Trois propositions radicales pour relancer le marché du travail en France

par Nicolas Cavaliere
mercredi 3 janvier 2024

Contre la léthargie.

Ce 1er janvier 2024, la création de France Travail, qui vient remplacer Pôle Emploi, a été accomplie par la magie d’un décret. Comme l’ANPE jusqu’à fin 2008, comme Pôle Emploi jusqu’à fin 2023, France Travail n’a pas vocation à trouver un emploi aux gens, ce qui est assumé à travers le changement d’enseigne. Et puisqu’il est assuré que l’institution se retrouvera bientôt en charge du Revenu de Solidarité Active qu’elle conditionnera à un minima d’activité, elle n’aura pas vocation à leur trouver non plus un travail. Les heures d’activité seront généralement dévolues à des formations ou à de la recherche d’emploi, au mieux à des corvées municipales pour que l’État, encore lui, s’affranchisse du salaire minimum.

Pour faire le poil à gratter de service, je viens donc ici proposer trois solutions radicales pour relancer le marché du travail en France. Elles ne sont pas parfaites, évidemment, puisqu’elles sont radicales. Mais je viens les écrire ici afin d’encourager une réflexion sur le système actuel, lequel n’est pas propice à la réalisation de l’objectif affiché généralement par le gouvernement : réduire le chômage (et non pas les chiffres du chômage).

Ces trois propositions ne sont pas autre chose que l’application d’un équivalent du concept économique de monnaie fondante au « marché du travail », si on veut bien réduire la vie économique d’un territoire à une rencontre entre offre et demande.

 

1) Supprimer les minima sociaux

L’Allocation de Solidarité Spécifique et le Revenu de Solidarité Active ne sont pas des incitatifs à la reprise d’une activité, puisqu’ils encouragent soit le travail dissimulé, soit la complaisance dans le système d’aides garanti par l’État (ou plutôt par sa dette). Et ces revenus distribués sans aucune contrepartie jusqu’à présent et sans limite établie réglementairement dans le temps sont des poids énormes sur le budget de l’État et sur la psychologie des citoyens, les contribuables passant leur temps à blâmer les bénéficiaires pour leur oisiveté réelle ou non, et les bénéficiaires jalousant les contribuables pour leur contribution reconnue parce qu’officielle à la société dont ils sont de fait exclus. Il est surtout plus que probable qu’en cas d’application de cette proposition, soudain, un nombre important d’employeurs ait accès à une quantité phénoménale de candidatures. Il sera dès lors difficile d’opposer la rhétorique des offres non pourvues aux demandeurs d’emploi.

2) Ouvrir le droit à l’Allocation de Retour à l’Emploi à tous les démissionnaires

On peut amender cette proposition en ajoutant une condition type « ouvrir un droit de moitié moins long qu’aux autres allocataires », mais je ne pense pas que ce soit utile. Dans l’ensemble, le but est de dynamiser fortement le marché de l’emploi en le rendant ouvert à tous les mouvements. Dans la grande majorité des cas, une personne qui démissionne le fait pour retrouver un autre poste. Et pour la petite minorité, en supprimant également les minima sociaux, il sera acquis que le démissionnaire au terme de sa période de droits n’aura qu’un seul choix : reprendre un emploi (ou se lancer à son compte). De l’autre côté, les employeurs seront bien contraints d’offrir des salaires et des conditions de travail dignes puisqu’en cas de défaut de leur côté, ils seront confrontés à des vagues de démissions massives dans leurs effectifs.

3) Maintenir les dispositifs de primes d’activité

Les salaires ne commenceront pas à augmenter directement après l’application des deux premières mesures. Les dispositifs de prime d’activité sont donc utiles au moins dans un premier temps pour garantir aux salariés, en priorité les salariés à temps partiel, un revenu minimum. Cela protège également les employeurs les plus fragiles ou ceux qui commencent à développer leur activité avec une trésorerie limitée. Cela limite une hausse potentiellement trop rapide des salaires et l’inflation qui l’accompagne généralement ; car l’employeur qui ne verse pas l’argent lui-même a moins tendance à répercuter ses coûts sur ses prix.

 

Voilà, c’est simple comme « bonjour », ou dans le cas qui nous occupe, comme « bonne année ». Il est clair qu’on est partis pour 365 jours de plus à l’identique sur le front de l’emploi, dans le ronflement habituel du système, dans le silence complice des administrateurs et des administrés. Ce surplace est intolérable, surtout parce qu’il est maintenu parallèlement à un prêche public omniprésent sur les bienfaits de la disruption érigée en art de vivre. Les actes et les discours ne sont pas cohérents.

Ou alors la parole politique doit assumer son objectif réel, qui n’est pas de rendre le pays actif, mais de l’engourdir. Il est clair qu’il n’a jamais été question d’activité, mais seulement de contrôle. L’État en volant aux anciennes mutuelles ouvrières le droit d’indemniser les chômeurs et les malades a braqué les consciences. La centralisation des allocations par son biais devient un problème lorsqu’elle se pose en obstacle aux objectifs des civils qui souhaitent exercer un métier non seulement pour gagner leur vie, mais pour lui trouver un sens dans l’exercice, dans le travail. Les institutions qui distribuent les allocations ne sont que des lieux de transit. Personne ne devrait avoir vocation à y demeurer inscrit. Si l’objectif véritable de la politique actuelle est de stopper le développement et d’encourager la stagnation, cela devrait être assumé explicitement. Cela ne l’est pas, parce que sans développement, la poursuite de la croissance du capital n’est pas possible. Les manœuvres servent simplement à faire circuler l’argent dans les directions voulues. Il est hors de question que les copains ne touchent pas leur part. Il n’y a rien de plus dangereux que le jeu indéterminé des forces humaines à l’œuvre.

Je me doute donc bien que rien de ce que je viens de suggérer à gros traits ne sera appliqué. Il serait surprenant que le gouvernement prenne le risque de demander à ses citoyens d’être présents et en éveil pour consacrer à leur propre existence l’énergie aujourd’hui nécessaire pour rester en alerte sur la permanence des moyens venus d’en haut (commissions boursières ou « prime de Noël ») qui leur permettent de dormir. Il serait encore plus surprenant que le gouvernement prenne le risque de favoriser les petites structures, les petites gens, les petites initiatives. Le droit actuel est pensé pour permettre à l’ogre, État ou monopole capitalistique, d’avoir la main invisible qui caresse ou qui écrase. Le corps social a tout intérêt à se remettre en action s’il ne veut pas terminer dissous dans l’estomac du monstre.


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