Ted Kotcheff (1931-2025), papa de Rambo, a tiré sa révérence

par Vincent Delaury
mercredi 16 avril 2025

Hommage avec quelques digressions…

Le père de Rambo – Ted Kotcheff : 7 avril 1931, Toronto (Ontario, Canada) – 10 avril 2025, Nuevo Nayarit (Mexique) – est mort. Le 1 ! Car, après, sous le haut patronage de Sly et de Reagan, voire de Donald Trump, ça a grave dégénéré. Avec le recul, le tout premier, signé Ted Kotcheff (disparu à un bel âge : 94 ans, ©photos VD, hormis la principale, portrait du cinéaste en 2012, par Dave Kotinsky/Getty Images), tient très bien la route.

Au fait, car gosses dans les années 80, on s’amusait beaucoup de la fusion, ou confusion, entre Rambo et Rimbaud, puis, si mes souvenirs sont bons, un sketch d’Albert Dupontel se jouait de cette rencontre improbable. Il se trouve, pour la petite anecdote sympatoche, que l’auteur lui-même de l’histoire initiale – car c’est adapté d’un bouquin (de David Morrell, son roman a paru en 1972, un peu avant la fin de la guerre du Vietnam) – a trouvé le nom de son personnage grâce au poète Arthur Rimbaud et à l’aide fortuite de sa femme. Voici les deux anecdotes : il enseignait, en même temps qu’il pensait à la rédaction de son livre, et ses élèves, quand il abordait le mythe du poète maudit Rimbaud en cours, prononçaient « Rambaud ». Puis, une fois rentré chez lui, sa femme lui fait goûter une pomme qu’il trouve aussitôt délicieuse. Il lui demande alors de quelle variété il s’agit, et elle lui répond : Rambo (il s’agit en fait de la variété de pomme Rambour). Voilà comment fut trouvé le nom de son personnage principal, qui deviendra célèbre par la suite : un certain John RAMBO.

Ted Kotcheff n'est plus : Rambo, orphelin

Qui est John Rambo ? C’est un ancien combattant du Viêt Nam, traumatisé par ce conflit guerrier comme bon nombre d’antihéros du ciné ricain (de Voyage au bout de l’enfer à Full Metal Jacket en passant par Apocalypse Now, Platoon et autres Outrages), qui erre, de ville en ville, à la recherche de ses anciens compagnons d’armes. Mais il est bientôt arrêté pour vagabondage, en plein cœur de l’Amérique profonde, à Hope, une petite ville située dans une région montagneuse, par un shérif pas commode, Will Teasle (excellent Brian Dennehy), un vétéran de la guerre de Corée. C’est là que ça commence à partir en vrille. Emprisonné et maltraité, Rambo, ancien béret vert décoré pour actes de bravoure, s’enfuit dans les bois. Traqué comme une bête, tous les moyens sont déployés pour le retrouver, mais c’est finalement le colonel Trautman (très bon Richard Crenna), solide figure paternelle consolatrice, qui le convainc de se rendre.

Rambo, « fou de rage » – c’est ainsi qu’il est décrit par le romancier lui-même (David Morrell, 81 ans) – se fait, à l’écran, sous nos yeux, machine de guerre. Et Stallone, qui participa au scénario, n’y va pas de main morte dans la surenchère de la violence. Il ne tue pas, mais mutile et met ses adversaires hors de combat. Manifestement, son personnage sert de catharsis à l’Amérique du Nord, encore traumatisée par la « sale guerre » du Vietnam. Ce Rambo opus 1 n’est pas commode. Ce n’est qu’après, quand il sera envoyé dans la jungle vietnamienne, en Afghanistan et en Birmanie, qu’il deviendra un héros positif, au profil de gendarme du monde surarmé. En attendant, Ted Kotcheff, fin limier, filme cet animal de Stallone, accompagné par la superbe BO de Jerry Goldsmith, sous toutes les coutures, avec une caméra caressante, comme amoureuse de son corps sculptural luisant de sueur et de sang, tout en découpant sacrément l’action, via ralentis, plans d’ensemble du pétrin en extérieur en cours et gros plans, pour tout hypertrophier : mitraillage à gogo, explosions pyrotechniques et poursuites à moto. Mais, si le film est diablement spectaculaire dans l’action démultipliée jusqu’à l’extrême (aventure de survie palpitante), il se fait aussi, non sans émotion, ballet funèbre et chant du cygne, façon Plus dure sera la chute.

Sylvester Stallone est John Rambo dans « Rambo », 1982, de Ted Kotcheff

Et ça marche, carton au box-office ! Le film fera plus de 47 millions de dollars de recettes sur le territoire américain et attirera, dans l’Hexagone, 3 039 138 spectateurs au cinéma, ce très bon score confirmant, au passage, le statut de vedette de Stallone avec le triomphe de Rocky 3 : L’Œil du tigre (1982), sorti cinq semaines plus tôt, réussissant également à totaliser, de son côté, plus de 3 millions d’entrées. Au fait, Sylvester Stallone (78 ans au compteur), à sa manière, a rendu tout récemment hommage à Ted Kotcheff, lorsqu’il a appris sa disparition, en mettant sur son compte Instagram une photo de son personnage guerrier légendaire, biscottos à l’air et plaie ouverte sexy au bras, accompagnée de ce propos quelque peu crypté (est-il logé à la même enseigne « avare » que Jean-Claude Van Damme ?) : « Personne ne vous offre un avenir, il faut vous battre pour ça. C’est ce dont il s’agit chez Rambo. La survie ne consiste pas seulement à rester en vie mais à ne jamais fuir ce que vous êtes censé être. » Dont acte !

Certes, le personnage et le film de Rambo, celui-ci devenant sa propre caricature dès le deuxième, Rambo 2 : La Mission (1985, où Sly allait dézinguer du Viêt-cong à tout-va), signé George Pan Cosmatos, on se souvient encore de son slogan programmatique, des plus clairs, sur l'affiche (« Cette fois, il y va pour gagner ») et de sa phrase d'accroche culte tant parodiée par la suite (« Pour survivre à une guerre, il faut devenir la guerre »), ont pu engendrer des suites, au ciné, bien plus faiblardes (quatre suites en tout jusqu'à présent, entre 1985 et 2019), voire risibles. Mais ils ont aussi été le moteur pour des inspirations diverses, soit sur un mode satirique, chez l'humoriste Dupontel - on l'a vu précédemment, via son sketch Rambo de 1992 narrant à sa manière l'intrigue de Rambo 2 -, ou encore avec la marionnette incontournable de Sylvester Stallone aux Guignols de l'info, du temps de l'âge d'or de Canal+, alias Monsieur Sylvestre, qui incarnait aussi bien la brute épaisse de l’armée américaine (fusion de Rocky et de Rambo les musclés) que le capitalisme carnassier, le système économique néo-libéral et la politique républicaine outrancière, façon va-t-en-guerre ; soit également dans un registre plus inattendu, à savoir celui des arts plastiques : il existe - et je vous l’accorde, c’est certainement moins connu que les exemples précédents - un dérivé « arty » de Rambo. Eh oui, il n’a pas accouché que de « films bâtards » honteux ! Pour la petite histoire, c’est ainsi que le maestro Sergio Leone appelait les films de la franchise Trinita, avec Terence Hill - qui fut approché pour jouer John Rambo ! - et Bud Spencer, nés de sa poignée de westerns-spaghetti bien plus prestigieux (la Trilogie du Dollar et celle des Il était une fois).

« Le travail d’Alain Bublex commence par le voyage. », Luc Baboulet, architecte et chercheur. Image du film d’A. Bublex, « An American Landscape » (2018, courtesy galerie Vallois), revisitant « Rambo 1 », signé Ted Kotcheff

Ainsi, concernant la « mythologie Rambo », je me souviens qu’il y a quelque temps, le plasticien Alain Bublex, spectateur fort attentif du célèbre film d’action américain, avait fait une fixation intéressante sur le tout premier Rambo (1982, First Blood), via sa proposition An American Landscape (2018, mêlant film, photographie et dessin). Selon lui, Rambo, « premier sang » (désignant en général dans les jeux vidéo et dans les films la première personne blessée ou tuée dans un combat), est à décoder comme une mise en scène de deux héros symbolisant l’Amérique de l’Oncle Sam : l’ancien soldat John Rambo d’un côté, et de l’autre, le paysage qui se déploie en arrière-plan, celui des Rocheuses à la fin de l’hiver. En galerie, on regardait la vidéo (environ une dizaine de minutes d’un film bien plus long s’apparentant à une sorte de dessin animé), qui retrouvait, en tout-numérique glacé — en fait, l’artiste a reproduit en dessins toutes les scènes et plans de Rambo, en laissant de côté les acteurs et l’action du personnage afin de ne garder que les paysages, les mouvements de caméra et le montage —, des séquences-clés du film dans une petite salle obscure (chouette scéno, si montrer du cinoche, autant bien l’exposer) fabriquée pour l’occasion, galerie G.P. & N. Vallois, Paris 6.

J’étais seul, pas un chat, comme souvent dans les galeries d’art contemporain (personne n'ose y entrer ?) : c’était intéressant, on y retrouvait toute l’ambiance « grand spectacle à l’américaine » du film, mais sans les rôles-titres. L’idée étant de focaliser uniquement sur le décor intérieur/extérieur afin de parler de l’Americana (ou la représentation idéalisée de l’Amérique, souvent associée au rêve américain, pour en retenir ses éléments typiques comme la bannière étoilée, le western, la route 66 ou le Coca-Cola). Autrement dit, montrer - ce qui est vrai - en quoi le paysage naturel (+ le décorum artificiel) joue un rôle dans la construction de l’identité américaine (et il suffit de voir les westerns hollywoodiens sans retouches pour s’en rendre compte). Seul hic : ça restait en permanence très froid (démarche conceptuelle à esprit « white cube » oblige). À dire vrai, ça finissait par quelque peu s’épuiser au bout d’un moment car, une fois qu’on avait compris l’idée, ça durait… ça durait… ça durait. Au bout du bout, malgré tout, ça ne décollait pas vraiment pour complètement emporter le morceau. Je restais étrangement sur ma faim, comme s’il manquait un truc (l’humain ?).

Plan large au début du film « Rambo » (1982, Ted Kotcheff)

Tout de même, l’idée était là, tel un remake conceptuel malicieux. Mais, par exemple, sans le jusqu’au-boutisme fascinant d’un Gus Van Sant qui, avec son Psycho (1998) — qui devrait être exposé, en double écran, du genre split screen, dans tous les musées d’art contemporain avec son pendant (le Hitchcock de base) —, rejouait, en le décalquant au plan près (c’est un remake refait quasiment plan par plan), le Psychose légendaire de 1960, en en changeant juste l’époque du récit (nous sommes désormais en décembre 1998), la somme (maintenant plus importante, c’est-à-dire dix fois plus élevée) volée par son « héroïne » principale, pauvre Marion Crane, et le casting (avec Anne Heche, Julianne Moore et Vince Vaughn à la place, respectivement, de Janet Leigh (Marion Crane), de Vera Miles (Lila Crane) et d'Anthony Perkins (Norman Bates)).

Et même la musique, qui participait grandement de l'angoisse ressentie devant le Psychose labellisé Hitchcock, est reprise, Danny Elfman réorchestrant la partition culte de Bernard Herrmann, en accélérant, je crois, quelque peu le tempo. Et, à l’arrivée ainsi que dans le souvenir que laisse ce film marginal, à la croisée du déjà-vu et de l’installation d’artiste contemporain, le geste de copie conforme, s’adressant tout particulièrement à ceux qui connaissent - et qui sait, sur le bout des doigts - l’original, est tellement absurde que, selon moi, cela confine au génie !

Travail de copiste ? De fétichiste fou du langage du cinéma et de son Histoire ? D’hitchcockien en diable ? De simple coucou ? De plagiaire en panne d’inspiration (l’aporie d’une création personnelle à sec) ? Remake ou travail expérimental « appropriationniste » à la Sturtevant (artiste-copiste revendiquée) ? Référence ou révérence ? Pastiche ou film d’étude du Hitchcock culte sous la forme d’une copie amourachée, au sens classique de l’histoire de la peinture ? On s’interroge encore, et que ce vertige est bon, notamment né du fait que Gus Van Sant, en reprenant avec délice les cadrages d'origine — dont les surannés gros plans sur les personnages en train de conduire —, magnifiés par l'utilisation de la couleur via Christopher Doyle (le chef opérateur attitré de Wong Kar-wai), parvient à renforcer, si ce n'est à redoubler, l’artificialité affirmée de la mise en scène tirée au cordeau du père Hitch, grand manipulateur en tant que maître absolu du suspense. La maison — le Bates Motel —, terrifiante, lieu du crime en eaux troubles et demeure du psychopathe schizophrène Norman Bates, semblant tout droit sortie d'un tableau d'Edward Hopper, tel Maison au bord de la voie ferrée, 1925. Bref, ce Psychose « revival », remis au goût du jour estampillé 1998, est un « film ouvert », une sorte de work in progress à particules élémentaires (copier, bouh, c’est pas bien !) partageuses et diffuses, qui ne s’épuise pas.

Rambo, l'arbre qui cache la forêt de films de Ted Kotcheff 

Mais attention, le réalisateur canadien, d'origine bulgare, Ted Kotcheff, hormis son célèbre Rambo (qui est tout de même l'arbre qui cache la forêt), a aussi réalisé, entre autres, en faisant carrière à Hollywood, un autre film de guerre et d'action avec Gene Hackman (Retour vers l'enfer, 1983), un western avec Gregory Peck (Un colt pour une corde, 1974), ainsi qu’un film amusant, vu une fois par hasard, et pas rasé, sur Arte : La Grande Cuisine (1978), porté par Jacqueline Bisset (80 ans) et au pitch assez proche de l’esprit de Peter Greenaway (Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant) : des grands chefs cuisiniers se font assassiner les uns après les autres ; leur assassin adopte une méthode particulière : il élimine chaque chef cuistot de la manière dont ce dernier prépare son plat signature. Appétissant, non ? En fait, son plat cinématographique cuisiné manquait un peu de piment, dans le registre de « l'humour méchant » associé au réjouissant jeu de massacre, mais il continua, avec un certain bonheur, dix ans plus tard, dans cette veine de la comédie noire (tout compte fait à succès), avec Week-end chez Bernie (1989), qui montrait astucieusement deux employés se baladant avec le cadavre de leur patron tout en tentant de dissimuler sa mort.

Le personnage va-t-en guerre John Rambo, interprété par Sylvester Stallone, dit Sly : « Qu’est-ce qui a pris Dieu de faire un type comme Rambo ?! » (Shérif Teasle) - « Dieu n’a pas fait Rambo ! C’est moi qui l’ai fait ! » (Colonel Trautman)

Sinon, à part ça, tout avait bien commencé pour Ted Kotcheff et il ne fut donc pas, contrairement aux apparences, entre ses débuts (télé), le développement de sa carrière cinématographique (une vingtaine de longs métrages à son actif) et la toute fin - retour au petit écran en se consacrant à de nombreuses séries, dont New York, unité spéciale, pour laquelle il a réalisé et produit de nombreux épisodes (7 réalisés, 250 produits) pendant plus d'une décennie -, l'homme d'un seul film.

Avant de faire du cinéma, il a tâté aussi du théâtre et de la télévision. Talent précoce, à 24 ans seulement, il était devenu le plus jeune réalisateur de la chaîne CBS (Canadian Broadcasting Corporation). Puis, dès 1974 (il a alors 43 ans), loin de la violence de Rambo et autres qui le fera connaître, il remporte l'Ours d’or au Festival de Berlin avec L’Apprentissage de Duddy Kravitz, dans lequel le jeune Richard Dreyfuss, en tenant le rôle principal dans cette adaptation d’un roman de Mordecai Richler (écrivain canadien, 1931-2001), joue un Duddy Kravitz qui sort tout juste de l’adolescence et s’éprend d’une « non juive », une certaine Yvette, tout en magouillant quelque peu pour acquérir un bien immobilier, un terrain sauvage près d’un lac, Kotcheff en profitant ici pour décrire la vie juive dans le Montréal de la fin des années 1940.

Autre moment fort de sa carrière, puisque ça le conduira à être recruté pour Rambo  : son film d'horreur réalisé en Australie, Wake in Fright (1971, ou Outback, en France : Réveil dans la terreur), qui représenta l'Australie au Festival de Cannes la même année, fut longtemps invisible : long métrage en fait « porté disparu » pendant des années, avant que des négatifs ne soient redécouverts à Pittsburgh, en 2002. Porté par une vraie chasse au kangourou, des plus stupéfiantes (long métrage mâtiné de documentaire ethnographique et de fiction hallucinée), ce « film d'exploitation » étonnant - au point que le jeune Martin Scorsese himself, la première fois qu'il a vu ce film pendant la compétition cannoise de 1971, alors que Wake in Fright sera de nouveau projeté en 2009 au festival de cette même ville, s’est écrié : « Ce film m'a laissé sans voix ! » -, raconte l'histoire d'un instituteur, beau et blond, John Grant, qui, pendant les vacances de Noël et alors qu'il projette de se rendre à Sydney, fait escale dans une petite ville minière, Bundanyabba, au sein de l'Outback australien. Il y découvre alors un véritable enfer, sur fond de rednecks récalcitrants (des buveurs de bière invétérés), de retour à l'état sauvage, faisant craquer le vernis (fragile) de civilisation, et d'embrouilles kafkaïennes à n'en plus finir, virant fissa au cauchemar.

Allez, my God, pour Ted, nom de code : Kotcheff, paix à son âme. Et plutôt qu’un Retour vers l’enfer, souhaitons-lui la porte grande ouverte du paradis, loin du chaos.


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