Le sarkozysme, l’avenir de la France ?

par Babar
lundi 18 janvier 2010

« Nicolas Sarkozy n’a pas grand intérêt. Seul compte le « sarkozysme ». Le mot n’est plus un néologisme. Il est notre réalité. Et pour longtemps ». Dès le début de son nouveau livre, Le sarkozysme sans Sarkozy (éditions Grasset), Serge Portelli entre dans le vif du sujet.
 
Il ne s’agit pas pour le vice-président au Tribunal de Paris et Président de la 12ème chambre correctionnelle, d’un essai de plus sur le président de la république, mais de la réflexion d’un citoyen sur un système, le sarkozysme, ce populisme autoritaire basé sur trois piliers : le déterminisme génétique et social, le culte de la peur et la réduction de la complexité.
 
Le Sarkozysme n’est pas de droite, mais transversal. On comprend dès lors que la fameuse ouverture n’en est pas une. Le président de la république ayant pris soin de prendre à gauche les éléments sarkocompatibles, prêts à adhérer à de vieux slogans poussiéreux remis au goût du jour. Travail, famille, patrie... Dès lors, les pauvres, les étrangers, les « asociaux » sont les ennemis. Et pour préparer l’avenir on prend soin aussi de se méfier de l’enfance et de la jeunesse, tellement instables.

Après Traité de démagogie appliquée (2006) l’éditeur Michalon refusa de publier Ruptures (2007), « considérant que ce texte était décevant tant par sa forme que par son fond et qu’il était également très similaire à celui publié par nos soins moins d’un an plus tôt » (Bétapolitique).
 
Qu’importe ! Serge Portelli, infatigable bretteur, qui tient également aussi un blog , publia Ruptures sur le net où il se diffusa rapidement (il est aussi disponible en version papier chez l’Harmattan). En 2008 l’auteur publia Récidivistes chez Grasset et maintenant, chez le même éditeur, Le Sarkozysme sans Sarkozy.

Le constat de Serge Portelli est sombre. Dans le prétoire il mesure chaque jour la dégradation de notre société. C’est la partie la plus intéressante de son livre, celle où il évoque la prison comme élimination sociale, la surpopulation pénitentiaire, comme variable d’ajustement, la multiplication des gardes à vue....
 
« Le pire n’est pas impossible. Il n’est pas non plus inéluctable", souligne pourtant l’auteur. Le sarkozysme n’est pas « une fatalité ». Face à cet obscurantisme politique, il convient de réapprendre à penser et surtout à se rassembler, à être ensemble. « C’est pas un regard lucide sur la véritable humanité, sur les parts d’ombre et de lumière qui coexistent en chacun de nous, de l’enfance à la mort, que la société réintégrera en son sein tous ces exclus, ces déviants victimes chaque jour davantage d’une norme absurde et cynique ».

Pour les RDV de l’Agora, Olivier Bailly reçoit Serge Portelli
 
Olivier Bailly : Il existe énormément de livres sur Sarkozy. En quoi celui-ci se différencie-t-il des autres ?   
Serge Portelli : C’est la suite d’une réflexion personnelle. J’avais écrit un livre qui s’appelait Traité de démagogie appliquée et qui partait de l’analyse de la première loi sur la récidive qui datait de décembre 2005.
 
En analysant cette loi, je m’étais aperçu qu’au-delà il y avait tout un système qui était derrière dont le porte-parole était à l’époque Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur. Ça partait d’un point très précis, très ponctuel, qui était la récidive. Ensuite, j’ai écrit Ruptures qui est devenu chez l’Harmattan Une république sous haute surveillance, une réflexion qui s’est élargie.
 
Dans Ruptures, qui était un avertissement avant les élections, je disais "attention voilà ce qui se prépare si jamais il est élu". Et puis effectivement, une fois élu je me suis dit que c’était peut-être utile de ne plus s’attacher à la personne de Nicolas Sarkozy. Parce que dans la masse de bouquins que vous évoquez il y en a quand même une sérieuse quantité consacrée à Monsieur Sarkozy et moi il ne m’intéresse pas du tout.
 
Ce qui m’intéressait vraiment c’était aussi de comprendre la société dans laquelle on vit et donc de voir, au-delà d’une politique qui paraissait incohérente, s’il y avait derrière une vraie cohérence, quelque chose qui pouvait ressembler à une vraie idéologie.
 
Mais au départ ce n’est pas du tout ce que je voulais faire. C’est simplement en réfléchissant, en analysant, en lisant que je me suis dit qu’effectivement il y a une vraie idéologie, courte mais forte.
 
OB : S’il a été élu c’est que le terrain était favorable

SP : Complètement. Pour moi son élection n’est pas du tout une surprise. Il y a une logique très forte et l’idéologie que j’essaye de dessiner c’est une idéologie dont il est le représentant provisoire et qui a pris naissance un peu avant lui. Il a réussi d’une certaine façon à rassembler des éléments d’idéologie qui étaient un peu épars à droite et à gauche. Il faut parfois des hommes politiques pour qu’une idéologie apparaisse. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle ça le sarkozysme. Il le symbolise, il en est le porte-parole. Mais le fond de mon livre c’est que une fois que Nicolas Sarkozy aura disparu de la scène politique il y aura quelqu’un d’autre pour reprendre le flambeau.

OB : Vous écrivez que le Sarkozysme est une doctrine qui se met en place pour longtemps. Comment pouvez-vous être certain qu’il perdurera ?
SP : Parce qu’il y a quelque chose de civilisationnel. Ce n’est pas simplement de l’ordre d’un régime politique, c’est beaucoup plus que ça et ça s’inscrit très profondément dans la culture et même dans le paysage social entier. C’est ce que j’appelle des piliers de l’idéologie. Ce sont des choses qui ne sont pas forcément politiques au sens un peu étroit du terme.

OB : Le sarkozysme s’est-il développé à la faveur d’un vieillissement de la population
SP : Oui. La tendance forte de la population française c’est qu’elle va vieillir. C’est une tendance à la sclérose, au conservatisme. Je pense que l’évolution économique des années à venir, ainsi que celle de la politique internationale, font qu’un des ressorts principaux du sarkozysme qui est est cette politique fondée sur la peur va continuer à progresser, va se pérenniser. Pour moi c’est une immense évidence.

OB : Qui sont les principales victimes du sarkozysme ?
SP : Les plus pauvres d’abord, ça me paraît évident, les étrangers et les jeunes ainsi que tout ce qui est hors norme et hors des canons de l’homme idéal sarkozyste qui est pour moi cet homme qui réussit, qui a de la fortune, qui brille, qui veut travailler plus pour gagner plus, qui est compétitif. Et ça ça laisse sur le bord de la route une grande partie de la population, pas forcément encore la majorité, mais peut-être bientôt.

OB : Comment expliquez-vous que le sarkozysme est populaire parmi les couches les plus défavorisées par ce système ?

SP : Comment expliquer que l’extrême-droite à toujours trouvé un de ses terrains les plus riches dans les classes les plus pauvres. Cette analyse du lumpen prolétariat est assez classique. A partir du moment où vous attisez la xénophobie ou le racisme, ce n’est pas dans les couches les plus élevées, ce n’est pas parmi les intellectuels que vous allez trouver des gens qui vont vous suivre. C’est au contraire parmi les gens du peuple, les plus humbles, ceux qui n’ont pas accès à un niveau de culture suffisant, de réflexion ou d’échanges avec les autres. Les plus pauvres se méfient généralement de ceux qui sont juste au-dessous d’eux. Juste en dessous, mais pas plus.

OB : Le sarkozysme prospère-t-il grâce à la démission des intellectuels ?

SP : Les intellectuels c’est une « classe » qui a beaucoup évolué. Le bouleversement du système médiatique fait que l’intellectuel de 2010 ce n’est plus Camus ni Sartre. Pourtant ça ne date jamais que d’un demi-siècle. Maintenant on a BHL, Finkielkraut, des gens comme ça. Je veux bien que ça soit des intellectuels, des philosophes, mais la question peut quand même se poser ! Ceux qui ont le plus la parole aujourd’hui sont presque plus des hommes de médias que des gens qui pensent. Ce sont des gens qui paraissent, qui se produisent plus que des gens qui pensent. On ne peut pas passer son temps sur les plateaux de télé et de radio et en même temps réfléchir. C’est simplement une question d’emploi du temps.
 
Donc effectivement je pense qu’il y a une certaine démission des intellectuels. Il y a une redéfinition de ce qu’est un intellectuel au début du XXIème siècle. C’est vrai qu’apparaît une catégorie d’intellectuels que j’appellerais les experts, qu’on trimballe de plateau en plateau, d’émission people en émission people...
 
C’est une catégorie d’intellectuels qui a du mal à prendre position et qui peuple souvent ce second étage intellectuel que j’ai essayé de décrire, qui va dans des commissions créent à foison et qui laissent à croire que le gouvernement pense. Parce que si les intellectuels ont du mal à penser, le gouvernement, lui, ne pense plus du tout. C’est tragique.

OB : Le sarkozysme selon vous est une doctrine transversale. Un nouveau populisme, en sorte, partagé à gauche comme à droite ?

SP : Complètement. C’est une des raisons pour lesquelles je pense qu’il va durer longtemps. D’abord je pense que ça ne recouvre pas toute la droite. La droite républicaine n’est absolument pas sarkozyste. Mais alors pas du tout. Philippe Séguin faisait partie de cette droite républicaine, gaulliste en plus, qui non seulement ne se reconnaît pas dans le sarkozysme, mais qui bien souvent le déteste.
 
L’éloge funèbre de Philippe Séguin que François Fillon a prononcé à l’Assemblée nationale reflète en grande partie cette pensée d’une droite républicaine non sarkozyste. Et à gauche effectivement il y a beaucoup de sarkozystes !

OB : Qui à gauche incarne-t-il mieux le sarkozysme ?
SP : Manuel Valls est le prototype du sarkozyste de gauche.

OB : Finalement cela donne tout son sens à l’ouverture
SP : Complètement ; Ce n’est pas du tout un débauchage. C’est simplement que le sarkozysme va au-delà de la droite et qu’il a un terreau naturel dans une certaine gauche.

OB : En quoi votre expérience au Tribunal de Paris nourrit-elle cet essai ?
SP : S’il y a bien un endroit où l’on peut voir les ravages du sarkozysme, c’est bien la justice. Parce que c’est le lieu vraiment où toutes les inégalités sociales éclatent au grand jour et en même temps c’est un terrain privilégié du sarkozysme où l’on peut en retrouver tous les piliers : utilisation de la peur, usage intensif des médias, conception de l’humanité fondée sur le déterminisme et la génétique.
 
Peut-être plus que dans la santé publique, plus que dans l’université ou même le monde du travail, le sarkozysme est davantage visible dans le domaine de la justice et des libertés (qui comprend le rôle de la police) que partout ailleurs. Ce n’est peut-être pas pour rien que moi, un petit juge, j’en arrive à écrire des livres comme ça. Toutes tares du sarkozysme éclatent au grand jour dans ce domaine.

OB : Vous écrivez que le Sarkozyzsme ne peut ignorer certains acquis fondamentaux de l’humanité accumulés depuis ces derniers siècles. N’est-ce pas la contradiction majeure du sarkozysme, mais aussi de votre livre ?
SP : Oui. Si on allait vraiment jusqu’au bout du sarkozysme, je pense qu’on serait très surpris parce qu’il porte en lui-même les germes d’un régime extrêmement autoritaire. Heureusement qu’il ne le peut pas et qu’on est dans un pays qui se trouve en Europe, qui est lié par certains accords internationaux, qui adhère à un certain nombre d’institutions internationales. On ne peut pas non plus en faire fi totalement.
 
Donc à chaque fois qu’on est sur une réforme, le sarkozysme est obligé de laisser une toute petite place à des principes fondamentaux, mais on sent bien que ça le gène. D’ailleurs quand une loi passe au Conseil constitutionnel, on voit qu’il se contorsionne pour d’abord laisser passer la loi et puis pour rappeler quand même qu’on a un certain nombre de principes fondamentaux qu’il faut respecter.
 
Donc il y a souvent des interprétations données par le Conseil constitutionnel qui remet tout ça dans le cadre d’une démocratie. On est en démocratie. Il y a encore un certain nombre d’organismes qui le disent, comme le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’homme.

OB : Qu’est-ce qui peut faire échouer le sarkozysme ?
SP : Ce qui pourrait faire échouer le sarkozysme ce sont des contradictions internes. Vous avez quand même une bataille un peu sourde à l’heure actuelle, pour le pouvoir tout simplement, qui risque d’entraîner un effondrement par l’intérieur du système politique sarkozyste. Le problème c’est que si le régime en lui-même connaît quelques défaillances, le fond, lui, risque de ne pas évoluer très vite.
 
C’est pour ça que j’ai écrit ce bouquin. Ce n’est pas un bouquin d’analyse politique politicienne, c’est hélas plus large. C’est en tous cas son ambition.

OB : Internet représente-t-il une force d’opposition au sarkozysme ?
SP : Oui. Je pense qu’internet depuis maintenant une dizaine d’années, plus encore depuis deux ou trois ans, est vraiment une force terrible qui n’a pas encore développé toutes ses possibilités et, on le sent bien, qui embête quotidiennement le pouvoir en place. Tout simplement parce que dans le paysage audiovisuel où l’on a des journalistes de qualité, et avec des structures économiques très pesantes sur l’information, on n’a pas cette liberté de penser ou de simplement d’informer qui existe sur internet. Internet fait le boulot que faisait la presse il y a encore dix ou quinze ans.
 
On arrive à voir la vanité de la pensée ou de la vie d’un certain nombre d’hommes politiques et on s’aperçoit à ce moment-là que Brice Hortefeux prononce des phrases quand même assez proches du racisme, que Rachida Dati est une ambitieuse... En plus internet me paraît être un lieu de réflexions et de recherches qui me semble fondamental. Et puis c’est en même temps un lieu de protestation. Toutes les mobilisations, toutes les pétitions qui ont eu lieu ces dernières années sont toutes passées par internet. C’est un petit peu – pas trop – repris par la presse écrite.
 
Encore moins par la presse audio-visuelle, mais ce qui fait vraiment bouger la société aujourd’hui c’est internet.
           
 Crédit photo : ps-blr

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