Entre chien et loup

par C’est Nabum
dimanche 29 juin 2025

 

Conversation au crépuscule.

 

Un chien qui s'octroyait un peu de liberté, se libérant un temps de la surveillance pesante d'un maître quelque peu envahissant, croisa sur sa route un loup qui poursuivait sa longue errance, fuyant les chasseurs d'image et tous ceux qui espéraient un jour, voir un de ses semblables. Tous les deux de se trouver immédiatement bien des points communs.

Le chien vit en son presque homologue bien des similitudes avec ses compères domestiques. Contrairement à la réputation que d'aucuns voulaient lui coller sur le dos, l'animal sauvage n'avait rien d'un monstre. Le chien estimait même qu'il avait croisé nombre de collègues qui semblaient bien plus redoutables, d'autant plus qu'ils étaient invités à se montrer violents par des maîtres qui ne valaient guère mieux.

Le loup quant à lui fut surpris de l'urbanité de ce cousin qui non seulement ne se mit pas à aboyer furieusement à son approche mais qui plus est, entama le dialogue sans crainte ni préjugé sur ceux de son espèce. Il fut tout à fait étonné, tant il avait jusque-là vu dans ces serviles compagnons des humains, des ennemis plus féroces encore que leurs maîtres.

Forts de ces constats, nos deux amis de fraîche date se lancèrent dans une longue conversation alors que le soleil disparaissait à l'horizon pour laisser place aux ombres et aux inquiétudes qui naissent à l'approche de la nuit. Un dialogue entre chien et loup au crépuscule en somme, on ne peut dire mieux.

Chien évoqua tout d'abord les méfaits que faisaient dans les abords des villes la multitude de ses condisciples que les aléas de l'existence avaient contraint à retrouver l'état sauvage. On les nommait errants ou vagabonds pour ne point alarmer les humains même s'il y avait lieu de s'inquiéter des nombreux ravages qu'ils faisaient pour trouver par eux-mêmes leur pitance. Loup fut soudain alarmé de cette menace qui allait lui revenir comme un boomerang. Il imaginait fort bien qu'on ne tarderait pas à lui mettre sur le dos, leurs exactions.

Loup à son tour évoqua quelque chose qui lui tenait grandement à cœur. Il s'étonnait en effet qu'un certain Jean De La Fontaine en vint à 29 reprises à tailler des croupières à ceux de sa race dans des histoires qui avaient toute apparence d'évoquer en fait les humains et leurs malversations. Il voyait dans cette pratique un comportement relevant de la diffamation. Chien qui fréquentait de plus près ceux qui vont debout sur leurs pattes arrière confirma ce sentiment en lui donnant d'autres détails. Renard avait quant à lui droit à 19 de ces odieuses fariboles qui salissent sa réputation tandis que lui, le chien n'était de la fête qu'à six reprises…

C'est ainsi qu'ils en conclurent que des animaux de la création, du moins dans ce joli pays de France, le loup et le renard étaient habillés pour l'hiver. L'un semant la peur et l'effroi tandis que l'autre passait pour fourbe, vicieux et retord. Le chien profitant de l'aubaine pour passer pour bien meilleur qu'il n'était tant dans ses rangs, il y avait des individus qui ne valaient pas tripette !

Le chien avait la dent dure pour ses homologues ce qui surprit grandement un loup qui justement bavait d'admiration pour la gente canine, exprimant par la même une jalousie qu'il n'osait qualifier comme telle ! Chien lui confia alors qu'il n'avait pas lieu de penser de la sorte d'autant que c'est justement quand canis familiaris, lupus et vulpus avaient eu la rage que la maladie les poussa jadis à commettre bien des atrocités tout en précisant que de très loin encore, ce furent alors les chiens les plus coupables car les plus touchés.

Chien, la queue basse avoua alors qu'en maintes occasions, ses pareils furent mis à contribution pour participer à des battus, des traques ou des piégeages qui décimèrent les rangs des deux autres espèces. La domesticité confine souvent à la servilité, il devait bien le reconnaître et s'en excusa auprès de Loup qui commençait à comprendre bien des choses…

Puisque l'heure était à la confession, Chien continua de vider un sac qui n'avait rien d'une gibecière. Il avoua que le couple formé par le chasseur et son serviteur à quatre pattes a eu dans le passé sur la conscience bien des forfaits qui furent attribués aux loups qui paradoxe suprême, fut le coupable expiatoire en maintes circonstances. Loup resta perplexe, ne saisissant en rien les sous-entendus d'un chien plus habitué que lui aux subtilités de la langue des maîtres. Il demanda des explications.

Chien demeura assez vague, tant ce qu'il avait à dire, lui pesait lourdement. Il évoqua à demi-mots la nature du chasseur qui se fait prédateur et qui répondant à des instincts qui ne sont pas tous dans l'ordre de la nature, pouvait satisfaire d'autres besoins de chair fraîche qui ne se trouvent pas à portée de fusil. Loup, de par sa nature sauvage ne comprenait rien à ce charabia et donna sa langue au chien.

Chien, les oreilles plus basses encore que la queue finit par reconnaître que dans le passé, bien des crimes sordides de nature sexuelle furent attribués aux loups par le truchement d'une adroite mise en scène du prédateur et de son fidèle compagnon. Puis le forfait accompli, les bêtes de la forêt se chargeaient selon l'ordre immuable de leur nature de décomposer la malheureuse victime pour effacer tout risque d'interprétation qui dédouanerait le loup.

Loup venait de comprendre toutes ces sornettes et légendes à dormir debout dans lesquelles il était mêlé à l'insu de son plein gré. Quelle stupidité de penser que même fort bien grimé, il puisse passer pour une mère grand capable de tromper une petite fille ou un jeune berger. Il comprenait enfin pourquoi on lui mangeait tant de laine sur le dos. Ce n'étaient pas les quelques moutons à son passif qui expliquaient la terrifiante réputation dont il avait ouï dire.

Loup remercia chaleureusement Chien pour sa franchise et cette révélation qui éclairait d'un jour singulier ces quelques heures lourdes de menaces que l'on nomme le crépuscule. Il s'empressa de tailler la route, de fuir au plus vite les abords des villes et les plaines cultivées. Sa place resterait à jamais dans les massifs forestiers où, plus que jamais, il avait à remplir sa mission de prédateur. Les sangliers et les cervidés y pullulent et il avait assez d'ouvrage pour ne pas aller se risquer une fois encore, à semer le trouble dans l'esprit des humains si prompts à faire porter leurs turpitudes aux autres.

Chien s'en retourna chez son maître, lequel n'était pas de la même espèce que ceux dont il venait de dresser le portrait. Ce n'était pas une vie de lui-même que son existence dans une demeure chauffée avec des humains qui lui fournissaient aimablement le gîte, le couvert et beaucoup d'affection. Voyant partir au loin Loup, il le plaignit franchement, n'enviant pas son éternel vie de fuyard. Il se promit d'en toucher deux mots à son ami humain afin qu'il narre à sa manière, cette curieuse discussion.


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