Mais qui a tué Maggie ? Shakespeare revu par William Karel

par Babar
jeudi 12 mars 2009

Dans son nouveau documentaire le cinéaste William Karel reconstitue la destitution de Mme Thatcher. Petit meurtre entre amis...

Avec Mais qui a tué Maggie ? documentaire diffusé sur France 2 , le cinéaste William Karel, invité des Rdv de l’Agora, revient sur la chute de Margaret Thatcher en novembre 1990.

A priori, il n’est pas terriblement passionnant de se remémorer une affaire anglo-anglaise de près de vingt ans d’âge dans laquelle le personnage principal, le premier ministre, n’était pas particulièrement populaire des deux côtés de la Manche.

Pourtant si. Karel a réussi-là un tour de force. Son film qui a obtenu début 2009 à Biarritz le Fipa d’argent est à voir toute affaire cessante.

En réunissant les principaux protagonistes, c’est-à-dire l’ensemble du gouvernement de l’époque (à l’exception de Margaret Thatcher, très malade), il dépasse les faits pour raconter d’une manière étonnamment vivante comment s’est tramée l’histoire de la destitution de la dame de fer.

En trois jours, du 20 au 22 novembre 1990, ce complot, mené dans les règles de l’art, aura abouti à l’éviction d’une personnalité politique internationale de premier plan. Chacun, y compris ses ennemis, la considérait pourtant comme invincible.


C’est seulement maintenant, en 2009, qu’en Grande-Gretagne les conservateurs commencent à imaginer qu’un jour ils pourraient reprendre le pouvoir. Enfin, le « psychodrame » Thatcher touche à sa fin ! 

Il y a près de vingt ans, en se débarrassant de la dame de fer, ils pensaient sans doute redorer à la fois leur blason ainsi que celui d’un gouvernement fâlot, éclipsé par leur chef autoritaire dont la dernière mesure, l’instauration de la Poll taxe, fit déborder le vase. Ils ignoraient alors qu’ils entamaient un long chemin de croix.

Congédiée malproprement du pouvoir en 1990, Margaret Thatcher s’est lourdement vengée. Même si elle a bien pris soin de placer son dauphin, John Major, à la tête du gouvernement, elle a en réalité ouvert un boulevard à Tony Blair.

Ce dernier n’a pas de mots assez tendres pour flatter la mémoire de Margaret Thatcher. Il a même souhaité des funérailles nationales lorsqu’elle disparaîtra. A part les membres de la famille royale, seul Churchill a eu droit à un tel honneur. Il est vrai qu’aujourd’hui dans les sondages la Dame de fer est considérée comme la personnalité politique préférée des Anglais…devant Churchill.

Le blairisme n’aura été qu’une forme de thatcherisme light. Margaret Thatcher aura effectuée le sale boulot avant lui : la fermeture des mines, les « dégraissages » dans la fonction publique », la « gestion » de l’affaire irlandaise et la mort de Bobby Sands
et de ses compagnons, la guerre des Malouines, la Poll Tax...

Tout ceci est rappelé en préambule du remarquable film que William Karel consacre à la Dame de fer et plus précisément à son éviction du gouvernement, du 20 au 22 novembre 1990.

Devant l’objectif de William Karel, cette affaire revêt des aspects grandioses. On se retrouve plongé dans une tragédie grecque ou, pour faire couleur locale, dans une véritable tragicomédie shakespearienne avec du sang, des larmes, des trahisons, mais aussi pas mal d’humour.

Pour réaliser ce tour de force William Karel, qui s’est déjà distingué avec Le Monde selon Bush (2004), a réuni un « casting » extraordinaire : tous les protagonistes, et notamment les ministres du gouvernement Thatcher, ont accepté de parler devant sa caméra. Tous, de Geoffrey Howe, le vice premier ministre qui déclenchera l’hallali lors d’un discours épique devant le parlement, à Kenneth Baker, le président du parti conservateur, de Nigel Lawson, ministre des finances à Kenneth Clarke, ministre de la santé, ils reviennent en détail sur ce complot démocratique. Il ne manque à l’appel que Michael Heseltine, John Major et Margaret Thatcher.

Cette dernière est mal en point aujourd’hui. Mais en novembre 1990, juste avant de quitter le gouvernement, contrainte et forcée, elle pense qu’elle dirigera encore la Grande-Bretagne pendant une décennie. A ce moment-là, elle a déjà battu un record. Un double record : celui de la longévité à ce poste. Elle est aussi la première (et jusqu’à présent la seule) femme Premier ministre du gouvernement anglais.

Si comme moi avant de voir le remarquable documentaire de William Karel, vous pensez que la chute de Margaret Thatcher relève de l’histoire lointaine (histoire ancienne, histoire anglo-anglaise…), détrompez-vous.

Le réalisateur a su transcender les faits pour nous emmener dans une histoire intemporelle. Une tragédie, certes, cela a été souligné, mais aussi une réflexion sévère sur la vanité et la solitude du pouvoir, la fidélité en politique et les petits meurtres entre amis...



Pour les Rdv de L’Agora, William Karel répond aux questions d’Olivier Bailly

Olivier Bailly : Au début de votre film vous dressez le bilan de l’action politique de Margaret Thatcher
William Karel : Il fallait juste rafraîchir un peu la mémoire des gens, rappeler comment elle avait détruit tout le système de santé et d’éducation, sur le fait qu’elle avait partagé le monde en deux blocs, les « assistés » et les « méritants », comment elle avait fait mourir les grévistes de la faim en Irlande, la guerre des Malouines et puis la Poll tax qui était l’équivalent d’une taxe d’habitation.

Le principe étant que si vous avez une chambre de bonne dans la banlieue de Londres ou un château de 40 pièces vous payez exactement la même somme, l’équivalent de 1000 francs. C’était une taxe folle, une taxe du Moyen âge français qui était appliquée naguère. Ça ne reposait sur rien. En rappelant ces faits en quelques minutes il s’agissait d’installer le contact. Ensuite le film commence.

OB : On a un peu l’impression qu’au fil du documentaire vous êtes moins mordant, que vous la plaignez presque.

WK : C’était le danger, avoir de la sympathie pour elle. A partir du moment où le chef du parti conservateur parle d’un matricide, d’un vrai assassinat politique, vous avez forcément un peu de sympathie. Toute la partie qui suit sur la façon dont elle est jetée en une nuit du 10 Downing street avec quasiment ses affaires à la rue, les serrures changées, etc.


Quand elle revient six mois après à la télévision, le choc est encore tellement fort qu’elle en est encore perturbée. A la fin elle est malade, elle vient inaugurer sa statue. D’un autre côté le film montre bien que ce n’était plus supportable pour personne et qu’il fallait se débarrasser d’elle.

OB : Au moment où tout se joue elle se rend en visite officielle à Paris alors qu’elle aurait dû sans doute rester à Londres. Vous citez cette phrase de François Mitterrand :« elle a peut-être choisi de perdre, de se suicider politiquement ».
WK : J’ai montré cette phrase à tous ses ministres et la plupart ont dit, avec tout le respect qu’ils ont pour François Mitterrand, qu’il se trompait complètement. Ce n’était absolument pas dans son état d’esprit de se suicider politiquement. Au contraire, elle dit que pour elle les dix années à venir seront les plus excitantes.

OB : Le casting est impressionnant : tout le gouvernement anglais de l’époque est au complet devant votre caméra.

WK : La commande au départ s’appelait Onze ans de pouvoir de Margaret Thatcher. Une fois que j’ai convaincu France Télévision que ça serait bien plus intéressant, dramatique, de raconter les derniers jours et qu’on pouvait revenir sur les onze années au début, en deux minutes, il restait la question des témoins. On avait toujours dit que si les témoins refusaient de parler on ne faisait pas le film. On ne voulait pas d’historiens ou même de gens qui étaient dans les coulisses ou des conseillers de ministres pour raconter comment ça s’était passé. Ce qui est important c’est la façon dont ils racontent comment ils défilent chez elle dans la nuit pour lui demander de partir et surtout le conseil des ministres du lendemain matin. Les douze personnes présentes dans ce conseil des ministres figurent dans le film.

OB : Il manque John
Major et Michael Heseltine
WK : Ce dernier a eu une crise cardiaque un an après et il a quitté définitivement la politique alors qu’il allait faire une carrière brillante. Il est chez lui et ça ne l’intéressait pas. Et John Major a dit qu’il n’a jamais fait partie du « complot » et qu’il avait été tenu en dehors de l’histoire puisque Margaret Thatcher le pousse après pour qu’il prenne sa place. Il a toujours été son dauphin et son fidèle. Comme on ne traitait pas de cette période il n’a pas voulu témoigner. On a insisté pourtant plusieurs fois.


OB : En quoi cette destitution est-elle un putsch démocratique ?
WK : Ce n’est pas une loi qui concerne les autres partis, mais qui est interne au parti conservateur. On renouvelle tous les ans son mandat, simplement. C’est une petite formalité, insignifiante, mais il suffit que quelqu’un se lève et dise « non je demande un vote »… C’était dans les statuts, elle le savait, mais elle n’a pas pris ça au sérieux. Elle était morte de rire quand on lui a dit qu’on avait essayé de bloquer le renouvellement automatique de son mandat. Elle n’a jamais cru qu’elle serait destituée.

OB : C’est une révolution de palais, on reste dans un monde très feutré.
WK : Au départ, j’étais persuadé, quand j’ai contacté les témoins, qu’ils allaient refuser parce qu’ils lui avaient joué un sale tour. Mais au contraire pour eux il fallait qu’elle parte et il y avait une certaine jubilation à raconter ça. Certains étaient ravis du tour qu’ils lui avaient joué. Aucun n’a manifesté le moindre regret ou remords. Il fallait qu’elle parte, ils ont trouvé cette solution. Ils en avaient marre de jouer les potiches au conseil des ministres ou plus personne ne pouvait dire un mot ou faire une proposition. Tout au long de l’année les ministres avaient démissionné un à un. Tout le monde l’abandonnait. Sur la scène européenne elle était détestée.

OB : Vous évoquez les humiliations subies par Geoffrey How, son ministre des affaires étrangères et le vice premier ministre du gouvernement. C’est ce qui déclenche toute l’histoire.
WK : Tout part de sa démission et de son discours devant le Parlement. C’était le plus fidèle. Il avait commencé sa carrière avec elle. Depuis 17 ans il ne l’avait jamais quittée. Du premier gouvernement au dernier. Après un discours sur l’Europe où il a dit le contraire de ce qu’elle lui avait demandé de dire elle en a fait sa bête noire. Elle l’a rétrogradé. Il avait une maison prêtée par le gouvernement, une magnifique villa, elle lui a retirée. Elle a fait une fixation sur lui et il en a eu marre.

OB : Quelle conclusion en tirer ? Les hommes politiques d’apparences serviles peuvent se révéler de redoutables assassins ?
WK : Vous pensez à François Fillon ?

OB : On pense parfois à la situation politique française actuelle…
WK : Oui, sur la façon dont quelqu’un s’isole à l’intérieur de son gouvernement sans laisser la parole à ses ministres et comment il décide de gouverner tout seul... En regardant les archives et en visionnant les discours de Margaret Thatcher, j’ai trouvé des dizaines de formules comme « il faut travailler plus pour gagner plus ». Je me souviens que Ségolène Royal avait attaqué Sarkozy au moment des élections en l’appelant "le Thatcher en veston".

OB : On se dit que Sarkozy pourrait faire le même genre d’erreur qu’elle...

WK : En l’occurrence la Poll tax. Margaret Thatcher ne pouvait jamais faire marche arrière. C’est ce qui la caractérise. Sur les deux milles pages de ses mémoires elle ne dit pas une fois qu’elle aurait pu changer d’avis ou bien qu’elle a commis une erreur. Quand elle a une idée en tête elle va jusqu’au bout.

OB : Malgré sa maladie, avez-vous tenté de la rencontrer pour un entretien ?
WK : Non, elle a donné un entretien à la BBC, il y a trois ans, qu’elle considérait être le dernier. Et depuis elle n’est plus jamais apparu. Elle a pris un thé il y a un an avec Gordon Brown, chez elle. Mais elle ne fait plus aucune apparition publique. Elle est revenue habiter à Londres, elle a quitté sa maison qu’on voit dans le film. Elle ne voit plus personne.

OB : Que vous inspire cette femme qui pendant onze ans a été très puissante ?

WK : De la pitié. Le peu de sympathie que j’ai eu pour elle vient de son acharnement. Elle est partie de rien, d’un petit village, avec un père épicier et elle l’aidant, décrochant une bourse, un diplôme d’avocat… Et puis elle arrive dans un milieu d’hommes qui sortent tous de milieux extrêmement bourgeois avec encore le système de castes, il existe toujours je pense. En dehors du fait qu’on peut ne pas être d’accord avec sa politique elle est extrêmement intelligente. Elle est brillante

OB : Mitterrand disait qu’elle était le seul homme du gouvernement anglais...
WK : Exactement. Il l’a toujours défendue. En 1989 il y a eu le sommet de Madrid. Margaret Thatcher n’était pas encore arrivée. En l’attendant tous les présidents et ministres européens présents étaient en train de la critiquer. Aznar a même fait le signe de croix en disant « Dieu merci Margaret Thatcher n’est pas immortelle ».

Mitterrand lui est tombé dessus : « comment pouvez vous dire une horreur pareil ! ». Les gens étaient extrêmement surpris. Il a passé pratiquement tous les sommets à la défendre alors qu’ils étaient politiquement opposés. Dans ses mémoires il y a peut-être 50 pages où Margaret Thatcher dit tellement de bien de lui, l’aide qu’il lui a apportée pendant la guerre des Malouines, etc.

OB : Quel rôle ont joué les médias dans cette affaire ?

WK : Avec la Poll Tax, les journaux comme le Sun qui lui étaient favorables ont commencé à trouver qu’elle dépassait les limites. Quand elle a commencé avec la Poll tax et qu’elle a laissé tombé Geoffrey Howe, à ce moment-là la presse ne l’a plus soutenue. Jusqu’à la fin. Il y a eu aussi les émissions satiriques. J’ai dû me censurer. C’était d’une violence inimaginable. Par exemple elle est à Paris elle se fait coiffer par un coiffeur français qui lui tranche la tête a coup de rasoir…

OB : Cette histoire de tête tranchée traverse le film puisqu’à la fin vous racontez qu’un chômeur décapite la tête de l’horrible statue qui la représente…
WK : Mais oui ! Ce chômeur est entré pendant des travaux, il a pris une barre d’un échafaudage et il tranche la tête de la statue. Elle-même, lors du discours d’inauguration de la statue, déclare qu’elle espère que la tête restera en place. Il y a une continuité.


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