Staline et Israël : une alliance inattendue et surprenante au cœur de la Guerre froide

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
mardi 5 novembre 2024

Le 14 mai 1948, David Ben Gourion, président de l'Agence juive, proclame l'indépendance de l'État d'Israël, marquant un tournant décisif dans l'histoire du Moyen-Orient. Ce moment historique est souvent associé à l'enthousiasme des sionistes et à la lutte des juifs pour un foyer national après de très nombreux siècles de persécution. Néanmoins, un acteur clé de cette période, très souvent négligé, est Joseph Staline, le dirigeant de l'Union soviétique, qui a joué un rôle crucial dans la reconnaissance et le soutien, diplomatique et militaire, de l'État hébreu. En effet, l'URSS a été le premier pays à reconnaître de jure l'indépendance israélienne, apportant un soutien diplomatique et militaire significatif et décisif à la nouvelle nation. Mais quelles étaient donc les réelles motivations du Petit Père des peuples derrière cette alliance inattendue et surprenante ?

Un soutien diplomatique et militaire sans précédent

En 1947, l'Union soviétique a plaidé en faveur de l'État juif lors des débats à l'ONU et soutenu, avec beaucoup d'enthousiasme, la résolution 181 de'Assemblée générale des Nations unies, qui préconisait le partage de la Palestine en un État juif et un État arabe. 

Trois jours seulement après la proclamation de son indépendance, l'URSS a reconnu de jure l'État Israël, un geste qui avait surpris de nombreux observateurs internationaux car les États-Unis s'étaient contenté d'une reconnaissance de facto. En 1949, les Soviétiques ont voté en faveur de l'admission de l'État hébreu au sein de l'ONU, créée à la fin de l'année 1945 pour remplacer la SDN.

Ce soutien diplomatique de taille était accompagné d'une aide militaire conséquente, notamment par l'envoi, souvent par l'intermédiaire de pays satellites comme la Tchécoslovaquie, d'armes, de munitions et d’équipements militaires lourds indispensables à la survie de l'État naissant. Quant aux États-Unis, ils commenceront à livrer des armes à Israël qu'à partir des années 1960.

De plus, les Soviétiques ont également très largement facilité l'arrivée de volontaires juifs, notamment des combattants de la Seconde Guerre mondiale ou des survivants de la Shoah, qui ont contribué à la défense d'Israël. Ce soutien a été déterminant lors de la guerre d'indépendance de l'État juif, où les forces israéliennes ont dû faire face à une coalition de plusieurs pays arabes.

Les motivations de Staline

Les motivations de Staline, connu pour son antisémitisme viscéral, pour soutenir Israël sont particulièrement complexes. Tout d'abord, il est essentiel de comprendre le contexte géopolitique de l'époque. Après la Seconde Guerre mondiale, l'URSS cherchait à étendre son influence au Moyen-Orient, une région stratégique riche en ressources pétrolières. En soutenant un nouvel État comme Israël, Staline espérait établir un pied-à-terre dans cette région, tout en contrecarrant l'influence des puissances occidentales, en particulier celle de la Grande-Bretagne.

En effet, bien que les Soviétiques et les Britanniques aient été alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, les rapports entre Joseph Staline et Winston Churchill, Premier ministre britannique pendant le conflit, avaient toujours été compliquées et leurs relations personnelles et politiques particulièrement tendues. Le Petit Père des peuples se méfiait fortement de Churchill et de ses compatriotes, en raison des différences notables entre le communisme soviétique et le capitalisme britannique. De plus, la Grande-Bretagne était la nation occidentale qui possédait le plus grand empire colonial du monde, celui sur lequel le soleil ne se couchait jamais.

Ensuite, il y avait une dimension idéologique. Staline, bien qu'athée, voyait dans le sionisme un mouvement de libération nationale qui pouvait être compatible avec les idéaux communistes. Le soutien à Israël pouvait être perçu comme une manière de promouvoir la lutte contre l'impérialisme, en soutenant un peuple opprimé dans sa quête d'indépendance. Cela s'inscrivait dans une logique de solidarité avec les mouvements de libération à travers le monde, que Staline cherchait à encourager pour contrer l'influence occidentale.

Enfin, le soutien à Israël permettait à Staline de renforcer son image en tant que leader progressiste et défenseur des opprimés, tout en consolidant son pouvoir au sein de l'URSS. En soutenant la création d'un État juif, il espèrait également apaiser les tensions avec la communauté juive soviétique, qui avait été largement persécutée sous son régime de terreur. Il voulait attirer les juifs du monde entier, y compris ceux d'Europe de l'Est, vers le communisme. Cette stratégie visait également à créer un contrepoids aux mouvements nationalistes arabes, qui étaient souvent hostiles à l'URSS. Plusieurs leaders arabes, comme le roi Abdallah de Jodanie, assassiné en 1951 par un réfugié palestinien, avaient des sympathies pro-britanniques, ce qui plaçait l'Union soviétique dans une position délicate.

Un retournement stratégique

À partir de 1953, peu de temps avant la mort du tyran rouge, la politique soviétique envers Israël a commencé à changer. L'URSS se rapprochait progressivement des pays arabes, notamment en raison de l'ascension du nationalisme arabe et de la Guerre froide qui polarisait les alliances. Les relations diplomatiques étroites entre l'Union soviétique et Israël se détériorent fortement dans les années 1960. Finalement, les Soviétique décidèrent de soutenir les États arabes dans leurs conflits armés avec Israël, notamment lors de la guerre des Six Jours en 1967. Ainsi, le pays qui avait largement contribué à l'indépendance d'Israël et la lutte pour sa survie, avait opéré un virage à 360 degrés :

Le soutien de Staline, pourtant profondément antisioniste et antisémite, à Israël est un chapitre vraiment fascinant et surprenant de l'histoire du XXe siècle. Motivé par des considérations géopolitiques, idéologiques et stratégiques, ce soutien a permis à I'État juif de se forger une place de premier plan sur la scène internationale, tout en posant les bases d'une rivalité qui perdure encore aujourd'hui. Loin d'être un simple épisode de la Guerre froide naissante, cette alliance inattendue entre le Petit Père des peuples et Ies juifs témoigne des dynamiques changeantes du pouvoir et des alliances dans un monde en constante évolution. Mais l'ombre de Staline plane toujours sur la Russie de Poutine.

 


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