La comtesse sanglante : Élisabeth Báthory, entre crimes et légendes vampiriques
par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
lundi 2 juin 2025
Sous un ciel d’encre, dans les murailles glacées du château de Čachtice, une femme arpente ses couloirs, son ombre dansant sur les pierres humides. Élisabeth Báthory, comtesse de Hongrie, incarne un mystère qui hante encore les esprits. Était-elle une tueuse sadique, baignant dans le sang de vierges pour préserver sa jeunesse, ou une victime de complots politiques ? Son nom, murmuré avec effroi, rivalise avec celui de Dracula dans l’imaginaire macabre.
Une comtesse dans l’ombre : la vie d’Élisabeth Báthory
Dans la Hongrie du XVIe siècle, où la guerre contre les Ottomans fait trembler les frontières, Élisabeth Báthory naît en 1560 dans une famille noble, les Báthory, dont le blason orne châteaux et champs de bataille. Élevée dans le luxe mais aussi dans la violence d’une époque brutale, elle grandit à Nyírbátor, entourée de serviteurs et de rumeurs de sorcellerie. Mariée à 15 ans à Ferenc Nádasdy, un guerrier redouté, elle s’installe au château de Čachtice, un lieu isolé où les hurlements du vent se mêlent aux chuchotements des villageois.
Élisabeth, femme cultivée, parlant le latin et l’allemand, gère les domaines en l’absence de son époux, souvent au front. Mais des rumeurs commencent à circuler : des servantes disparaissent, des cris percent la nuit. Une lettre de 1602, adressée par un prêtre local au roi Matthias II, évoque des "pratiques contre nature" dans le château : "Des jeunes filles entrent dans ses murs et n’en ressortent jamais. Les villageois parlent de hurlements et de sang" (Archives royales de Hongrie, 1602). Ces accusations, vagues mais persistantes, jettent une ombre sur la comtesse, déjà connue pour sa sévérité envers ses domestiques.
Pourtant, Élisabeth n’est pas une recluse. Elle reçoit des invités, correspond avec des érudits et protège des églises protestantes dans une Hongrie déchirée par les conflits religieux. Cette dualité – une femme de pouvoir et une figure accusée d’atrocités – intrigue. Était-elle une despote cruelle ou une cible facile dans une société où les femmes puissantes étaient suspectes ? Les archives ne tranchent pas, mais elles dessinent une personnalité complexe, à la croisée de la grandeur et de l’horreur.
Les crimes : entre réalité et exagération
Les accusations contre Élisabeth Báthory éclatent au grand jour en 1610, lorsque le palatin György Thurzó, envoyé par le roi, perquisitionne Čachtice. Les témoignages recueillis sont glaçants. Selon les dépositions de serviteurs, des centaines de jeunes filles, souvent des paysannes attirées par des promesses de travail, auraient été torturées et tuées. Un journal de domestique, retrouvé dans les archives de Vienne, décrit une scène terrifiante :"La comtesse frappait les filles avec une sauvagerie que nul n’osait nommer. Du sang tachait les tapis, et l’odeur infectait l’air" (Archives de Vienne, 1611).
Les récits parlent de sévices inimaginables : brûlures, morsures, mutilations. Certains témoins affirment qu’Élisabeth se baignait dans le sang de ses victimes, croyant qu’il préserverait sa beauté. Cette idée, bien que séduisante pour l’imaginaire vampirique, n’apparaît que dans des récits postérieurs, comme celui du jésuite László Turóczi en 1729, et reste invérifiée. Les sources primaires, elles, se concentrent sur des actes de torture : une servante, Anna Darvulia, aurait enseigné à Élisabeth des méthodes cruelles, héritées de traditions occultes.
Mais ces témoignages posent problème. Beaucoup proviennent de serviteurs torturés ou de nobles rivaux, comme Thurzó, qui convoitait les terres des Báthory. Le nombre de victimes – jusqu’à 650 selon certains – semble exagéré, car aucune liste précise n’existe dans les archives. Seuls 80 cas sont documentés avec certitude. La vérité, peut-être, réside dans un mélange de sadisme réel et d’amplification politique, dans une Hongrie où les luttes de pouvoir étaient féroces.
Le procès : justice ou vendetta ?
Le 29 décembre 1610, György Thurzó arrête Élisabeth dans son château. Le procès, expéditif, se tient à Bytča en janvier 1611. Plus de 300 témoins défilent, mais Élisabeth, noble, ne peut être jugée directement. Ses complices – servantes et intendants – sont torturés et exécutés. Une déposition, conservée dans les archives de Bytča, rapporte les paroles d’une servante, Fickó : « Ma maîtresse m’ordonnait de battre les filles jusqu’à ce que leurs os craquent. Je n’avais pas le choix » (Registre de Bytča, 1611). Ces mots, arrachés sous la contrainte, reflètent l’ambiance oppressante du procès.
Élisabeth, elle, ne témoigne pas. Son statut la protège d’une exécution, mais elle est condamnée à l’isolement à vie dans une tour de Čachtice. Les archives décrivent une cellule exiguë, sans lumière, où la comtesse, autrefois altière, croupit dans l’obscurité. Les juges, influencés par Thurzó, semblent moins chercher la vérité qu’un moyen d’affaiblir la famille Báthory, dont la richesse et l’influence menacent le roi. Une lettre de Matthias II à Thurzó, datée de 1610, révèle cette stratégie : "Que la comtesse soit mise hors d’état de nuire, mais sans scandale public" (Archives royales, 1610).
Le procès, donc, oscille entre justice et règlement de comptes. Les témoignages, bien que nombreux, manquent de cohérence, et aucune preuve matérielle – corps ou armes – n’est présentée. Pourtant, l’image d’une Élisabeth cruelle s’impose, portée par la peur collective et les rivalités politiques. La comtesse, recluse, devient un symbole d’horreur avant même sa mort.
La légende vampirique : de Čachtice à Dracula
Élisabeth meurt en 1614, seule dans sa tour. Mais son histoire ne s’éteint pas. Dès le XVIIIe siècle, des récits amplifient ses crimes, la transformant en monstre surnaturel. L’idée qu’elle se baignait dans le sang, absente des archives, apparaît dans des pamphlets populaires, puis dans les écrits de Turóczi. Cette image s’ancre dans un contexte où la peur des vampires, nourrie par les superstitions d’Europe centrale, est à son apogée. Élisabeth devient une "comtesse sanglante", au même titre que Vlad Tepes, alias Dracula, dont la légende naît à la même époque.
Les parallèles entre les deux figures sont frappants. Comme Vlad, Élisabeth incarne une noblesse cruelle, associée à des pratiques occultes dans une région où le sang – réel ou symbolique – fascine. Un rapport de 1720, retrouvé dans les archives de Transylvanie, décrit des villageois exhumant des corps près de Čachtice, convaincus qu’ils étaient des victimes vampirisées : "Les corps, pâles et vidés, semblaient maudits par la comtesse" (Archives transylvaniennes, 1720). Cette anecdote, probablement exagérée, montre comment la peur du surnaturel colore son histoire.
Aujourd’hui, Élisabeth Báthory hante la culture populaire, des romans aux films d’horreur. Mais la vérité historique, plus nuancée, suggère une femme puissante, peut-être cruelle, mais aussi victime de son époque. Sa légende, comme celle de Dracula, mêle faits et fictions, alimentée par un imaginaire avide de sang et de mystère. Son ombre continue de planer, entre les murs de Čachtice et les pages des contes macabres.