Ma rencontre avec Albert Camus

par GHEDIA Aziz
jeudi 12 juin 2025

 

Vendredi 30 mai 2025.

Belle journée. Température idéale pour une balade estivale... mais sans se mouiller au sens propre du terme.

Direction Tipasa.

Circulation très fluide. Au bout d'une demi-heure de route (à partir de ma maison sise à Ain Benian), nous étions, mon fils Nassim et moi, du côté de Sidi Rached....A gauche de l'autoroute et sur les hauteurs, apparaît le tombeau de la chrétienne. Une construction millénaire imposante d'où la vue sur la grande bleue est époustouflante. Elle semble veiller également sur ce qui reste du vignoble de la région avec probablement le souci, inavoué, de continuer à étancher la soif de Bacchus...Pourtant, les caves ont été depuis longtemps saccagées et fermées. Elles ont perdu leur raison d'être le jour où les pouvoirs publics avaient décidé l'arrachage de la vigne. Il ne subsiste que quelques coteaux, par-ci, par-là...

Il était 16 h lorsque nous arrivâmes à l'entrée de la ville de Tipasa. Le soleil commençait à peine à décliner vers son coucher. Ses rayons, encore chauds, se reflétaient sur le plan d'eau de la grande bleue. Une effervescence particulière régnait sur le port où les marchands de poissons, dans un tintamarre indescriptible, peinaient à capter l'attention d'éventuels clients. Ceux-ci préféraient peut-être plutôt s'attabler sur les terrasses des restaurants qui proposaient des plats de crevettes grillées ou de merlan frit à des prix très abordables.

Tipasa est connue aussi par ses ruines romaines situées sur une falaise à la sortie ouest de la ville. C'est ici, paraît-il, qu'Albert Camus venait pour s'inspirer, particulièrement lorsqu'il entama l'écriture de "Noces à Tipasa". L'allée qui y mène, lorsqu'on quitte le port, est bordée d'arbres qui, au vu de leurs formes bizarroïdes et de leurs troncs épais et ramifiés semblent millénaires. Sans doute comme l'olivier de St Augustin, à Souk Ahras. Ces arbres constituent à eux seuls une attraction touristique. Les autorités compétentes de la ville devraient tenir compte de cette merveille de dame nature et feraient tout leur possible pour la préserver. Tout comme les ruines, ces arbres "romains" pour paraphraser mon fils Nassim, qui, candidement, se mit devant l'objectif de la caméra pour une photo-souvenir, sont un patrimoine floral à entourer de tous les soins...

Plus loin, je veux dire dans l'enceinte même de l'espace occupé par ce qui reste de la civilisation romaine, un autre arbre, un olivier précisément, nous accueille joyeusement. Il nous ouvre ses bras noués, les pieds de " Big foot" enracinés solidement dans la terre algérienne. Si cela ne tenait qu'à moi, je l’aurais baptisé, cet olivier, « l’olivier de Camus » en l'honneur à cet écrivain qui chérissait tant ce pays. Malheureusement, comme le pensent d’ailleurs la majorité des intellectuels algériens qui ont eu à s’intéresser à l’œuvre camusienne, il le chérissait mais sans ses autochtones, ceux qu'il nommait, dans "l'Etranger '" Arabes".

Notre visite des lieux commença tout doucement, seuls. Ce n’est que plus tard, lorsque, péniblement, nous atteignîmes « La basilique », ou plutôt ce qui en reste comme colonnes et murs en pierre effondrés, qu’un guide, bénévole, vint me proposer ses services. Je ne pouvais qu’accepter avec plaisir, car le site n’occupe pas moins de 60 hectares et le « truc » qui m’intéressait le plus et pour lequel j’ai fait ce déplacement se trouvait encore plus loin. 

Il faisait encore chaud et Nassim avançait péniblement, m’obligeant parfois à m’arrêter pour l’attendre. Mais le hic, c’est que lorsqu’il me voyait à l’arrêt, figé, reprenant mes forces à l’ombre d’un olivier, il s’arrêtait lui aussi à plusieurs dizaines de mètres de moi. J’ai beau crier, beau râler, pour qu’il reprenne la marche mais rien à faire. Il est têtu et n’en fait souvent qu’à sa tête. D’ailleurs, il ne comprenait pas l’utilité de cette escapade dans un endroit où les pierres, même d’une grande importance archéologique, sont presque complètement recouvertes par une végétation de type maquis. En fait, mon fils ne pouvait pas savoir qu’il y a peut-être plus de deux milles ans, cet endroit était plein de vie. Il s’en fichait éperdument. Pour lui, c’était peut-être même « absurde » que nous soyons là, à cette heure-ci de l’après-midi, sous un soleil de plomb à chercher une stèle, une pierre faisant face au mont Chenoua et sur laquelle est écrite une petite phrase : « Je comprends ce qu’on appelle gloire. Le droit d’aimer sans réserve ». D’autant plus qu’à force de transpirer, il commençait à avoir soif…Mais, je sais comment l’amadouer. 

- Écoutes, mon fils, fais vite, un peu de courage, comme ça dès qu’on termine la visite, nous irons prendre des glaces sur le port.

C’est cela son point faible. Il aime bien se mettre à table. Et s’empiffrer est son dada. A l’évocation du mot « glaces », Nassim se mit à augmenter sa cadence. Sa fatigue s’était dissipée comme par miracle.

Sur un petit sentier sablonneux, à l’approche de l’endroit où est érigée le « truc », la stèle sur laquelle est mentionnée une citation de l’auteur de « Noces à Tipaza », des empreintes encore fraiches de pas… preuve que nous n’étions pas les seuls sur les traces d’Albert Camus.

L’entrée du site est payante. Mais, il y avait foule ce jour-là. 

Beaucoup de gens viennent ici pour profiter de la quiétude des lieux et de l’odeur iodée de la mer qui se trouve en-dessous de la falaise. Ils viennent aussi, comme jadis Albert Camus, pour sentir l’odeur de l’absinthe très répandue encore sur les lieux en ce mois de mai et probablement aussi pour rendre hommage à « l’homme révolté » que fut ce prix Nobel de littérature. 

En tous les cas, cette visite de la stèle (dédiée à Albert Camus par son ami, le sculpteur Louis Bénisti, dans les années 60 ), m’a, quelque peu, revigoré. Le guide, qui m’accompagnait et m’expliquait l’archéologie des lieux, immortalisa cet instant chargé d’émotion en prenant quelques photos avec mon smartphone. Les images sont belles malgré le contre-jour dû au soleil tombant sur le mont Chenoua. A noter qu’une brise marine sécha presqu’instantanément la sueur qui perlait sur mon visage.

Deux touristes asiatiques (Chinois ou Japonais) étaient déjà sur les lieux. Ils prenaient eux aussi des photos-souvenirs. Vu leur jeune âge, j’ai immédiatement pensé qu’ils ne pouvaient être que des étudiants en littérature ou peut-être même des doctorants préparant leur thèse sur Albert Camus ou du moins sur “Noces à Tipasa”. On ne se donne pas tant de peine, par une journée caniculaire, juste pour lire ce qui est écrit sur la pierre qui, telle une pierre tombale, témoigne du passage et du recueillement d’Albert dans ces lieux. N’était-ce son grand volume, presque deux mètres de hauteur, on aurait dit une pierre tombale d’un cimetière musulman. Sauf qu’il n ya aucun cimetière musulman ici. Elle est seule sur ces lieux… Mais, le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle semble bien cadrer avec l’environnement “romain”. Pourtant deux mille ans d’histoire séparent la construction de cette ville antique et l’érection, sur ces mêmes lieux, de cette stèle dédiée à Albert Camus. 

Deux époques très différentes de l’occupation de cette terre de l’Afrique du Nord. Mais des pierres identiques semblant défier le temps pour le visiteur d’aujourd’hui. D’ailleurs le nom Camus se terminant par “us” pourrait facilement prêter à confusion tant sa consonnance rappelle les patronymes de nos “ancêtres les Romains”, tels Bacchus qu’on a déja évoque et qui n’était autre que le Dieu du vin, Claudius, Flavius, Ulpius, Aelius et j’en passe. 

Sur le port de Tipasa, il y avait, ce jour-là, une effervescence particulière. Les terrasses de café étaient assaillies par des hommes et des enfants qui cherchaient à se reposer et à se rafraichir le gosier. Les vendeurs de glace ne chômaient pas, non plus. Ici, c’était plutôt la gente féminine qui s’était accaparée des lieux, leurs tables étant encombrées de “Dame blanche” et autres “ Hérissons”. Quant aux enfants, ils semblaient se contenter de modestes sucettes glacées. 

Côté restauration, c’est à une concurrence féroce que s’adonnaient les “Chefs”. Cela se devinait à la présence, dans les présentoirs, de fruits de mer frais de toutes sortes qui, le moins qu’on puisse dire, éveillent les papilles gustatives des passants. 

L’un de ses restaurants, faisant face au port, portait l’enseigne de “Restaurant Albert Camus”. Sur sa terrasse, inondée par la lumière du jour, bien décorée mais encore vide à cette heure-ci, était attablé un monsieur de la soixantaine à l’allure de vieux marin. En effet, il portait un tee-shirt marin avec un lacet sur le poitrail et une casquette de Capitaine. Il était blond et de forte corpulence. Sa barbe bien taillée et sa moustache à la Salvador Dali étaient blanches. Dans sa jeunesse, il a dû être Capitaine de chalutier ou du moins matelot ; Il a dû aussi galérer et, comme Ulysse, fait face à des mers démontées, à de grosses vagues par temps houleux et à des jours de mer d’huile et de soleil tellement ardent qu'il brûle la peau ; des stigmates de cette vie de marin-pêcheur sont encore visibles sur son visage bronzé par le soleil méditérranéen… ou alors c’est votre serviteur qui déborde d’imagination… 


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