Pôle emploi, un sale boulot

par Babar
jeudi 1er avril 2010

Pôle emploi perd-il le nord ? Depuis janvier 2009, date de la fusion des Assédic et de l’Anpe, il n’y a pas que les chômeurs qui ont le moral dans les chaussettes. Force est de constater que le malheurs des uns ne fait pas le bonheur des autres et que les agents de Pôle emploi sont au bord de la crise de nerfs.
 
Il faut dire que la nouvelle agence pour l’emploi a mal commencé : neuf mois pour trouver un nom et un logo. Coût de l’opération : 500 000 euros. Un cabinet de rapaces remaquille l’organigramme. Dorénavant Pôle emploi dispose d’une « direction marketing », d’un département « pilotage et performance », d’une « direction clients » (les clients sont les demandeurs d’emploi). Coût de l’opération : 8 millions d’euros.
 
Dès le départ Christian Charpy, le patron, demande 45 000 euros d’augmentation (par an). L’affaire est politique. Ça ne passe pas. Enfin on met en place un numéro de téléphone qui non seulement ne fonctionne pas, mais est surtaxé...
 
N’en jetez plus. Ceci est la face visible de l’iceberg. Le reste il faut pouvoir le vivre de l’intérieur pour le raconter. C’est ce qu’a fait Gaël Guiselin (un pseudonyme). Diplômé de l’enseignement supérieur, ancien chômeur de longue durée, il a décroché un job à l’Anpe juste avant que se termine ses droits.
 
Dans Confessions d’une taupe à Pôle emploi (Calmann Lévy), écrit en collaboration avec la journaliste Aude Rossigneux que nous interviewons ci-dessous, il raconte en détail le quotidien des chômeurs et celui des agents de Pôle emploi. On peut presque se demander qui sont les plus mal logés.
 
« A Pôle emploi, personne n’a de bureau fixe...L’espace de travail est une denrée rare... Il arrive aux agents de prendre leurs affaires et de s’installer dans la cuisine du personnel pour mitonner leurs dossiers ou assaisonner un malheureux demandeur d’emploi sur un coin de table... ». Ne parlons pas des rats qui s’invitent dans certaines agences...
 
On se demande si ce service est encore public tellement sa mission est polluée par la culture du résultat. Pôle emploi ne sert pas à trouver du travail. C’est un outil politique au service d’un gouvernement ultra-libéral. Un saccage. Après avoir détruit les emplois, s’agit-il maintenant détruire les demandeurs d’emplois.
 
C’est une véritable machine à radier (les auteurs expliquent par le menu les 1001 tracasseries dont sont l’objet les chômeurs et comment, parfois sans raison, ils peuvent perdre leurs droits). Les agents chargés d’appliquer cette politique résistent parfois, mais sont de plus en plus souvent les cibles des chômeurs exaspérés par un système absurde. Les agressions se multiplient.
 
A Pôle emploi on parle une novlangue toute droit sortie du marketing. Florence Aubenas, dans Le quai de Ouistreham (éditions de l’Olivier) explique qu’à Pôle emploi on ne parle plus d’emploi, mais d’ « heures  ». Les agents sont chargés de vous trouver des heures et pas du boulot.
 
Gaël Guiselin et Aude Rossigneux donnent à la fin de leur livre les clés pour comprendre cet univers déroutant. Exemple : « ORE - Offre raisonnable d’emploi : Mesure qui vise à faire accepter n’importe quoi à n’importe quel prix à un DE [Demandeur d’Emploi] qui n’a pas le choix ».
 
Ici « désinscrire » signifie radier, « je vais vous faire bénéficier d’un atelier » est le terme employé pour « je vous envoie pendant un certain temps dans une entreprise privée payée par vos impôts, et dans laquelle vous apprendrez peut-être à refaire votre cv ou à préparer un entretien, et comme ça vous ne viendrez plus en agence ».
 
On savait, grâce au Grand truquage (éditions La Découverte, 2009), ouvrage signé d’un collectif de statisticiens, que les chiffres de l’emploi étaient instrumentalisés.
 
Gaël Guiselin et Aude Rossigneux révèlent l’existence d’une grille qui permet littéralement de truquer ces chiffres et de leur faire dire ce qu’on veut  : « Chaque mois le comité de pilotage départemental épluche les résultats des différents pôles, avec les yeux braqués sur une catégorie bien précise de chômeurs : les A. Nos clients sont soigneusement rangés dans des cases (A, B, C, D, E) et seuls les A (ceux qui n’ont pas déclaré la moindre heure de travail, la moindre formation, le moindre arrêt maladie) apparaissent dans les statistiques mensuelles du chômage... Pour prouver qu’il est un brillant sujet, le directeur de chaque antenne est prié de fournir des chiffres convaincants sur son taux de radiation ou de passage de la catégorie A à une autre  ».
 
Ces Confessions d’une taupe à Pôle emploi est un livre ramassé, incisif, alerte, certes un peu de parti-pris (c’est avant tout un témoignage), mais instructif avant tout. Il nous apprend des choses que peut-être on ne devrait pas savoir...
 
Aude Rossigneux, co-auteur de cet ouvrage avec Gaël Guiselin, répond aux questions d’Olivier Bailly pour les Rdv de l’Agora
 
Olivier Bailly : Comment avez-vous procédé pour l’écriture de ce livre à quatre mains ?
Aude Rossigneux : J’ai tout écrit à partir du témoignages de Gaël Guiselin et des notes qu’on échangeaient. J’ai également recueilli des témoignages de mon côté. Un certain nombre de passages sont écrits à la première personne, mais l’on parle d’autres agences. D’un point de vue purement structurel c’est de l’enquête journalistique et on voulait que le témoignage de Gaël, qui est vraiment le témoignage d’un insider, apparaisse tel quel.

OB : Christian Charpy, le patron de Pôle emploi, a déclaré récemment [voir la vidéo à la fin de cette article] que votre livre contient beaucoup de contre-vérités et qu’il donne une vision négative de Pôle emploi. On ne fait pas du chiffre à Pôle emploi, dit-il notamment. Que lui répondez-vous ?

AR : Je lui réponds que notre livre ne donne pas une image très reluisante de l’institution, mais donne un image remarquable de tous les conseillers. Ils font un boulot extraordinaire avec des outils qui ne sont pas forcément à la hauteur de l’enjeu. Si on ne fait pas de chiffre il faudra qu’il explique pourquoi il y a 40 000 radiations chaque mois.
 
Récemment le médiateur de Pôle emploi prétendait dans un rapport qu’il n’y a pas du tout de radiations massives, qu’elles ne sont pas injustifiées et que d’ailleurs personne ne fait de recours. Je réponds qu’il faut déjà savoir qu’on peut faire un recours et surtout avoir le culot de le faire parce que se lancer dans une entreprise aussi kafkaïenne, bon courage !
 
Il m’est arrivée d’être radiée. J’ai été demandeuse d’emploi. Je n’ai pas fait de recours. Je ne savais même pas qu’on pouvait en faire. J’ai préféré me réinscrire, comme tout le monde. Christian Charpy peut dire ce qu’il veut, mais nous avons recueillis des témoignages de directeurs et directrices de sites et on sait qu’on regarde les radiations. Parce que c’est la seule chose qui compte. On ne regarde que ça.

OB : Pôle emploi sert-il à trouver des emplois ou à décourager les chômeurs ?
AR : C’est une question à laquelle je ne saurais pas répondre. Cette machine sert davantage à lutter contre les chômeurs que contre le chômage, c’est évident. Maintenant Gaël raconte qu’il a trouvé du boulot et des gens et que c’est pour ça qu’il continue. La machine fonctionne grâce à ceux qui la font vivre, de façon complètement artisanale. De temps en temps elle fonctionne et au nom de ces moments-là elle a mérite d’exister.

OB : On constate qu’on applique à Pôle emploi les recettes des ressources humaines avec un langage de multinationales...

AR : Oui, comme la gestion de risque, enfin des trucs totalement délirants. C’est pour donner un air sérieux, mais ça ne correspond à rien. Gaël n’a rien vu changer. Ou alors si, certaines choses, comme l’informatique qui ne marche plus, ou le fait qu’il n’y a pas de bureau pour tout le monde, mais en terme de boulot, pour lui concrètement, cela n’a rien changé à l’efficacité de son travail.

OB : Ce qui frappe c’est la manière dont est organisé Pôle emploi. On dirait qu’une grosse machine commande et que les employés n’ont aucune prise sur elle.

AR : Beaucoup de choses sont informatisées donc il y a un côté big brother et c’est l’informatique qui décide. Par exemple lorsqu’un demandeur d’emploi ne se présente pas à un rendez-vous, si l’on ne saisit pas quand même un entretien fictif, un avis de radiation est émis de façon automatique.
 
Cela dit dans toute machinerie administrative il y a des failles et les agents arrivent à se glisser dans les petites brèches. Mais c’est vrai que c’est une grosse machine un peu compliquée. C’est pour ça qu’il s’organise une sorte de résistance, comme on l’a appelé dans un des chapitres. Bien sûr cette résistance à des limites. Des limites administratives.
 
A un moment donné quand on est dans une boîte on est obligé d’obéir, mais c’est partout pareil. Là où les agents résistent d’une façon extrêmement nette c’est à propos de l’utilisation de la lampe à UV pour les sans-papiers. Ils ne veulent pas devenir des supplétifs de Brice Hortefeux. Quand un des employés de Pôle emploi qui a des années de boîte donne des lettres-types à des demandeurs d’emploi pour qu’ils ne soient pas radiés, c’est une forme de résistance. Quand ils mettent à la poubelle les courriers nauséabonds de dénonciation, c’est aussi une forme de résistance, une résistance qui à ses limites, sinon il n’y aurait pas 40 000 radiations chaque mois.

OB : Les derniers chiffres du chômage viennent de tomber. Qu’en pensez-vous ?
AR : On est toujours dans quelque chose de totalement abscons où on nous dit que le chômage augmente mais que ce n’est pas si pire que si c’était mauvais... Mais en clair il augmente, donc il y a davantage de demandeurs d’emploi. C’est tout. On ne va pas tourner autour du pot.

OB : Vous montrez l’existence d’une grille prouvant que les chiffres du chômage sont faux et que plusieurs catégories de demandeurs d’emplois ne sont pas prises en compte.
AR : Les chiffres qui sont donnés en France concernent grosso modo les gens qui n’ont pas déclaré une seule heure travaillée le mois précédent et qui ne sont ni en formation ni en stage ni en arrêt-maladie et qui habitent en métropole - parce que les DOM on n’en parle même pas.
 
Ce n’est pas comme s’il y avait du chômage en Guadeloupe ou en Martinique, naturellement. Ce n’est pas comme s’il y avait une vraie crise économique là-bas, évidemment. Surtout ne montrons pas les chiffres qui fâchent. Compte tenu de la crise qu’il y a eu l’an passé aux Antilles c’est se foutre de la gueule du monde de ne pas communiquer les chiffres des DOM. C’est totalement délirant d’expliquer que ces gens c’est la France et de ne pas les compter dans les chiffres du chômage des Français. C’est incohérent et scandaleux. On ne fait pas des sous-catégories de citoyens. Politiquement il y a de vrais relents de colonialisme dans la façon dont on comptabilise le chômage en France.

Pour en revenir aux catégories des gens déclarés officiellement chômeurs, elles sont totalement délirantes. Une femme de ménage qui a travaillé une heure ce moi-ci n’est pas comptabilisée parmi les chômeurs.
 
Je ne dis pas que Pôle emploi truque les chiffres, mais qu’on essaye habilement de faire passer les gens d’une catégorie A à n’importe laquelle des quatre autres catégories parce que celle qui est donnée, celle qu’on regarde et sur laquelle tout le monde se jette comme la vérole sur la bas-clergé c’est la catégorie A.
 
Donc il ne faut pas qu’il y ait des gens dans cette catégorie. Elaguons. C’est un mensonge par omission.

OB : Pôle emploi est-il selon vous adapté au monde du travail et à la demande d’emplois ?
AR : Si on avait commencé par former les conseillers au moment de la fusion de l’Unédic et de l’Anpe le résultat serait meilleur parce qu’avoir des gens qui connaissent un peu le monde du travail, ça aide.
 
Mais, même, lorsqu’il y a des gens un peu spécialisés, lorsqu’ils passent le concours, c’est le cas de Gaël Guiselin, on les affecte à des postes auxquels ils ne connaissent rien. Gaël on l’a placé dans un secteur qui concernait le bâtiment ou l’hôtellerie alors qu’il avait bossé dans l’animation culturelle. Comme à l’armée : est-ce que quelqu’un sait jouer du trombone ? Vous ? Très bien, corvée de patates !
 
Autre chose : on envoie des conseillers très loin de leur domicile alors que d’autres qui habitent en face d’agence sont affectés dans d’autres départements. On marche sur la tête. Si on commençait par faire en sorte que les gens soient bien dans leur boulot, qu’ils aient une formation, qu’ils disposent chacun d’un bureau, qu’il n’y ait pas de rats ni de puces dans les locaux, qu’on mette en valeur leurs compétences.
 
On ne peut pas parler de valoriser les compétences des demandeurs d’emploi si l’on ne commence pas par le faire pour les conseillers. Tout a été fait en dépit du bon sens et on s’étonne ensuite que cela ne marche pas. On a commencé par trouver un logo, par mettre un totem, on a trouvé un nom qui dépote. En attendant les employés ne sont pas formés, n’ont pas de bureau et ils ne savent même pas que Pôle emploi est né.
 
Après on leur fait remarquer qu’ils ne sont pas hyper-performants... C’est bizarre !

OB : Est-ce que cela n’est pas une volonté de décrédibiliser le service public ?
AR : Je ne pense pas qu’ils aient cette intention parce que de toute façon que cela soit crédible ou pas, ils font. Ils ont déjà sous-traité 300 000 demandeurs d’emploi. On constate que les résultats sont moins bons. Je n’ai rien contre les boîtes d’interim, mais ce n’est pas le même métier. Chercher une secrétaire trilingue ou un déménageur pour trois jours ce n’est pas la même chose que de trouver un boulot pour longtemps.

OB : Qu’est-ce que vous conseillez aux demandeurs d’emploi ?

AR : Toujours déclarer qu’on est à la recherche d’un emploi. Sauf quand on est en CDI, qu’on est bien payé et qu’on est content de ce qu’on fait ! Mais on a le droit de se déclarer toujours à la recherche d’un emploi à temps plein.
 
Je vais vous donner un exemple précis, le mien. L’année dernière j’étais rédactrice en chef du magazine Ripostes. J’avais un contrat de grille, c’est-à-dire qu’il peut s’arrêter avec l’émission. J’avais donc un CDD. Je ne me suis pas désinscrite. Je déclarais chaque mois ce que j’avais gagné, le nombre d’heures travaillées, mais à la fin du questionnaire, sur Internet, à la question « êtes-vous toujours à la recherche d’un emploi » je répondais oui. Toujours.
 
Tant que je ne suis pas en CDI et que je n’ai pas passé ma période d’essai je reste à la recherche d’un emploi. On ne sait jamais. Ça évite à chaque fois de se réinscrire au chômage et par conséquent cela évite le délai de carence. Ce n’est pas de la triche. Je fais exactement ce à quoi j’ai droit sans faire de cadeau à une administration à laquelle je cotise.
 
Donc toujours se déclarer en recherche d’emploi et surtout continuer d’actualiser sa situation, même si l’on est en CDD.
 




Crédit photo : villiard

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