Législatives 2024 (40) : Patrick Cohen a raison !
par Sylvain Rakotoarison
mercredi 28 août 2024
« Les leaders de gauche dénoncent un coup de force, mais c’est une posture, ils cherchent à mobiliser la rue. Ils ont leur part de responsabilité dans la paralysie actuelle. Et ils savent bien qu’il n’y a pas eu de coup de force, que la Constitution permet d’agir ainsi, que face à une situation inédite, absolument inédite depuis le début de la Cinquième République, il n’y a ni règle, ni jurisprudence. Seul un article 8 : le Président nomme le Premier Ministre. Point final. » (Patrick Cohen, le 28 août 2024 sur France Inter).
Depuis lundi, le journaliste politique Patrick Cohen a repris ses chroniques politiques matinales sur France Inter. Il est l'un des journalistes emblématiques de France Inter.
Après des débuts sur RTL, un passage sur France Inter puis sur Europe 1, Patrick Cohen (bientôt 62 ans) a été nommé par le directeur de France Inter Philippe Val aux commandes de la matinale (7h-9h) pour remplacer Nicolas Demorand (parti à Europe 1 puis à "Libération"). Il y a officié de 2010 à 2017, date à laquelle il est retourné à Europe 1 mais jusqu'en 2021, la station privée étant en pleine déconfiture. Depuis lors, et jusqu'à cet été, Patrick Cohen végétait un peu journalistiquement. Certes, depuis 2011, il tient une chronique quotidienne le soir chez Anne-Sophie Lapix sur France 5 ("C à vous") et il se fait plaisir depuis 2018 sur LCP à choisir les rediffusions les plus ringardes (celles qui ont marqué son enfance ?) pour "Rembob'INA" (rediffusant parfois de petites pépites de la télévision française), mais il restait sous-exploité.
À cette rentrée, il reprend donc du service chez France Inter, dans la matinale dirigée par... Nicolas Demorand revenu au bercail depuis 2017 (à la rentrée 2023, il avait été question que Patrick Cohen reprît la matinale de France Culture, mais cela aurait été une concurrence déloyale pour l'autre chaîne de Radio France, France Inter avec Nicolas Demorand). Non sans polémiques puisqu'il remplace Yaël Goosz qui reste toutefois chef du service politique de France Inter (et qui officie aussi sur LCI), ce qui a fait adopter une motion de défiance des journalistes le 11 juillet 2024 contre l'actuelle directrice de France Inter.
Dans sa chronique de rentrée, le lundi 26 août 2024, Patrick Cohen remarquait une différence dans la situation politique entre le début de l'été, après les élections et cette fin de l'été : « Il n'y a toujours pas de gouvernement issu des élections du 7 juillet. La France fait sa rentrée dans le même état d’incertitude politique qu’il y a un mois et demi… Dans le même état ? Pas tout à fait. Il y eut entre-temps ce moment collectif exceptionnel, ces Jeux du dépassement, du rassemblement et de la fierté, ce rayonnement français venu démentir l’idée d’un pays en crise, en déclin, en repli et en morceaux qui ne se parle plus et ne se reconnaît plus. Soit la sombre vision portée par le Rassemblement national et ses 10 millions d’électeurs. L’autodénigrement a été balayé par les éloges étrangers, les passions tristes par des joies partagées. Le parti à la flamme, par la flamme olympique. (…) Alors aujourd’hui, dans ce flux médiatique et numérique ininterrompu qui charrie une masse toujours changeante d’émotions sans lendemain, faisons le pari d’une exception olympique, d’un événement qui change nos regards citoyens, qui redonne confiance et nous transcende. Et d’une France moins crispée, moins archipellisée qu’il n’y paraît. ».
Malgré cela, l'éditorialiste admettait que la situation est très difficile. Il reprochait à l'ensemble de la classe politique de ne pas y mettre du sien. Et d'abord la gauche qui revendique la victoire : « [Elle] aurait pu, [elle] aurait dû se mettre en quête de la centaine de députés qui lui font défaut à l’Assemblée pour nouer une majorité. Ou au moins pour ne pas être censurée. La tâche eût été difficile mais les leaders du front populaire n’ont même pas essayé. Ce que Jean-Luc Mélenchon a écarté dès le soir du second tour, le 7 juillet à 20h05, refusant, je le cite, tout "subterfuge, arrangement, combinaison" et toute négociation sur le programme du NFP. Position qui n’a pas bougé, malgré la levée du verrou des ministres LFI ce week-end. ».
Mais tous les partis sont responsables de l'actuelle impasse : « Chacun campe dans son couloir. Travailler ensemble, c’est trahir. Passer des compromis, c’est se compromettre. Partager le pouvoir, c’est renoncer à incarner l’alternance pour la prochaine présidentielle. ».
Dans sa chronique du mardi 27 août 2024, Patrick Cohen est revenu sur le communiqué de l'Élysée de lundi soir selon lequel Emmanuel Macron renonçait à nommer Lucie Castets à Matignon et tout gouvernement de la nouvelle farce populaire (NFP) au nom de la « stabilité institutionnelle ». Les consultations des 23 et 26 août ont en effet montré qu'au moins 350 députés seraient prêts à voter la censure immédiatement en cas de nomination d'un gouvernement purement NFP (avec ou sans ministres insoumis). Le journaliste y a vu une nouvelle version du fameux sketch du rond-point de Raymond Devos : « J’appelle un agent, il me dit : je sais, c'est une erreur. Et les gens tournent depuis combien de temps ? Depuis plus d’un mois. Voilà, nous y sommes ! Quarante-deux jours à tourner en rond, à tenter de trouver la sortie d’une équation insoluble, d’une Assemblée composée de minorités, chacune à la merci de toutes les autres. ».
Alors, Patrick Cohen a essayé de faire des constats « factuellement incontestables ». Il a rappelé le premier vote de la nouvelle Assemblée : « La gauche, on l’oublie, a déjà été battue dans cette nouvelle Assemblée, avec le communiste André Chassaigne, coiffé par la Présidente réélue Yaël Braun-Pivet. Fallait-il se donner la peine de vérifier l’hostilité de près des deux tiers des députés ? » [en cas de nomination de Lucie Castets]. Pour gouverner, le RN était préféré à la gauche au premier tour : « 25% des voix seulement au premier tour, 33 pour le RN. Ils n’ont pas non plus choisi Lucie Castets, qui n’était ni dans les urnes, ni dans le débat. ».
Le deuxième constat, c'est la défaite du camp présidentiel. Mais Patrick Cohen a mis en garde contre des interprétations oiseuses du genre : "Les Français ont voulu ça, etc." : « [L'ex-majorité affirme] que les Français ont voté pour une grande coalition, ce qui est absurde. Est-ce que vous connaissez un seul électeur qui vote Tartempion plutôt que Macheprot, en espérant que Tartempion n’aura pas trop de voix pour gouverner tout seul et qu’il sera obligé de partager le pouvoir avec Macheprot ? Cela n’a pas de sens : chacun n’est comptable et stratège que de son propre vote. La nécessité d’une coalition obéit à une logique politique et parlementaire, pas à une volonté électorale. On fait semblant de croire que la composition d’une Assemblée est le produit d’une savante délibération collective, mais ça n’est qu’un agrégat de votes et d’opinions individuelles qui forment parfois des majorités. Et parfois pas. ».
Troisième et dernier constat : « Il n’y a eu qu’une expression clairement majoritaire, le 7 juillet : le refus d’un gouvernement Rassemblement national, puisque toute la campagne de second tour, et toute l’offre électorale, avec les désistements du front républicain, ont tourné autour de cette question : voulez-vous, ou non, que Jordan Bardella gouverne le pays ? La réponse a été non à 63%, 17 millions 200 000 électeurs, mêlant leurs voix, gauche, droite, centre, pour faire barrage. C’est le seul message réellement majoritaire qui a conduit à cette Assemblée morcelée. ».
Dans la chronique de ce mercredi 28 août 2024, Patrick Cohen a peut-être répondu à la chronique de son confrère Daniel Schneidermann, complètement mélenchonisé depuis les massacres du Hamas du 7 octobre 2023, qui était de mauvaise foi contre lui le 27 août 2024 : « Heureusement, dans la débâcle de la Macronie, il a encore des porte-parole : Patrick Cohen est revenu à France Inter. L'ancien présentateur s'est refait une virginité dans un lieu moins exposé, l'avant-soirée de France 5, où il a signé des éditos-enquêtes souvent factuellement bien charpentés. Il est temps pour lui de revenir dilapider ce capital de crédibilité dans l'exercice de l'avocat officieux du pouvoir. ».
Après avoir repris tous les points de la chronique du 27 août 2024 de Patrick Cohen, Daniel Schneidermann s'est posé la question : « Comment incarner ce refus du RN, autrement que par une ""grande coalition" ? Patrick Cohen nous le dira demain. ».
D'où la mise au point le lendemain de l'éditorialiste de France Inter : « On le répète : l’expression d’une aspiration au changement a été massive. Et le fait que rien n’ait encore changé depuis un mois et demi est logiquement regardé comme une anomalie démocratique. ». Mais ce n'est pas pour autant un coup d'État d'Emmanuel Macron comme le répètent les adorateurs du gourou des insoumis Jean-Luc Mélenchon : « Les leaders de gauche dénoncent un coup de force, mais c’est une posture, ils cherchent à mobiliser la rue. Ils ont leur part de responsabilité dans la paralysie actuelle. Et ils savent bien qu’il n’y a pas eu de coup de force, que la Constitution permet d’agir ainsi, que face à une situation inédite, absolument inédite depuis le début de la Cinquième République, il n’y a ni règle, ni jurisprudence. Seul un article 8 : le Président nomme le Premier Ministre. Point final. ».
Patrick Cohen a toutefois voulu faire la différence entre la légalité qui provient de l'arithmétique parlementaire et la légitimité politique : selon lui, le Président de la République devrait expliquer aux Français pourquoi il n'a pas nommé Lucie Castets à Matignon afin de faire partager sa réflexion en toute transparence : « Emmanuel Macron a encore une fois oublié de faire de la politique, c’est-à-dire accompagner l’opinion, anticiper ses réactions, expliquer ce qu’on fait et pourquoi on le fait, manifester de la compréhension à l’égard des Français qui attendent que leur vote soit pris en compte. Cesser d’apparaître comme le démiurge dont tout procède dans le secret de l’Élysée. Bref d’une façon ou d’une autre, rendre le pouvoir aux électeurs. ».
Et il est allé plus loin dans son raisonnement : « Faire de la politique en l’occurrence, aurait conduit à nommer Lucie Castets. En posant une condition : qu’elle demande une session extraordinaire du Parlement, puisque c’est une prérogative du Premier Ministre. Pour y engager sans délai la responsabilité de son gouvernement, et ne rien entreprendre sans se soumettre au vote des députés. Tout le monde alors aurait été fixé. Et un échec à l’Assemblée aurait libéré une partie des forces de gauche aujourd’hui sous tutelle du NFP, pour aller tenter autre chose. ».
Le problème, c'est que Lucie Castets elle-même avait clairement annoncé qu'elle voulait appliquer tout le programme du NFP, rien que le programme du NFP. Pour elle, il n'y avait donc aucune matière à négocier avec d'autres groupes et c'est pour cette raison qu'elle n'est pas aujourd'hui à Matignon. C'est normal, car elle est prisonnière des insoumis qui lui ont eux-mêmes donné ce mandat impératif. Il reste que les socialistes sont très divisés sur la stratégie à tenir et les deux concurrents du premier secrétaire Olivier Faure au dernier congrès du PS, à savoir le maire de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol et Hélène Geoffroy, ont clairement souhaité la formation d'une large coalition d'union nationale et que le PS s'affranchisse de la tutelle de Jean-Luc Mélenchon.
Contrairement à ce que Daniel Schneidermann, Patrick Cohen est loin d'être un soutien des macronistes (on le saurait à France Inter !). Mais il est capable d'objectivité et de lucidité sur la situation actuelle qui ne satisfait personne et dont l'issue ne satisfera certainement pas au moins la majorité des Français. Simplement, dans une classe politique hystérisée par la rage mélenchonique, tout député prêt au dialogue est devenu un traître au regard des siens, ce qui est absurde. Avant de regarder l'intérêt de leur parti, les responsables politiques doivent d'abord promouvoir l'intérêt national, et celui-ci impose qu'ils prennent leurs responsabilités pour (enfin) gouverner la France. Ensemble, faute de majorité absolue d'un des trois blocs.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 août 2024)
http://www.rakotoarison.eu
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