Hunger Games : Israël force les Gazaouis à mourir de faim ou à risquer leur vie
par Alain Marshal
mercredi 11 juin 2025
La distribution d’aide humanitaire orchestrée par Israël ne vise nullement à enrayer la famine, mais à la dissimuler, en s’appuyant sur la complaisance des chambres d'écho politiques et médiatiques occidentales. En allant jusqu’à assassiner par dizaines les Palestiniens affamés venus chercher cette aide, l’occupant a poussé le sadisme et le désespoir à leur comble.
Par Nir Hasson
Haaretz, 6 juin 2025
Traductions et notes entre crochets Alain Marshal
Une courte vidéo filmée vendredi dernier à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, montre une foule se ruant vers un centre de distribution alimentaire géré par la Gaza Humanitarian Foundation (GHF).
« Et les voilà », dit en anglais, sur un ton amusé, la personne qui filme ou quelqu’un à côté. Les habitants se précipitent sur les piles de cartons, prennent autant de provisions qu’ils le peuvent et s’enfuient. Un nuage de poussière s’élève dans l’air pendant la cohue.
Ceux-là font partie des chanceux : ils ont atteint les centres de distribution de la GHF, au prix de l’humiliation, mais indemnes, et ont pu recevoir de l’aide. D’autres, au moins 82 personnes, ont été tuées par balles alors qu’elles tentaient de s’y rendre, lors de quatre incidents distincts cette semaine. Des centaines d’autres ont été blessées.
L’armée israélienne a reconnu dès dimanche que des soldats avaient ouvert le feu près du centre de distribution de Rafah, tout en niant tout lien avec les allégations faisant état de morts sur place. Elle a également diffusé une vidéo montrant des Palestiniens armés tirant sur des civils venus chercher de l’aide [il s'agit des pillards d'un gang affilié à Daech, ouvertement soutenu par Israël, qui abat systématiquement les hommes en uniforme essayant d'organiser la distribution de l'aide, tout en accusant le Hamas d'entraver l'aide humanitaire, ce qui est le comble du sadisme et de l'ignominie].
Le fait que ces tirs aient eu lieu à Khan Younès et non à Rafah a été largement minimisé. Lundi et mardi, l’armée a de nouveau signalé des tirs d’avertissement aux abords de centres d’aide, tout en promettant d’enquêter sur les victimes qui auraient été causées.
Les témoignages recueillis par Haaretz ainsi qu’une enquête de CNN renforcent la suspicion que des soldats ont effectivement tiré sur la foule à proximité des centres d’aide.
Face aux massacres, la fondation a suspendu ses opérations de mercredi jusqu’à jeudi après-midi. Elle a demandé aux Palestiniens de ne pas s’approcher des centres d’aide pour leur propre sécurité.
Ce n’est pas un hasard si les centres d’aide de la Gaza Humanitarian Foundation sont devenus des scènes de carnage. Ils ont été conçus dans le péché. Leur fonctionnement va à l’encontre des principes humanitaires reconnus par l’ONU et par toutes les organisations de défense des droits humains dignes de ce nom.
L’objectif réel de ces centres n’est pas d’éradiquer la faim, mais de faire baisser la pression internationale sur Israël face à la famine massive qui sévit à Gaza. Il s’agit d’un moyen de soustraire l’aide au contrôle du Hamas, sans pour autant désigner une autorité alternative dans l’enclave assiégée — qu’il s’agisse de l’Autorité palestinienne, de pays arabes modérés ou d’une autre instance [il s'agit seulement, pour Israël, de continuer à affamer les Palestiniens, tout en échappant à l'accusation de créer une famine de masse grâce à la complicité occidentale : c'est la première fois dans l'histoire que l'aide humanitaire ne sert pas à sauver des vies, mais à en faire périr un maximum].
Du point de vue israélien, il n’y a pas de « jour d'après » à Gaza. L’armée peut y rester jusqu’à ce que la population en soit vidée. Ainsi, le but réel de la fondation n’est pas de nourrir les affamés — comme le feraient volontiers l’ONU ou les ONG — mais de concrétiser une vision de nettoyage ethnique de Gaza pour préserver l’unité de la coalition gouvernementale.
La mission affichée de la GHF est de fournir directement aux familles des rations alimentaires parfaitement calibrées selon leurs besoins, sans surplus susceptible d’être revendu — afin d’éviter que le Hamas ne puisse taxer ou stocker les vivres [tous les médias qui osent colporter cette accusation grotesque contre le Hamas, même au conditionnel, sont des complices du génocide].
Pour que cette méthode fonctionne, il faudrait vérifier le nombre de personnes dans chaque famille, distribuer les colis à des heures précises et s’en tenir à une liste organisée de bénéficiaires.
Et pourtant, les vidéos des centres d’aide montrent clairement qu’il n’y a ni enregistrement, ni vérification. Les habitants se ruent sur les cartons et repartent avec tout ce qu’ils peuvent emporter. Dans ces conditions, il est évident que l’aide n’atteint pas seulement les familles affamées, mais aussi les marchés.
Une source à Gaza a déclaré mercredi à Haaretz que des commerçants vendaient de la farine issue de la GHF. Jeudi, on retrouvait dans les marchés de Gaza-ville des produits alimentaires extraits de ces colis humanitaires.
Si la GHF voulait véritablement éradiquer la faim dans la bande de Gaza, elle aurait pris des mesures pour garantir que chaque habitant, y compris les mères célibataires, les orphelins, les personnes âgées et les personnes en situation de handicap physique ou mental, puisse accéder à l’aide.
Cependant, les photos et vidéos prises dans les centres d’aide montrent que la grande majorité des personnes qui s’y présentent sont des hommes en bonne santé, capables de marcher plusieurs kilomètres avec une caisse de 19 kg sur le dos.
L’échec de la Gaza Humanitarian Foundation (GHF) était prévisible pour quiconque voulait bien ouvrir les yeux. Après avoir affamé les Gazaouis pendant 80 jours, Israël a annoncé l’ouverture de centres de distribution alimentaire gratuite.
Il n’est pas nécessaire d’être expert en aide humanitaire ni en logistique de distribution alimentaire pour comprendre que le scénario le plus probable serait celui d'un déferlement de foules affamées. L’armée israélienne a choisi de gérer ces foules à coups de fusil, plutôt qu’en installant des panneaux ou des barrières. Seul un profond déni de l’humanité des habitants de Gaza peut expliquer la mise en place d’un système aussi dévoyé [ce que fait Israël en fait de cruauté dépasse l'imagination macabre de tous les scénaristes : pourtant, le racisme est tel que les belles âmes occidentales n'ont toujours pas utilisé le dixième des épithètes flétrissantes lancées contre le Hamas pour les crimes allégués —et largement démentis depuis— du 7 octobre].
Depuis le début de la guerre, les experts des Nations unies ne cessent de répéter à qui veut bien les écouter que la seule manière de garantir la sécurité alimentaire des Palestiniens à Gaza est d’autoriser le commerce et l’entrée de l’aide humanitaire. Les denrées devraient entrer par plusieurs points d’accès, et être distribuées dans des centaines, voire des milliers, de centres et de points de vente.
Un tel système permettrait à la fois de faire baisser les prix des produits alimentaires et de réduire la motivation des combattants du Hamas — ou d’autres individus armés — à voler ou piller les stocks [alors que le soutien d'Israël aux pillards de Daech est devenu de notoriété publique, Haaretz continue à distiller la propagande israélienne contre le Hamas, qui joue au contraire le rôle de garant de l'ordre, raison pour laquelle Israël cible même les employés civils du gouvernement de Gaza, puisque sont but est le chaos et le désespoir]. Quand un sac de farine de 20 kg coûte moins de 100 shekels (28 dollars) au lieu de plusieurs centaines, le risque de vol diminue drastiquement.
Bien entendu, il serait préférable de mettre en œuvre un tel système sous l’égide d’un régime alternatif capable de gouverner Gaza à la place du Hamas [n'est-ce pas au peuple de Gaza de décider de son gouvernement ? C'est à de telles déclarations qu'on voit que le « libéralisme »de Haaretz n'est qu'une façade]. Mais Israël ne souhaite pas instaurer un tel régime, car il s’accroche à la vision d’un déplacement forcé [il s'agit d'un crime contre l'humanité]. S’il ne reste plus de Palestiniens à Gaza, il n’y a plus besoin de régime. C’est ainsi qu’Israël a présenté au monde le Fonds humanitaire pour Gaza comme solution transitoire.
Ce fonds opaque est entaché de multiples controverses depuis sa création : deux hauts responsables de l’aide humanitaire, dont les noms y étaient associés, ont nié tout lien avec l’initiative ; son fondateur et directeur a démissionné ; les autorités suisses ont ouvert une enquête à son sujet ; et le cabinet de conseil international qui l’accompagnait a mis fin à sa collaboration.
Jeudi, la chaîne israélienne Kan 11 a confirmé ce que tout le monde soupçonnait déjà : ce sont les contribuables israéliens qui financent l’opération. Israël a versé 700 millions de shekels (environ 200 millions de dollars) pour acheter de la nourriture et rémunérer les agents de sécurité américains. Les affirmations du ministre des Finances Bezalel Smotrich, selon lesquelles Israël ne prendrait pas en charge les coûts du fonds, perdent toute crédibilité.
Le porte-parole du fonds, le restaurateur Shahar Segal, s’était fait connaître en incarnant le personnage de Margo dans le film culte israélien de 1987 Late Summer Blues, où il jouait le rôle du narrateur, doux et sensible. La réplique la plus célèbre du film est prononcée par Ahraleh, objecteur de conscience, qui déclare : « Il n’y a pas de frontière derrière laquelle se cache un ennemi. Derrière ce qu’on appelle une frontière, il y a des gens comme vous et moi. »
Le graffiti « Ahraleh avait raison », longtemps visible sur les murs d’Israël, faisait référence à cette citation. Ahraleh incarnait l’idée simple et innocente de l’humanisation de l’autre — le fait que les Palestiniens (y compris ceux de Gaza) ont des enfants, un estomac vide et une dignité.
Or, au cours des deux dernières semaines, les activités de la fondation, sous la houlette de Segal, ont atteint un nouveau degré de déshumanisation des Gazaouis. La fondation, avec la bénédiction d’Israël, a placé les Palestiniens face à un choix aussi cruel qu’absurde, digne des pires dystopies futuristes : mourir de faim et voir ses enfants subir le même sort, ou risquer sa vie pour ramener un peu de nourriture.
« C’est de l’humiliation, ce n’est pas une vie », a déclaré Ameen Khalifa, un habitant de Gaza, dans une vidéo filmée lundi. On le voit s’enfouir dans le sable, près de la foule en route vers un centre de distribution, lorsqu’il entend soudain des tirs. « De la nourriture trempée dans le sang. Nous mourons pour pouvoir manger. »
Une enquête menée par CNN a révélé qu’il avait été tué le lendemain, vraisemblablement abattu par des soldats israéliens près du centre de distribution d’aide humanitaire. Le gouvernement israélien a pris une décision au nom de tous les Israéliens : cela fait bien longtemps que, de l’autre côté de la frontière, il n’y a plus de gens comme nous. En réalité, il n’y a plus personne du tout.
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