Les petites armées du Christ

par Viko
mardi 8 juillet 2025

 

Soleil

 

Abeille

 

Miel

 

Une trinité pour que l’homme goûte Dieu du bout de sa langue.

C’est la guerre, les petits avions d’amour noir et jaune se sont lancés avec comme mission d’aider les vierges des prairies, les chastes beautés capuchonnées, ces petites bonne sœurs coquettes à se multiplier dans la beauté du monde.

Tout est échange, c’est la base. Le voyage du pollen contre le nectar de la fleur, puis le retour à la ruche, le travail pour que la salive céleste descendue du soleil devienne miel.

 

Que dois-je rendre aux abeilles en échange de leur production dont je me délecte quasi quotidiennement ?...

Que devons nous offrir à la nature en échange de ce que son ventre et ses mains créent le jour et la nuit pour nous nourrir, nous chauffer, nous habiller, nous transporter, combler nos sens, combler les enfants rois que nous sommes ?...

 

La nature n’a besoin de rien. Une mère ne vous demandera rien en échange de ses sacrifices car le véritable amour n’attend rien en retour. C’est le receveur qui est en dette envers la vie. Une dette d’amour, une dette de sang, une dette de souffle, une dette de rien...

 

Et le rien est ce qu’il y a de plus dur à rendre, et le plus important aussi. Le rien exige tout de nous. Il exige que nous nous arrêtions pour prendre conscience de la vie en nous, qui n’est que retour d’elle à elle même...

 

S’arrêter pour écouter battre le pouls de cette respiration cosmique en nous, qui est la respiration de Dieu, c’est le devoir de chacun de nous envers la vie. La vie qui a tous les droits et les devoirs envers elle-même. La vie qui est nous.

 

Mais l’homme est un enfant trop occupé à compter les noisettes qu’il a volées au noisetier, trop occupé à peser le poisson qu’il a arraché à l’océan, trop occupé à construire un filet toujours plus grand pour rassasier sa faim, une faim qu’il a confondu avec le vide en lui, un vide qui se nourrit de rien.

 

Et nos petites sœurs du bon Dieu, nos petites camarades ouvrières, nos petites gilets jaune et noir, besognant dans leur HLM de cire, qu’en faisons-nous ?

 

On les enfume pour les rendre moins agressives et disposer de leur précieux trésor. Ce sont des méthodes connues, avec le peuple c’est pareil, quand le projet est de lui retirer quelque chose ; Son âme ou ses biens.

 

Bref, cette pâte dorée à l’odeur si déconcertante, ce miel, je n’ai su l’apprécier que tardivement, en attendant sous mon palais, c’était des feux d’artifice d’un bien autre genre...

Mon enfance fut le théâtre d’un trafic sous le manteau, d’un tragique allez-retour chez le dealer du coin, qui n’était autre que l’épicier du bas de la tour. Ce dernier avait le rôle du trafiquant dont l’accent sonnait comme un sabre dessinant des sillons sur les dunes d’un paysage saharien. Il vendait des produits bien plus intéressants et dangereux que notre pâte ensoleillée pour grand-mère, des produits que je pouvais acheter légalement malgré leur nocivité et leur addictivité effroyable. Ces drogues pour enfant aux couleurs hallucinées, ces substances bizarres, gélatineuses et transparentes, saupoudrées de sucre fluo, ces déchets shootés à l’hémoglobine artificielle, cette famille nombreuse de sirops colorés à l’arc en ciel dont tous les prénoms commencent par un « E ». Eh bien je les aimais. Sans savoir qu’ils me tuaient à petit feu... Ces bonbons, dont un petit garçon sur le paquet nous vantait une vie plus belle, ces LSD pour enfants de maternelle, une fois absorbés, m’empoisonnaient les veines et me déchiraient la langue, créaient des orgies chimiques entre mes joues, me donnaient des convulsions musculaires aux mâchoires, me faisaient mousser la salive comme un cheval possédé, ouvraient des portes interdites dans mon sang, libéraient des tueurs dans mon âme quand les substances venaient à me manquer...

 

Aujourd’hui c’est l’apocalypse des insectes. Le petit enfant des paquets de bonbons, qui est devenu un adulte tire à balle réelle sur les abeilles du bon Dieu.

Une minuscule goutte de produit vaisselle dans un pot de miel vide suffit à effacer tout souvenir du travail de ces forçats des premières floraisons. Les armes chimiques sont braquées sur la tempe de la mère des Hommes, des plantes et des animaux. C’est l’histoire d’un enfant malade qui a oublié de vivre par peur de mourir ; qui a tué la vie en cherchant à la multiplier artificiellement. C’est l’histoire d’un enfant qui a compris la multiplication des pains à l’envers et les multiplie en les vidant de leur substance la plus vitale, qui est le souffle du « Je suis » :

Je suis la terre qui vous nourrit, je suis la parole qui vous nourrit, je suis le souffle qui vous anime, je suis la vie qui vous supprime.

 

 

Les petites armées du Christ disparaissent lentement, laissant la place au ventre-bouche de l’humain qui grossit et devient un gouffre aveugle et sans fond, aspirant tout sur son passage, un néant déchaîné qui se goinfre de tout pour tenter de remplir ce rien, cette vie pure, qui ne demande qu’à être écouté, cette petite parole en nous, cette petite voix féminine, la voix amicale et douce de notre cœur qui nous souffle depuis toujours : « Attends, regarde, ressens, respire ce rien dans la lumière, ce rien dans le son des étoiles, ce rien dans le mouvement de l’herbe qui ondoie, nourris-toi du passage de l’oiseau qui fend le ciel, nourris-toi du rire d’un enfant qui naît d’un rien, nourris-toi d’un frisson de vent qui caresse ta joue pour rien, nourris-toi d’un éclat de lumière sur l’eau qui éclabousse tes yeux sans aucune raison, nourris-toi du calme d’un lac qui n’a rien à dire, de la présence d’une forêt qui semble ne pas te voir, du miaulement d’un chaton qui appelle sa mère, de la charmante cacophonie d’un arbre remplis d’oiseaux fêtant l’été, du grondement profond de l’océan sans âge, nourris-toi du parfum d’une fleur qui se cache pour mieux te surprendre, nourris toi de la beauté d’une fleur qui n’a rien à t’apprendre, que la simple joie d’être le témoin de la vie, nourris toi de la joie d’être le spectateur du ciel qui t’offre ses plus belles échappées de couleurs quand il crée la beauté autour d’un astre qui se lève et se couche sans que tu n’aies rien fait pour que cette magie advienne. Nourris-toi de ce qui ne coûte rien et de ce qui n’a pas de prix, nourris-toi de ce qui ne vaut rien, car c’est de ce rien que naît le plus précieux. De ce rien, tu embrasseras le tout, qui te donnera la richesse, la force, la santé, la joie, le plaisir, l’amour, la vérité qui n’est autre que la vie qui ne dit jamais son nom.

 

Car la vie est.

 

Car la vie est, ce petit tout et ce grand rien...

 


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