Vermeer ; son « chef-d’œuvre absolu » démasqué grâce à Göring

par L’apostilleur
lundi 23 septembre 2024

Peindre Vermeer mieux que lui, une incongruité et une leçon.

Passionné par les peintres hollandais du XVIIe, trois siècles plus tard un artiste humilié par son père et par les critiques d'art pour son "manque d'originalité", sublimera Vermeer avant de l’affliger sans le vouloir. Han van Meegeren nous donnera aussi l'occasion de blâmer des caciques de la peinture.

Contrairement à beaucoup d'autres, le paladin vivait de sa peinture. Lassé par sa production commerciale dont le milieu ne reconnaissait pas l’éminence, il se trouva en contact avec un restaurateur d'art faussaire à ses heures. Une vie agitée le conduisit sur la côte d'azur où il décida de se venger des critiques d'art qui ne saluaient chez lui que "le technicien". Un quasi affront pour celui qui convoitait la reconnaissance, et une motivation pour la suite. 

Il avait passé quelques temps à Delft, la ville de Vermeer où jeune il avait reçu un prix d'art pour son aquarelle de la cathédrale. Plus tard ayant étudié des œuvres célèbres dont celles du Caravage, il décida de produire « du Vermeer » dont les spécialistes pensaient qu'il devait exister des toiles inconnues, la production de ses 37 toiles semblant anormalement mince de l'avis général. Il s'employa donc à combler cette insuffisance en inventant la peinture que le maître aurait pu produire, un bon filon avec des productions religieuses loin des scènes de genre habituelles du maître. Vermeer ne réalisera que deux ou trois représentations bibliques qui ne seront découvertes qu'au début du XXe siècle, dans les années 30 on pensait qu'il devait en exister d'autres.

Le faussaire inventera ce que cherchaient les historiens d'art, sans jamais recopier Vermeer. Il produira « Le Christ à Emmaüs » (illustration) qui sera élu chef d'œuvre absolu de Vermeer, avec la certification de son authenticité par Bredius, l'expert de Vermeer. A Rotterdam il sera déclaré supérieur aux autres Vermeer du musée. 

Instruit des méthodes du faussaire rencontré, il compléta ses connaissances avec de nouvelles techniques, notamment avec des solvants de sa composition mélangés à une substance nouvelle (la bakélite) pour ses toiles qu’il passait dans un four de circonstance. L’effet recherché était la génération de craquelures semblables à celles d'une toile ancienne... du grand art.

Sa production pouvait commencer, Han van Meegeren devenait Jan van der Meer (Vermeer). Le devenu faussaire, porté par un désir de vengeance envers ceux qui n'avait pas reconnu son talent, sera célébré en tant que "Vermeer".

Ce faisant Meergeren fragilisera la réputation de Vermeer. 

L’appréciation unanime des « œuvres de Vermeer » produites par van Meegeren, par les plus grands experts du maître et du monde de la peinture soulève une question légitime ; quelle est l’origine de notre attirance pour une œuvre, ce qu’elle produit pour chacun ou ce qu’on nous en dit ? On a déjà vu (2) qu’il y avait matière à suspicion.

L’épopée Meergeren a apporté deux révélations cruelles ; l'admiration d'un Vermeer qui ne l'était pas et son rejet parce qu'il ne l'était plus. On pourrait donc s'émerveiller par erreur ? Quelle valeur accorder à celles réputées "authentiques" ?

Un expert ayant authentifié les œuvres de Meergeren pourra difficilement nier la performance artistique du faussaire, pour autant personne ne reconnaîtra au faussaire le talent de Vermeer. Les œuvres deviennent négligeables par leur changement de signature. Vermeer n’en ayant jamais produit de semblables, personne ne parlera de copies.

Pourquoi le faussaire a-t-il choisi Vermeer ?

Il y avait sans doute l’humiliation subie qu’il voulait rendre à ses auteurs dont Bredius connaisseur de Vermeer, en même temps que la recherche de la reconnaissance de son talent réel. Vermeer avait déjà obtenu une distinction sans conteste de la part de ceux qui font ou ne font pas les célébrités, et s’inscrivait aussi dans cette peinture du XVIIe s. vénérée par Meergeren. Au passage il s’enrichira en multipliant ses créations et en exploitant la vague spéculative ahurissante du maître hollandais. Après-guerre menacé d’un procès en collaboration avec le nazi Göring pour lui avoir vendu « Le Christ et la femme adultère  » faussement de Veermer, il se dénoncera pour échapper à une peine en expliquant avoir roulé Göring. Il sera le deuxième personnage le plus apprécié des hollandais en 1947, une distinction qui ridiculisait les acteurs du marché.

 

Le Christ et la femme adultère

 

Cet épisode renvoie à la question de la célébrité de Vermeer, est-elle intrinsèquement méritée ou bien a-t-elle été portée par les faiseurs de célébrités en mal de produits spéculatifs comme l’art récent ? La reconnaissance d’un artiste est le carburant de la richesse qu’il véhiculera, on achète un nom plus qu’une œuvre, van Meergeren l'aura démontré et dira que ce n'était pas ses œuvres qu'on admirait mais la signature de Vermeer, une opinion répétée par le marchand d'art Anaf à ses clients " le certificat d'authenticité a plus de valeur que la toile, sans lui elle ne vaut plus rien ", une vérité parfois fragile. Réputée du Caravage, une « Judith décapitant Holopherne » découverte il y a dix ans dans un grenier à Toulouse est passée entre les mains d’experts qui valideront plus ou moins l’authenticité de ce nouvel exemplaire d’une peinture déjà connue. Les vicissitudes qui entoureront une vente aux enchères prévues catastrophiques se solderont deux jours avant par une vente de gré à gré à un américain discret comme le prix de la transaction.

Ces ventes démontrent que le doute nuit au prix, sauf dans le cas du Salvator Mundi que le prince d’Arabie gardien des lieux saints islamiques en manque de représentation de celui que le Coran appelle le Messie, a jugé nécessaire d’acquérir.

L'herméneutique, cette science de l'interprétation est une réalité à laquelle se confronte le microcosme savant de la peinture, quant les marchands lui préfèrent la réalité d'une signature.

Quand la machine est lancée, difficile d’échapper à leurs oracles qui accompagnent l’œuvre. Depuis 1902 la "vue de Delft" de Vermeer se distingue par un petit carré de peinture jaune noyé parmi les façades anciennes que Proust avait souligné. Depuis les éminents commentateurs reprennent en boucle son observation bienvenue pour rajouter aux commentaires déjà dithyrambiques de la toile. A la Cour de Hollande on se contentera de la représentation de la ville anciennement royale pour acquérir la toile.

Si les peintures suivent les modes qui fabriquent les peintres, alors pourrait-on voir un jour Vermeer sombrer à nouveau dans l'oubli ? La parenthèse de célébrité du peintre ouverte par Théophile Thoré-Bürger à la fin du XIXe s. se refermerait alors. En attendant, l'exposition d'Amsterdam des 28 toiles de Vermeer sera dite "exposition du siècle " et la période du peintre "siècle d'or". Des superlatifs de marchandiser collés à son nom qui scelle sa place dans les musées et à la cote.

Puisse Vermeer échapper maintenant aux investigations comme d’autres productions de faussaires abandonnées à leurs propriétaires lésés. Guy Ribes leurrera des experts pendant 30 ans jusqu'en 2005. Comme Meergeren il inventera des œuvres nouvelles intégrées dans la production des peintres qu'il imitait. Des centaines de fausses toiles restent dans le circuit de l’art dont certaines seraient accrochées dans des musées prestigieux. Le milieu n’aime pas la lumière. Le faussaire Wolfgang Beltracchi eut l'idée de reproduire des toiles signalées disparues dans les catalogues. Il trompera les experts dont Verner Spies, ancien directeur du centre Pompidou, sommité et référence de Max Ernst dont il certifiera sept œuvres en réalité de Beltracchi et percevra 400000 euros du faussaire pour ce travail d'authentification.

Ses œuvres seront vendues par Christie's, Drouot, Sotheby's avec une histoire crédible qui convaincra autant que l'artiste. Les descendants d'un marchand de tableau juif avaient retrouvé la collection de leur aïeul et revendaient des toiles au gré de leurs besoins. Encore une fois la signature du tableau éblouissait les circuits de vente ravis de trouver de nouvelles signatures pour leur commerce. 

Un procès qui devait entendre 200 témoins et durer plusieurs mois sera clos en 10 jours suite à une négociation avec le juge devant qui Beltracchi reconnaîtra 14 fausses toiles. Sorti de prison, il avouera en avoir produit 200 ou 300, sans autres poursuites.

Le scandale s'arrêtera là pour préserver la nécessaire opacité du monde de l'art, et celle des vendeurs de signatures avec leur certificat échangés à l'abri du fisc. La réputation du milieu n’a pas de prix. D’autres faussaires renommés, comme Eric Piedoie de Tiec ou Robert Driessen avec ses 1500 sculptures dont une en bronze vendue 27 M d'euros, ont excellé dans le milieu.

 

Avec Vermeer on se demandera comment sa cote a pu distancer autant celle de ses brillants contemporains qui avaient éclipsé Vermeer à Delft ? Plusieurs têtes de gondole nuiraient à la peinture hollandaise du XVIIe ?

Chacun de nous, curieux, admirateurs non formatés, pourra fureter dans les couloirs de l’histoire de l’art pour y trouver des émotions. On aurait pu rejoindre Thoré le découvreur de Vermeer qui prétendait que « le sujet importe peu en art, seules l’image et ses qualités esthétiques comptent ». Sauf que durant son épopée avec Vermeer (2), en sa qualité de marchand et d’admirateur des rebelles calvinistes il ignorera sa recommandation.

 

Au XVIIe près de chez Vermeer à Leyde l'université sera le théâtre d’un conflit violent avec une interprétation religieuse contestée sur fond de prédestination ; en cause le libre-arbitre de l’homme contesté par les calvinistes. La peinture donne l’occasion de profiter de cette disposition à ceux qui y croient.

A chacun d'en user.

 

  1. Victime de Louis XIV, Vermeer s’illustrera en France après une histoire en questions –  
  2. Vermeer, les républicains socialistes et l'argent du marché de l'art - L'apostilleur (over-blog.com)


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