4 millions d’entrées. il a assurément Un p’tit truc en plus. Grand film ? Euh là, on s’en fout un peu, laissons ça aux filmologues patentés. Ce qui est sûr c’est qu’il est bourré d’humanité, c’est ça, sa force ravageuse, s’accompagnant, en outre, d’une bouffée d’air frais agréable : nous voilà avec un grand bol d'air à la campagne, via un mauvais réseau pour les téléphones portables, ce qui laisse le temps, enfin, pour s’intéresser aux autres et non plus à son propre nombril ou à ses Like en série, en compagnie de handicapés (la caméra s’attardant souvent en gros plan avec affection, mais sans aucun voyeurisme ni la moindre méchanceté, sur leurs visages très expressifs). Ce long-métrage, aucunement ennuyeux, filme pêle-mêle les invisibles que sont les handicapés (autisme, traumatisme crânien, syndrome de la Tourette, accidenté de la vie, victime de tocs, etc.), légers ou lourds, en riant avec eux et non pas d’eux ou contre eux - ce qui n’empêche pas de cultiver, parfois, à leur égard, un humour déjanté façon les frères Farrelly des States, pour rire ouvertement, et souvent à l’aide de vannes effrontées, du handicap.

« En matière de handicap, précisait récemment dans Libération (#13338, 23 mai 2024, p. 25), Julien Richard-Thomson, le président du Syndicat professionnel du cinéma en situation de handicap (SPCH), qui, à l’année, s’occupe de plaider un universalisme total du je(u) pluriel auprès des écoles de cinéma, des agences, des distributeurs, producteurs et scénaristes (« Il est temps qu’un invalide puisse jouer un valide, et vice-versa »), [Ces Anglo-Saxons farcesques] c’est la référence absolue. Aucun handicapé n’est choqué par eux alors que c’est un traitement le plus trash qu’on ait trouvé sur le sujet. Normal, nous connaissons bien l’autodérision. Le rapport entre rire et handicap a toujours été central  », ajoutant, toujours dans le même papier, non sans clairvoyance, voire vista, et avec un certain tranchant, sachant qu’il prépare actuellement un documentaire sur le sujet casse-gueule du handicap dont on peut se marrer, sans tomber pour autant dans un racisme anti-handicapé à gerber, inséré dans les films drôles – vanner et être vanné -, dits inclusifs : « Qui cite-on inlassablement depuis vingt ans ? Mimie Mathy ? Jamel Debbouze ? Et c’est tout. » Très juste. En outre, il est à noter qu’on n’avait pas vu à Cannes un film avec pour moteur narratif le handicap mental de naissance mis en lumière depuis l’historique Huitième jour, c'était en... 1996, comédie dramatique franco-belge de Jaco Van Dormael qui, alors en compétition, en était reparti avec un prix d’interprétation masculine ex-aequo remporté par Daniel Auteuil et Pascal Duquenne, acteur belge porteur de trisomie 21. Disons-le, les temps changent, et les mentalités également, mais fort lentement.

Artus, dans la fameuse scène dans les douches de son « P’tit truc en plus »

Cette remise au centre des marginaux (forcés), c’est l'atout-force principal, au fond, qu’offre aux intéressés et aux spectateurs, valides ou non, cette réjouissance collégiale champêtre d’Un p’tit truc en plus, à la bonne humeur débordante, des plus contagieuses, « film de potes » trouvant, selon moi, le bon dosage, ou juste milieu, entre humour, trash (ou esprit potache), tendresse et bienveillance ; il arrive souvent, on le sait bien, que de bonnes intentions n’accouchent pas, in fine, de bonnes œuvres, mais là, hormis quelques maladresses et facilités (long qui enjolive de trop, avouons-le, le monde des handicapés, moteurs ou mentaux, sans s’autoriser une certaine noirceur, à l’inverse de films « du genre » plus ambitieux et pénétrants comme Vol au-dessus d’un nid de coucou et Rain Man), le film fait très souvent mouche. Au rayon de l’émotionnel, et on évitera ici volontairement de jouer au snob blasé, Un p’tit truc en plus a bel et bien un petit truc à lui, il marque indéniablement des points : son capital sympathie est hénaurme ! C’est un feel good movie inclusif et puissamment partageur – je l’ai vu dans une salle comble, la 8, à l’UGC Ciné Cité Les Halles, Paris, avec des applaudissements nourris dès le générique final. On rigole, on chiale. C'est parfois édifiant (la séquence au supermarché montrant des handicapés physiques ou mentaux, mais non pas handicapés de la vie (ils sont gourmands de l’existence et de ses délices), mettant de la joie et du foutraque libertaire dans les rayons d’un supermarché Leclerc) et souvent bouleversant, telle la séquence Paroles, paroles, soudain la belle voix chaude d’Alain Delon, en 1973, année de la création de cette chanson nostalgique, il était au firmament de sa beauté, jaillit parmi les « différents » du foyer, tous au lit dans le dortoir, bonne nuit les petits, ou celle du procès, véritablement poignante.

Alors qu’Un p’tit truc en plus, la comédie d’Artus - qui était auparavant gros, donc s’étant longtemps senti concerné par le regard des autres sur lui et ceux qu’on appelle handicapés, Victor Artus Solaro, qui a grandi en France et en Suisse, a choisi son pseudo en relation avec son physique massif, « J’ai choisi Artus , ça veut dire "ours" en slave. Ça correspondait à mon physique », poursuivant, « les différences sont une force, j’en suis convaincu. Si on peut en rire, c’est sain et c’est mieux : moi-même, j’ai été gros et j’ai été le premier à faire des vannes sur mon corps  » - vient d’enregistrer 1,3 millions d’entrées en troisième semaine, encore plus que lors des deux précédentes !, pour un total, pour l’instant, de plus de 4 millions, voici, à titre informatif, quelques propos, recueillis par Grégory Plouviez, d’Éric Marti, directeur de Comscore, société spécialisée dans l’analyse des entrées, parus dans Aujourd’hui en France #24802 (23 mai 2024, p. 26), pour essayer d’appréhender un tel phénomène, davantage sociologique que purement cinématographique (n’en faisons pas un chef-d’œuvre non plus !) : « En première semaine, il a éclipsé Fall Guy (avec Ryan Gosling), en deuxième, il est resté devant La Planète des Singes. Désormais, on sort du cadre de statistique normal, on est face à un phénomène. Dans ce genre de cas, le film ne résiste plus aux logiques comptables, c’est le public qui s’en empare. En devenant le film que tout le monde veut voir, comme ça a pu l’être dans le passé pour Intouchables ou Bienvenue chez les Ch’tis, on élargit le public potentiel en touchant les 60% de Français qui se rendent occasionnellement au cinéma, soit une trentaine de millions de personnes. C’est la beauté du cinéma français de provoquer des phénomènes qui sortent de tout modèle. C’est le premier depuis le Covid. [Plus de 10 millions de billets vendus ?] C’est encore trop tôt pour le dire. Il faudra voir s’il se maintient jusqu’à la Fête du cinéma, fin juin, et le début de l’été. La barre des 5 millions d’entrées est évidemment dans sa ligne de mire. Après, ça peut être 8, 12 ou au-dessus… [Le calendrier est-il favorable  ?] Oui. Parce qu’il y a des films ambitieux qui viennent, comme Furiosa ce mercredi, puis Le Comte de Monte-Cristo (28 juin), Moi, moche et méchant 4 (le 10 juillet)… S’il reste encore à ce moment-là "le film à voir", il bénéficiera d’un marché soutenu et profitera du vent des autres. [Et à l’international  ?] Les trois week-ends derniers, Un p’tit truc en plus, est apparu dans le top 10 du box-office mondial. C’est exceptionnel. Seuls les films chinois sont, d’habitude, capables d’en faire partie avec des films sortis uniquement sur leur territoire. Je commence à recevoir des coups de fil de l’étranger autour de Little Something Extra (la traduction du nom du film en anglais). Ça suscite de la curiosité… et de l’intérêt. Les Américains se souviennent qu’un autre phénomène du même genre, La Famille Bélier (7,4 millions de spectateurs en 2015) avait été adapté chez eux (sous le nom de Coda) et remporté l’Oscar du meilleur film (en 2022). [Enfin, est-ce un bon signe pour relancer une fréquentation en berne en France ?] On peut se réjouir d’une chose : quand un film français cartonne et que, en même temps, un Américain est au rendez-vous comme c’est le cas avec La Planète des Singes, immédiatement, on retrouve un marché au-dessus du niveau pré-Covid alors qu’on était jusque-là 20 à 25% en deçà. Dès que les locomotives sont là, ça repart !  » 

Focus bienveillant sur les personnes handicapées

Portrait d’Artus dans le magazine « Aujourd’hui en France/Week-end » (vendredi 24 mai 2024). ©Photo (détail) Olivier Lejeune

Au fait, que raconte précisément ce P’tit truc en plus ? Artus passe derrière la caméra, tout en restant devant (il s’est réservé le rôle-titre aux côtés d’acteurs aguerris, tels Clovis Cornillac (truand impatient et nerveux, dit « La Fraise », bientôt résilient) et Alice Belaïdi (solaire et dynamique, boule d'énergie), et d’une troupe amatrice) : pour échapper à la police, un fils et son père en cavale, après le casse d’une bijouterie, se cherchent une planque idéale. Par inadvertance, ils trouvent refuge dans une colonie de vacances pour jeunes adultes en situation de handicap, au sein d’un gîte dans le Vercors (de superbes paysages à l’écran, tournage notamment dans la commune d’Izeron puis à Saint-Nazaire-en-Royans), en se faisant passer pour un pensionnaire, à handicap, et son éducateur spécialisé.

C’est le début d’une formidable aventure humaine, cette expérience collective au sein d’un groupe de handicapés mentaux en vacances en plein air (on y croise un foyer associatif fait de bric et de broc avec des éducateurs dévoués, une maison de vacances dont la location est trop chère puis, en vrac, atelier poterie, parties de foot, table gourmande réalisée en équipe, séance de relaxation freestyle et autres trip en canoë) va les changer à jamais, en les révélant à eux-mêmes. « J’ai toujours eu envie, précise l’acteur-réalisateur, de montrer ce dont sont capables les personnes porteuses d’un handicap mental : elles ont un imaginaire incroyable, une magie, ou une folie, qu’on ne rencontre pas ailleurs. C’est avec elles que je voulais faire un film. Pas sur elles. Le handicap, en soi, n’est pas le sujet. Ce film, c’est une colonie de vacances, avec tous les moments de vie que cela suppose, mais puissance mille parce que l’histoire, est portée et jouée, par des gens qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma  », explique Artus pour son premier long en tant que réalisateur, ne manquant pas, par ailleurs, d’ajouter son personnage de Sylvain, qu’il joue sur scène, sur les réseaux sociaux et désormais au ciné, il y a de toute évidence une nette complicité entre ce faux invalide et les vrais handicapés : « Je l’ai fait, ajoute Artus, parce qu’au fond, j’avais très envie de jouer avec tous ces comédiens. C’est un film où je voulais mettre mes tripes : il fallait que je sois dans la mêlée. » Eh oui, on n’est jamais mieux servi que par soi-même, surtout lorsqu’on ne porte pas un patronyme pouvant aider, genre Seydoux.

Toute la troupe allègre d’« Un p’tit truc en plus » menée, bille en tête, par la pétillante Alice (Belaïdi)

Un p’tit truc en plus, long choral riche de sa palette de personnages pétaradants, variés et hauts en couleur, c’est un vrai film de troupe, s'autorisant même la parenthèse enchantée du comique troupier, façon petite vadrouille : Artus comédien, en pied nickelé camouflé, se défend bien, Alice Belaïdi est un rayon de soleil, Clovis Cornillac en caïd chafouin est excellent et toute la bande d’acteurs amateurs en situation de handicap, dont un très bon imitateur de Nicolas Sarkozy (cf. Stanislas Carmont !), est follement attachante, un brin foutraque. En somme, Un p’tit truc en plus, avec son air tout modeste de téléfilm (ce qui, à dire vrai, n’est pas honteux), est un film formidable, et généreusement pluriel : savoir regarder l’autre, le handicapé, l'invisible ou celui qu'on ne veut pas voir, en n’ignorant pas non plus la dimension sexuelle, et amoureuse, dans sa vie de tous les jours.

Artus, Sayyid El Alami (« La Pampa », Antoine Chevrollier) et l’actrice principale d’« Un petit truc en plus », Alice Belaïdi, dans le show TV spécial Festival de Cannes sur France 5 d’Anne Élisabeth-Lemoine, « C à vous », le lundi 20 mai dernier

On imagine aussi, devant ce film jubilatoire, le casse-tête qu’a dû représenter son tournage épique, avec une quinzaine de non-valides réunis (trente-cinq jours en tout, via la présence hors champ des parents et des éducateurs dont le cinéaste, au passage, a salué leur activité pas assez reconnue : « La force des éducateurs m’a à nouveau bluffé : ils sont payés une misère, mais ils viennent parfois de très loin, en minibus, avec deux, trois, quatre adultes dont ils s’occupent… Ils croient en eux, ils aiment leur boulot, ils y vont ! Je le savais déjà, mais ça m’a scotché. ». « Pour moi, note encore le chef d’orchestre Artus, à la recherche de son « clown intérieur » pour se réaliser pleinement parmi ses amis de la marge, ils étaient au centre et le film était choral : donc il n’y a pas une scène sans eux. Après, dans le groupe, chacun avait une place particulière… Et il fallait trouver, avec chacun, une technique spécifique pour les diriger – pour Ludovic, le mieux c’était l’oreillette, mais Arnaud, lui, préférait que je dise sa réplique avant lui, pour qu’il la répète… Ils ne connaissaient pas le plateau de tournage et ses règles, ils s’en foutaient un peu – eux étaient venus pour jouer.  »

Oui, voilà, on voit que ces « handicapés » jouent cash, comme des gamins campant des cowboys et des Indiens comme dans une grande récré, et c’est cette joie simple, des plus communicatives, qui emballe le morceau, leur surmoi ne cadenassant jamais leur grand naturel et leur appétence à vivre, à créer, à expérimenter. Encore un mot – très juste – d’Artus : « Petit, j’étais très attiré par la fantaisie des personnes porteuses d’un handicap mental, par leur capacité à se décaler : tu peux être sûr qu’ils t’emmènent ailleurs et ça fait du bien. Et puis ils ont souvent cette façon d’exprimer leurs émotions sans filtre. Nous, on est tellement empêtrés qu’on arrive rarement à dire "je t’aime/merci/je suis content d’être avec toi" simplement. Alors que c’est de ça dont on a besoin… Eux savent le faire. » Son petit (grand) film est bien le reflet de cette ouverture d’esprit, s’offrant, en beauté, chemins de traverse, école buissonnière proche de l’échappée belle et pas de côté libérateur. 

Une pincée de Total Western

À dire vrai, avec Un p’tit truc en plus, on s’attend à une comédie lambda et facile limite ennuyeuse, ou cousue de fil blanc, mais non, certes il y a quelques ficelles (il est de la même famille d'accueil que celle des Intouchables, Huitième jour, Hors normes et autres Famille Bélier), mais ça se maintient bien, c’est une comédie d’été, par beau temps !, aux airs de vacances revigorantes, joliment scénarisée, tout en laissant de l’air (pas si loin par moments de la captation du documentaire (ou cinéma du réel), entre le plancher des vaches et la nuit étoilée sur fond de l’iconique Dalida, en guise de leitmotiv et de gimmick, cf. Arnaud, fan de la chanteuse de variété, à l’écran et dans la vie, «  C’était à nous [les soi-disant valides], dixit Artus, de laisser vivre, à nous de nous adapter. J’ai dit à mon chef opérateur, Jean-Marie Dreujou : quoiqu’il arrive, il faut qu’on soit sur le qui-vive et il faut filmer. Tant pis si on n’est pas officiellement en train de tourner, ce qui surgit, il faut le choper. Ce qu’on voit, à l’image, ce sont des moments vrais. Pas du jeu »).

Puis, bonne nouvelle, ça finit comme du Capra (La vie est belle), sans oublier un détour par Chaplin et son tragi-comique. J'ai même pensé à Total Western (2000, Éric Rochant), un film sous-estimé que j'aime beaucoup, au pitch de départ assez similaire. Eh oui, rappelons-nous, dans cette comédie policière un brin brindezingue, qui comptait au casting Samuel Le Bihan (sachant que, à la ville, ce comédien a lui-même une fille autiste), Jean-Pierre Kalfon et Jean-François Stévenin, dans un rôle d’éducateur zélé, un malfrat nommé Bédérarax (Bihan), après un deal qui dégénère, part se mettre au vert, afin de se faire oublier, au fin fond de l’Aveyron, dans un centre d’hébergement pour jeunes délinquants. La campagne, ses joies, ses affres et ses pieds nickelés en goguette, ça ne vous rappelle rien ? Bon, en même temps, il n’y a pas plagiat de la part d’Artus, il y a juste forte inspiration, un film ne naît pas de rien, il n’existe pas de création humaine ex nihilo.

Franchement, chapeau, Artus, pour sa première réalisation - j'avoue que je ne le connaissais jusqu’à présent que dans ses apparitions télé gaguesques en train de se tournicoter les tétons puis dans une prestation cinématographique en 2022 avec le trop rare Lanvin, J'adore ce que vous faites -, parvenant, avec son P’tit truc en plus, à signer un joli p’tit film bien calibré, valant largement le détour et s’offrant, au passage, le luxe pendant une semaine, tel David contre Goliath, de faire la course en tête au box-office, dépassant même - cocorico ! - le blockbuster ricain du moment, marchant bien d'ailleurs, qu’est La Planète des Singes, Le Nouveau Royaume. Un p’tit truc en plus, c’est vraiment un chouette petit film (du 4 sur 5 pour moi, ©photos V. D.), faisant chaud au cœur. À l'arrivée, obtiendra-t-il le César du Meilleur premier film lors de la prochaine, et cinquantième, cérémonie ? Pas impossible, tant il est fédérateur et roboratif. Puis, ça permettrait de mettre encore plus, sous les feux de la rampe, les handicapés, ces oubliés de la société comme du 7e art. Et, pour rappel, populaire est loin d’être un gros mot.

Un conseil, ne boudez pas votre plaisir : allez voir ce long au P'tit truc en plus  ! En ces temps troublés de sinistrose ambiante et de fracas des armes, c’est le genre de « film doudou », célébrant avec simplicité la solidarité et l'amitié dans le respect de la différence, qui fait vraiment du bien ; l’on s’y fait beaucoup de câlins réconfortants, entre adultes consentants. Il s'agit d'une comédie loufoque s’ouvrant joyeusement, dans ses grandes lignes, à la différence, en acceptant le fait d’être enrichi par des marginaux que l’on remet ici au centre de l’attention, ce qui permet, par la même occasion, de se redécouvrir soi-même, de questionner son humanité la plus intime et de mettre la pédale douce sur ses petits tracas du quotidien, quand on se prend la tête pour que dalle. Bien joué, Artus ! Avec ses trucs en plus, dont une grande humanité plurielle à l’œuvre, un regard poétiquement décalé, un tantinet borderline, et le goût des autres, il y a du magicien en lui, via un côté « sale gosse » pouvant malicieusement, par moments, mettre les pieds dans le plat du lunaire et du grotesque. Autrement dit, son drôle de p’tit truc, ode enjouée à la tolérance, a un grand cœur, ce qui n’est pas rien – perso, je valide !

Un p’tit truc en plus (2024 – 1h49). France. Couleur. De Artus. Avec Artus (Sylvain), Clovis Cornillac, Alice Belaïdi, Marc Riso, Céline Groussard, Gad Abecassis, Ludovic Boul, Stanislas Carmont, Marie Colin, Thibaut Conan, Mayane-Sarah El Baze, Théophile Leroy, Arnaud Toupense, Sofian Ribes, Boris Pitoeff, Benjamin Vandewalle (le vrai Sylvain). En salles depuis le 1er mai 2024.


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