Instantanés d’une plage ordinaire - 2 -

par C’est Nabum
mercredi 14 août 2013

Le Bonimenteur à la mer ...

Dans l'eau

Affronter l'élément liquide n'est pas une mince affaire. Chacun y va de ses préliminaires, ses rituels ou ses manières. Les uns plongent joyeusement sans préambule ni aucune précaution. D'autres ont besoin de temps, tergiversent, se décident, reculent, se mouillent délicatement et parfois renoncent. Quelques-uns ne semblent pas éprouver le moindre frisson, quelle que soit la saison, il vont à l'eau comme si de rien n'était. Beaucoup se contentent de se mouiller seulement les pieds !

Curieusement il y va de la natation comme des langues vivantes. Après des années de scolarité, de piscine obligatoire, combien maîtrisent vraiment le geste ? C'est une énigme et rares sont les bons nageurs qui nous régalent d'un crawl parfait et efficace. Le style est souvent déplorable, le rendement si médiocre que bien vite le nageur reprend pied et souffle !

La foule prudente se masse entre les deux piquets surmontés d'une flamme bleu de la zone surveillée. Dans les Landes la baignade est dangereuse, les pièges redoutables. Il est préférable de ne pas s'écarter, de rester bien sagement à proximité des éventuels sauveteurs. Dans le ciel, l'hélicoptère tourne pour rappeler à tous que cette pratique n'est pas sans danger.

La concentration est telle que nous avons l'impression d'être un banc de sardines promis à une prochaine mise en boîte. La promiscuité dans l'eau est cependant beaucoup moins désagréable que sur le sable. Les vagues se chargent de briser la glace, de rompre la distance que veulent préserver les plus timides. On se bouscule, on se télescope dans un joyeux désordre.

Il faut faire avec les planches collées au corps des enfants et de quelques plus grands. Ils prennent la vague, se laissent porter par le flot et viennent échouer sur le rivage. Souvent, ils télescopent quelques personnes, passent entre des jambes, évitent de justesse un groupe. Il faut rester sur le qui-vive. Certains ne se soucient guère des baigneurs du bord. Il faut alors élever la voix.

Les plus adroits, ceux qui sont équipés de palmes vont à l'extérieur de la zone. Ils font des figures, choisissent leur vague, se comportent déjà comme les surfeurs, les vrais, ceux qui sont au-dessus de l'eau. Ceux-là sont plus loin, à l'écart et bien plus au large. Petite secte de la plage, ils sont les seigneurs des Landes, le regard toujours au loin à scruter l'Océan.

Les maîtres nageurs surveillent tout ce monde. Ils sont d'une extrême vigilance. Ils ne font pas semblant comme leurs homologues des piscines. Ici, le moindre souci peut tourner à la catastrophe. Ils ne cessent d'aller et venir sur la rive, de remettre les plus aventureux dans les clous. D'autres surveillent à la jumelle, scrutent au loin les réfractaires de la discipline pour éventuellement intervenir malgré tout. Ils ont encore à traiter des enfants qui s'égarent, des piqures de vives et des petits soucis qui ne manquent jamais de subvenir avec cette foule.

Tout au loin, les jets-skis font leur ronde infernale. Ce phénomène de la morgue et de la puissance, du bruit et de la pollution, du fric et de la démence d'une société qui se moque de la nature ne cesse de prendre de l'importance. Le plaisir de quelques-uns passe au dessus de la tranquillité de tous les autres. La veille, l'hélicoptère a dû aller chercher un de ces pilotes intrépides qui avait oublié d'apprendre à nager, absurde et imbécile ; l'argent n'excuse pas tout !

Sur le bord, de petits trous d'eau se forment. C'est le royaume des enfants. Armés de pelles, de seaux et surveillés par une armée d'appareils photographiques braqués sur eux, ils font leur train, s'inventent des mondes nouveaux, se perdent dans des discussions magnifiques. Ils n'ont pas besoin d'interlocuteurs pour bayer aux corneilles. C'est l'âge de l'insouciance et du rêve. Que du bonheur à les voir ainsi se couper de tout et de tous.

À l'opposé, de beaucoup plus vieux espèrent encore affronter les flots. Ils sont prudents, évitent la masse, cherchent le moment propice pour jouir eux-aussi du plaisir de la baignade sans courir le risque de la bousculade. L'eau est d'abord un espace réservé à la jeunesse, à l'enfance et l'adolescence, aux jeunes adultes aux corps épanouis. Ils vont et viennent dans l'insouciance des moins habiles, des plus instables, des moins assurés. L'empathie n'est pas à l'ordre du jour, la plage est, en dépit des apparences, un lieu de l'extrême solitude pour ceux qui sortent de cette majorité épanouie. Plus restreinte encore est la place offerte au handicap ou à la différence. La plage est sans pitié parfois !

Baigneurement leur.


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