On a fait beaucoup de progrès en matière de réflexion sur ce qu’est la réalité et le temps, surtout depuis la mécanique quantique.
Mais in fine, en Justice, on en reste aux anciennes considérations qui sont celles de la meute.
Puisque toute singularité de cas individuel se juge en Justice selon des critères de meute, les considérations plus modernes, plus indéterministes, plus nuageuses sur la réalité et sur le temps ne valent rien, ne débouchent sur rien et n’ont pas la moindre réalité tangible ou application, ne nous font pas sens.
Les arguments qui peuvent donner corps à des visions plus évoluées de ce qu’est le temps et la réalité sont essentiellement ceux fournis par le logos et par la séparation des choses en Bien/Mal
Or logos et manichéisme n’existent que par la meute.
Dès que nous parlons, dès que nous décrivons une chaise, nous mentons (volontairement / involontairement). Sans dire qu’en décrivant si mal la réalité de la chaise nous tuons cette réalité, nous la dénions pour le moins. Et nous organisons notre vie sur une montagne de dénis (qu’il n’y a pas à qualifier en Bien/Mal)
.
Et en plus de très mal décrire la chaise, il y a dans ce que nous en disons une indication qu’elle est bien-belle / mal-moche.
Admettre que le verbe, ajouté au manichéisme (probablement inséparables), déforme toujours la réalité et le temps nous permettrait non pas de mieux décrire une chaise mais au moins d’être moins arrogants quand nous la décrivons.
Mais le problème alors c’est que nous n’aurons plus l’arrogance nécessaire pour pendre quelque bandit.
Notre tendance à simplifier les réalités et le temps est la conséquence directe de notre envie de pendre les bandits, de condamner durement (Etant à comprendre que les bandits pensent eux aussi selon les principes dominants de meute et que eux aussi se sentent l’arrogance suffisante pour tuer)
Il est flagrant que nous sommes capables d’inventer des transcendances les plus folles, de procéder à des abstractions délirantes mais que nous restons volontairement très primaires quant à dire ce qu’est la réalité.
Pourquoi tant d’imagination et de poésie d’un côté et tant de rusticité de l’autre ? Pour pouvoir pendre un bandit.
Est qu’est le bandit, au fond ? C’est surtout le subversif, l’inconoclaste, celui qui brise le totem autour duquel la meute a convenu de coaguler.
Il y a d’abord un totem autour duquel se forme une meute (qui permet le déploiement d’une Force). Il y a donc un logos qui permet de dire « Vive le totem, mort à l’anti-totem ». C’est un logos manichéen très sommaire et du coup, le concept de réalité et de temps, dans la pratique quotidienne du groupe, est un concept simplissime qui permet en un éclair de mobiliser les esprits, former meute soudée et lancer une attaque ou contre attaque.
Parce qu’elle tient à pouvoir tuer (à moinser, à plusser), la meute tient à définir une réalité et un temps ad hoc de manière bornée. L’injure, le motto, le slogan, l’aphorisme, en sont des avatars.
Ce phénomène de bornage est moins fort chez les peuples qui ne font pas une fixation sur la Justice (Il ne leur vient pas à l’idée de dire « The buck stops here »)