L’adaptation : conte philosophique

par C’est Nabum
mardi 29 octobre 2024

 

Faudra faire avec.

 

Au sortir des ateliers du grand créateur, l'ornithorynque et le castor eurent étrangement l'impression que Dieu avait la tête ailleurs en les sortant de son laboratoire. Pour le premier, ça ne faisait aucun doute et le pauvre risquait fort de se trouver le bec dans l'eau ce qui mit la puce à l'oreille du second qui en se retournant, comprit qu'il devrait faire de même.

L'ornithorynque se permit alors de calmer son compère. En matière de confusion, il décrochait le cocotier ce que voulut bien admettre le rongeur qui du reste n'avait aucune idée que cette chose à la noix était un arbre qui eut pu tomber sous ses dents, si le destin lui avait permis d'en croiser la route.

Ne voulant pas perdre la face, castor eut alors une réflexion maladroite qui bouleversa le sort de son interlocuteur : « Tu ne vas tout de même pas nous pondre un œuf ! ». Ce que l'autre s'empressa de faire pour le prendre au mot. La relation se tendit soudainement entre ces deux brouillons de la création quand l'européen déclara vertement à son exotique camarade : "Y'a pas à dire, dans la vie, y faut toujours se fier aux apparences : quand on a un bec de canard, des pattes palmées de canard, on est un canard ».

Le dialogue tourna à l'algarade, l'ornithorynque, piqué au vif, voulut voler dans les plumes du Castor. Il dut se rendre à l'évidence, la chose était impossible ce qui lui cloua le bec. Son adversaire, percevant le désarroi de son collègue se rendit compte qu'il était allé trop loin dans la moquerie. Il fallait le caresser dans le sens du poil. Il s'excusa en poussant quelque peu le bouchon : « Allons mon ami, calmons-nous ou tout cela risque de tourner en queue de poisson ! »

C'est ainsi que les deux se retournèrent pour constater qu'en effet, le grand architecte avait perdu la tête, faisant de ces malheureux animaux, des êtres hybrides, inclassables dans la grande famille des mammifères. Ne voulant pas perdre la face, tous deux décidèrent de tirer parti des dérives de leur créateur afin profiter de sa confusion mentale. « Que faire d'un tel appendice qui sort de l'ordinaire ? » se dirent-ils de concert.

Castor se jeta à l'eau le premier. Il faut dire qu'il avait une gueule plus facile à manier que son collègue. « Pour vivre heureux, nous n'aurons d'autre choix que de nous cacher dans l'eau. Usons donc de cette fâcheuse protubérance comme d'un gouvernail ! ». La proposition enchanta son camarade qui ajouta alors qu'il serait possible d'optimiser leur navigation en usant d'ondulation adroite de la chose.

Tous les deux se félicitèrent de cette merveilleuse idée qui allait faire son chemin. Il y eut un long moment de silence, ni l'un ni l'autre ne trouvait alors un autre usage acceptable. Ils allaient rester sur leur faim, ce que fit remarquer un castor qui rongeait son frein. C'est ainsi que le gentil ornithorynque prit la balle au bond en lui suggérant de l'utiliser comme réserve de graisse pour la mauvaise saison. Ils se félicitèrent de cette formidable idée.

Poursuivant ainsi leur remue-méninge, ils firent une liste de suggestions toutes plus folles les unes que les autres. Leur queue pourrait servir d'avertisseur sonore, de cale pour se tenir debout, de trépied, de table ou de lit. Leurs avis divergeaient sur certains points et chacun se promit de faire selon les conditions qu'ils allaient rencontrer.

Heureux d'avoir ainsi réparé de leur point de vue la fantaisie d'un créateur inattentif, ils se serrèrent la patte avant que de se séparer puisque le très haut leur avait assigné des domaines fort éloignés l'un de l'autre. Ils vécurent heureux en dépit des incongruités dont ils avaient été affublés, forts de leur volonté de tirer parti de leurs défauts. La capacité d'adaptation fut leur force. Bien des humains devraient retenir la leçon et faire en sorte de s'accepter tels qu'ils sont sans chercher à modifier artificiellement leur apparence.

 


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