Le monde ne peut pas être ce qu’il est et comme il est par l’homme, mais il ne peut l’être non plus sans l’homme. Occident, Israël, Russie
par Hamed
mercredi 9 octobre 2024
Toutes sortes de mauvaises choses comme les calamités naturelles tels les tremblements de terre, les tempêtes ou d’origine humaine telles les guerres, les crises économiques, la pauvreté et autres traversent l'existence des peuples ; bref, des malheurs qui font partie en fait de la vie des peuples.
Mais est-ce pour cela que le monde est mauvais ? N'est-ce pas que c'est le mal qui nous pousse à avancer, à lutter pour l'existence ? D'autre part, lorsque les humains réussissent, ne sont-ils pas contents de leurs efforts, heureux dans leur vie ? Car, tout compte fait, c'est en sortant victorieux des vicissitudes de l'existence qu'ils se sentent libérés, qu’ils se sentent libres, qu'ils ont influé positivement sur leur destin ; ils ont vaincu l’adversité.
Donc, nous agissons sur notre histoire ; nous ne pouvons croire que l'histoire est maîtresse de notre vie ; elle ne peut être maîtresse de notre vie que si nous n'opposons aucune résistance aux malheurs qui nous arrivent. Il y a, certes, des malheurs auxquels nous ne pouvons rien, comme les calamités naturelles, et encore pas toutes, le réchauffement climatique, par exemple, les hommes peuvent s'unir, s'entendre et lutter ensemble contre lui ; de même, contre la mort qui vient, qui nous touche ou touche des êtres chers, on n'y peut rien.
En revanche, d'autres malheurs qui nous arrivent, par exemple, des crises intérieures et peu importe leur origine, si le peuple est uni, s'il tait ses différences et en fait comme des richesses dans la diversité, ce peuple peut se défendre, peut y répondre rationnellement pour peu qu'il comprend les causes qui ont été à l'origine, et dès lors peut y répondre positivement. S'il ne comprend pas les causes et y va tête en avant sans comprendre, c'est aussi assumer ce qui peut découler en termes de désunion, d'égoïsme, chaque partie cherchera ses intérêts et la crise peut s'aggraver. Ce peuple sera voué à la fatalité et tout peut survenir en termes de malheurs.
Donc, le peuple, dans toutes ses composantes, doit être rationnel. En cas de crise, il doit taire ses divisions, privilégier le dialogue et œuvrer pour l'unité de la nation. Peut-on dire que lorsqu'« un peuple qui ne se sauve pas par lui-même, par la réflexion sur ce qui lui arrive, par le dialogue, peut-il espérer d'être sauvé par Dieu ? » Il est évident que la grâce divine existe déjà en lui, puisque tout lui a été donné du pouvoir de penser à la liberté d'agir. Il revient à lui de trouver les solutions à la crise qui s'est ouverte. S'il n'y a pas de solution, si des passerelles ne sont pas posées, il doit assumer son destin et ce qu'il lui arrive.
Regardons, sur un plan philosophique, l'essence des hommes, et donc des peuples. Rappelons la phrase énigmatique de Heidegger lors d'une interview accordée au grand quotidien allemand Der Spiegel le 23 septembre 1966 : « Seul Dieu peut encore nous sauver... » Cette phrase demeure aujourd'hui assez énigmatique tant les interprétations divergent. Un extrait de l'interview.
Spiegel : Nous devons reconnaître que nous préférons être ici, et de notre vivant nous ne serons sans doute pas non plus obligés d'en partir ; mais qui sait si c'est la destination de l'homme d'être sur cette terre ? Il n'est pas impensable que l'homme n'ait aucune destination du tout. Mais en tout cas on pourrait voir aussi une possibilité de l'homme dans le fait que de cette terre il étende son emprise à d'autres planètes. Nous n'en sommes sûrement pas encore là d'ici longtemps. Simplement, où est-il écrit qu'il ait sa place ici ?
Martin Heidegger : D'après notre expérience et notre histoire humaines, pour autant que je sois au courant, je sais que toute chose essentielle et grande a pu seulement naître du fait que l'homme avait une patrie (Heimat) et qu'il était enraciné dans une tradition. La littérature d'aujourd'hui, par exemple, est largement destructive.
Spiegel : Le mot « destructif » nous gêne ici, entre autres raisons parce que le mot « nihiliste » a reçu de vous-même et dans votre philosophie un sens dont le contexte est très étendu. Cela nous frappe d'entendre le mot « destructif » rapporté à la littérature, que vous pourriez très bien ou même devriez considérer comme faisant partie de ce nihilisme.
Martin Heidegger : J'aimerais dire que la littérature dont je parle n'est pas nihiliste dans le sens où je pense ce mot. (...)
Spiegel : Bien. Alors une question se pose, naturellement : l'individu humain peut-il encore avoir une influence sur ce tissu d'événements qui doivent forcément se produire, ou bien alors la philosophie peut-elle avoir une influence, ou bien les deux ensemble, dans la mesure où la philosophie conduit l'individu ou plusieurs individus à entreprendre une action définie ?
Martin Heidegger : (...) Si vous me permettez une réponse brève et peut-être un peu massive, mais issue d'une longue réflexion : la philosophie ne pourra pas produire d'effet immédiat qui change l'état présent du monde. Cela ne vaut pas seulement pour la philosophie, mais pour tout ce qui n'est que préoccupations et aspirations du côté de l'homme. Seulement un Dieu peut encore nous sauver. Il nous reste pour seule possibilité de préparer dans la pensée et la poésie une disponibilité pour l'apparition du Dieu ou pour l'absence du Dieu dans notre déclin, que nous ne fassions, pour dire brutalement les choses que « crever » ; que nous déclinions à la face du Dieu absent.
Spiegel : Y a-t-il un rapport entre votre pensée et l'avènement de ce dieu ? Y a-t-il là, à vos yeux, un rapport causal ? Croyez-vous que nous pouvons penser ce dieu de manière à le faire venir ?
Martin Heidegger : Nous ne pouvons pas le faire venir par la pensée, nous sommes capables au mieux d'éveiller une disponibilité pour l'attendre.
Spiegel : Mais pouvons-nous aider ?
Martin Heidegger : La préparation de la disponibilité pourrait bien être le premier secours. Le monde ne peut pas être ce qu'il est et comme il est par l'homme, mais il ne peut l'être non plus sans l'homme. Cela tient, d'après moi, au fait que ce que d'un mot venu de très loin, porteur de beaucoup de sens et aujourd'hui usé, j'appelle « l'être », est tel qu'il lui faut l'homme pour sa manifestation, sa garde et sa forme. L'essence de la technique, je la vois dans ce que j'appelle le Ge-stell, une expression souvent tournée en ridicule et peut-être maladroite. (...) Le règne du Ge-stell signifie ceci : l'homme subit le contrôle, la demande et l'injonction d'une puissance qui se manifeste dans l'essence de la technique et qu'il ne domine pas lui-même (...). Nous amener à voir cela : la pensée ne prétend pas faire plus. La philosophie est à bout.
Spiegel : Dans le temps passé - et pas seulement dans le temps passé - on a tout de même pensé que la philosophie a beaucoup d'effets indirects, rarement des effets directs, mais qu'elle pouvait avoir beaucoup d'effets indirects, qu'elle a suscité de nouveaux courants. Si, à ne s'en tenir qu'aux Allemands, on pense aux grands noms de Kant, Hegel, jusqu'à Nietzsche, sans même parler de Marx, on peut faire la preuve que la philosophie, par des chemins détournés, a eu une énorme influence. Voulez-vous dire maintenant que cette influence de la philosophie a pris fin ? Et quand vous dites que l'ancienne philosophie est morte, qu'il n'y en a plus, est-ce que vous pensez en même temps que cette influence de la philosophie, si elle en a jamais eu, aujourd'hui en tout cas n'existe plus ?
Martin Heidegger : Une autre pensée pourrait avoir une influence médiate, mais aucune directe d'une façon qui ferait dire que la pensée « cause » un changement de l'état du monde. »
Il est évident que Heidegger dans ce qu'il dit que « Seulement un Dieu peut encore nous sauver. », mais ce que nous ne pouvons ne pas penser, c’est que, par notre création même et « comment nous avons été créé », Dieu est déjà en nous. Comment pouvons-nous exister sans que l'on soit sans Lui ? Pouvons-nous penser par nous-mêmes ? Impossible ! Non par nous-mêmes dans le sens absolu, notre pensée ne nous appartient pas, elle est seulement en nous ; elle nous permet de vivre, d’exister ; sans cette pensée qui est en nous et dont nous ne savons rien sur elle, nous ne pouvons exister.
La pensée est-elle une onde corpusculaire comme le sont les ondes magnétiques, électromagnétiques, lumineuses ou autres ? Dès lors que notre cerveau est traversé d’un courant électrique, comme le confirme l’encéphalogramme qui permet d’enregistrer l'activité électrique de l'encéphale, (cerveau, le cervelet et le tronc cérébral), tout comme l’électrocardiogramme qui permet de mesurer l’activité électrique du cœur, force de dire que tout notre corps est régi par cette « énergie vitale qu’est la pensée » à travers notre centre nerveux. Un véritable champ électrique où des milliards de neurones s’activent en permanence suivant nos pensées.
Aussi peut-on dire que toute notre existence dépend de notre pensée, qui est notre énergie vitale. Au-delà de la mort et quand nous cesserons d’exister, nous sommes morts comme si nous n'avons jamais existé sauf ceux qui restent vivants qui témoigneront de notre existence. Même ceux qui témoigneront de nous viendront aussi à cesser d’exister ; dans les temps longs, on aurait cessé d'exister dans les mémoires puisque les mémoires restées en vie s’effaceront aussi.
« Préparer dans la pensée et la poésie une disponibilité pour l'apparition du Dieu ou pour l'absence du Dieu dans notre déclin, que nous ne fassions, pour dire brutalement les choses que « crever » ; que nous déclinions à la face du Dieu absent. », comme l’énonce Martin Heidegger, il faut répondre en fait que tout est inné dans notre existence. Pensée, poésie, disponibilité pour l'apparition du Dieu, existe en nous, sauf que la pensée ne le dévoile qu'à celui qu'elle veut ; la pensée ne se commande pas.
C'est pourquoi à la question : « Y a-t-il un rapport entre votre pensée et l'avènement de ce Dieu », Heidegger répondit « nous ne pouvons pas le faire venir par la pensée, nous sommes capables au mieux d'éveiller une disponibilité pour l'attendre. » Mais, c'est déjà une attente qu'énonce la pensée de Heidegger sans même que lui-même sache ce qu'exprime sa pensée dans l'attente de Dieu, qui est certainement beaucoup plus proche de lui-même qu'Heidegger n'est avec lui-même. Mais néanmoins sa pensée a été éclairée en « éveillant en lui une disponibilité pour l'attendre. »
Dans l'existence de l'humanité, et du monde, il y a la main de Dieu, et cette « main qui est invisible » peut être visible par la pensée, et par la « conscience » à travers la pensée. Quand Heidegger énonce : « Le monde ne peut pas être ce qu'il est et comme il est par l'homme, mais il ne peut l'être non plus sans l'homme. », c'est qu'il existe entre l'homme et le monde une telle symbiose que l'un ne peut aller sans l'autre. C'est par l'homme qu'il y a le monde, et par le monde qu'il y a l'homme ; sans l'homme, sans l'être et le non-être, il n'y a ni monde, ni vide, ni néant. Rien n'aurait existé.
De la même façon, les peuples sont dans l'attente de leur Créateur ; sans penser que le Créateur qui les a créés est en eux à travers la « Grâce qu'Il leur a accordée ». Mais les peuples comprendraient-il ce qu'est la Grâce du Créateur ? Les peuples passés, par exemple, qui ont été réduits à l'esclavage par d'autres peuples puis sont redevenus libres. Des peuples ont été colonisés par d'autres peuples puis sont devenus indépendants.
A qui doivent-ils leur libération ? Sont-ils devenus indépendants par eux-mêmes ? A leur combat pour leur libération ? Assurément ! Mais essentiellement ? A la « Grâce » qui était en eux et aussi à « l'histoire et au temps qui avançaient » qui indiquaient que les peuples devaient avancer dans le sens que le temps a fait son œuvre. Et dans cette marche du temps, Tout est redevable au Créateur ; Dieu ne peut jamais être absent à notre existence ; une absence signifierait la fin de notre existence, ou encore notre retour, après notre mort, à Dieu. Dieu reprend ce qu'il a créé.
Et on comprend pourquoi « Le monde ne peut pas être ce qu'il est et comme il est par l'homme, mais il ne peut l'être non plus sans l'homme. »
Prenons « les guerres aujourd’hui qui font rage en Ukraine et au « Proche-Orient », et parlons seulement de l’homme dans ces guerres. Si l’homme est laissé ce qu’il est et que le monde est comme il est par l’homme, que feront-ils les hommes, ils s’autodétruiraient. Et c’est la raison pour laquelle l’action d’un Esprit se déploie implicitement dans tout ce qui pare en bon ou mauvais l’homme. Et que finalement, sans même que les hommes en prennent conscience, les forces de l’histoire les remettent dans ce qui est déjà inscrit dans le devenir du monde.
Mais que l’homme ait provoqué les guerres puisque ces guerres ont eu lieu et ont été destructrices et que dans un sens l’homme est laissé ce qu’il est et le monde a été ce qu’il est, il reste que le monde ne peut pas l’être sans l’homme, sinon il n’y a pas de monde.
En clair, l’homme doit être ce qu’il est et le monde ce qu’il est par l’homme, ce qui est d’une « nécessité absolue », sinon il n’y a pas de monde sans l’homme et l’homme sans ce monde ; cependant, le monde ne peut pas être ce qu’il est et comme il est par l’homme, parce que le monde qui avance le fait plier ; il ne peut aller contre la marche du monde qui le dépasse dans le sens « que ce qu’il a été, il ne le sera plus, ou qu’il n’a été qu’un temps » ; aucun système créé par l’homme ne peut exister indéfiniment, et cela indépendamment de l’homme.
Et on le constate aujourd’hui avec l’Occident. On dit que l’Occident est déclin, mais c’est seulement ce qui nous apparaît à nous. En réalité, ce n’est pas que l’Occident est en déclin, c’est simplement ce qu’il a été et ce qu’il est devenu ou plutôt qu’il devait devenir. Et c’est ce qui se passe dans la guerre en Ukraine. On le constate dans le soutien massif sur tous les plans ce qu’il apporte à l’Ukraine ; l’Occident ne veut pas devenir ; il veut ou plutôt tente à rester ce qu’il a été ce qui n’est pas possible. Pourquoi ? L’histoire du monde est en perpétuel devenir.
L’Occident oublie que ce qu’il est devenu ne l’a pas été par lui-même mais par un concours de l’histoire qui l’a élevé au-dessus des autres peuples. Mais il ne peut le rester qu’un temps, comme pour tous les autres peuples du monde qui doivent aussi devenir.
La Russie, par exemple, a été ce qu’elle était puis est devenue ce qu’elle est aujourd’hui ; la guerre en Ukraine n’est qu’une nouvelle étape de la transformation du monde ; ce n’est en fait ni l’Occident ni la Russie ni la Chine qui décident de la marche du monde, mais la marche du monde qui décide sa propre marche du monde des hommes et des femmes.
Il en va de même pour Israël qui fait partie de l’Occident et donc même destinée ; ce que fait Israël dans la guerre avec le Hamas et avec le Hezbollah, il veut arrêter le temps ; il veut toujours rester ce qu’il est devenu comme il a été propulsé par l’Occident lui-même ; comme aussi a été propulsé l’Occident avant Israël. Mais l’histoire du monde est en marche ; les peuples ne sont plus ce qu’ils étaient, ils se sont transformés ; les uns ont cessé de s’élever, ils ne pouvaient s’élever plus ; les autres qui ne se sont pas élevés se trouvent à leur tour en ascension. Mais tout ne s’opère pas sans friction, d’où le sens des guerres qui font partie de la marche de l’histoire.
Donc, au final, il faut bien le dire : « le monde ne peut pas être ce qu'il est et comme il est par l'homme, mais il ne peut l'être non plus sans l'homme. » Et par l’homme, il faut entendre pas un seul homme mais tous les hommes, pas un seul peuple mais tous les peuples. Tel est le sens de la marche de l’homme, de la marche des peuples et du monde.
Medjdoub Hamed
Chercheur