1870-71 : une Guerre oubliée 

par Desmaretz Gérard
mercredi 21 avril 2021

La guerre de 1870-71 marque : la disparition de la monarchie - le rétablissement de la République - la naissance de l'Empire allemand - la perte des provinces d'Alsace et Lorraine - l’avènement de la Commune et du mouvement ouvrier - le ressentiment français à l'égard des Casques à pointe. Si ce conflit s'est estompé dans la mémoire nationale cela tient au temps écoulé, plus de 150 ans, aux nombreux de nos contemporains qui n'avaient pas encore d'attache avec la France (la population était de 36 millions), l'invasion fut épargnée aux départements situés au sud de la Loire, la disparition de ce conflit des cours d'histoire jusqu'à une date récente, la volonté de l'axe franco-allemand de vouloir « tourner la page », par contre, Boule de Suif et Saint Antoine de Guy de Maupassant figurent au programme des collèges ou lycées...

Le 2 juillet 1870, le général Prim, chef du gouvernement espagnol a fait convoquer le représentant de l'ambassade de France à Madrid. Le choix espagnol pour succéder à la reine Isabelle II renversée le 26 septembre 1868 se porte sur Léopol de Hohenzollern-Sigmaringen et non sur un prince Bourbon ou un Orléans ! Le Ministre Gramont fulmine : « Si la candidature Hohenzollern n'est pas retirée immédiatement, eh bien, c'est la guerre, la guerre tout de suite. Dans quelques jours nous sommes sur le Rhin ». Le 9, notre ambassadeur auprès de la Prusse est reçu par Guillaume Ier. Le 12, l'ambassadeur d'Espagne informe le Ministre des Affaires étrangères du renoncement de Hohenzollern-Sigmaringen ! Des députés exigent des garanties pour que cette candidature ne soit jamais réintroduite. La presse parle d'humiliation, d'abdication et l'honneur national. Pour Guillaume Ier l'affaire est close.

Le 13 juillet des manifestants défilent dans Paris : « A Berlin ! Vive la guerre ! » Le 14, la foule brise les vitres de l'ambassade de Prusse, Louis Pasteur renvoie son titre de Docteur Honoris Causa décerné par l'université de Bonn en 1868. La France est isolée et sans allié, ces dernières années ont laissé des traces : Rome 1867 - Mexique et Pologne 1863 - Liban et Chine 1860 - Italie 1859 - Crimée 1854. La France va plonger la tête la première dans le piège « bismarkien » qui a souvenir de sa défaite de 1806. Après la victoire d'Austerlitz, Napoléon s'était emparé du royaume de Naples, de la République Batave transformée en royaume de Hollande, et rétablit la Confédération du Rhin. La Prusse et l'Autriche alliées contre la Confédération furent défaites à Iéna (Traité de Tilsit) et à Auerstedt, les Russes à Friedland. L'Empire français incluait alors le grand-duché de Varsovie et la Westphalie. Son mariage avec Marie-Louise, fille de l'Empereur d'Autriche, entraîne l'annexion de Brême, Lübeck, une grande partie de l'Allemagne du Nord et du royaume de Hollande. L'ambition hégémonique et le népotisme de l'« ogre corse » prirent fin à Waterloo.

Le 15 juillet 1870 le gouvernement déclare la guerre à la Prusse, la population est en liesse. L'armée française est constituée de volontaires et de conscrits tirés au sort, les autres sont versés dans la réserve et la Garde mobile. Si nos forces militaires s'élèvent à plus d'un million d'hommes, seulement un quart est disponible lors de l'entrée en guerre, l'adversaire en aligne deux fois plus ! Le 4 août, les Prussiens, mieux équipés, instruits, encadrés et entraînés, passent à l'offensive. Un mois après la déclaration de guerre la France n'a pas toujours pas donné l'ordre de fabriquer armes et munitions, des troupes sont en guenilles et les militaires n'ont pas de carte !

Le 6 août quatre régiments de cuirassiers chargent à travers les houblonnières dans la région de Reichshoffen, le renseignement a failli ! Les haies soutenues par des perches sont sillonnées de fils de fer et les chevaux s'y empêtrent, les cuirassiers désarçonnés sont abattus par des tireurs dissimulés derrière les piquets. Les charges à la caracole durent une heure permettant de sauver une partie de l'armée. Paris décrète l'état de siège. Le 10, le général Cousin-Montauban rappelle les hommes âgés de 25 à 35 ans et organise Paris en camp retranché. L'armée du maréchal de Mac-Mahon se replie sur Chalon-sur-Marne, celle du général Frossard quitte la Sarre, l'armée de Bazaine qui n'a pas été engagée marche sur Metz.

L'état-major de Moltke avait terminé, en 1869, un plan d'attaque en prévision d'un conflit avec la France, attaque lancée à partir de voies de chemins de fer. Le 12 août les uhlans font leur entrée à Nancy. Le maréchal Bazaine promu commandant en chef des Armées est à la tête des : 2° corps (général Frossart) - 3° (maréchal Leboeuf) - 4° (général Ladmirault) - 6° (maréchal Canrobert) - de la Garde Impériale (général Bourbaki). Napoléon III lui a prescrit « de franchir la Moselle pour se replier dans les plaines de Champagne ». Une crue soudaine annule l'opération. Le 14 l'armée de Bazaine se dirige vers Strasbourg. Un combat de rencontre s'engage avec des régiments prussiens. Les Français progressent en ligne avec un Chassepot, les Prussiens en essaims et marchent « au son du canon ». Lorsqu'ils entendent une canonnade, ils se portent sur les flancs des troupes françaises afin de les morceler. Le 15 Bazaine demande une journée de répit à l'Empereur qui n'en comprend pas trop la raison... La troupe retraite ! Les hommes s'estiment privés de leur victoire.

Le 23 août une pluie d'obus s'écrasent sur Strasbourg y faisant 4.000 victimes. La bataille pour Sedan s'engage. Le 1 septembre un corps d'armée bavarois attaque Bazeille défendue par les Marsouins qui luttent pied à pied, maison par maison. Quand les munitions viennent à manquer, les hommes chargent à la baïonnette  ! Les Prussiens incendient le village et fusillent 43 habitants (des sources chiffrent à 200 civils) accusés d'avoir aidé nos soldats. La division bleue a perdu 2.655 hommes dont 35 officiers, le quart de son effectif (les Bavarois 4.500 morts). Le tableau les Dernières cartouches peint par Alphonse de Neuville en 1873 immortalise ce combat héroïque.

Napoléon III est encerclé à Sedan. Les Allemands ont la supériorité du nombre, de la position (Sedan est une cuvette), un meilleur commandement, un armement moderne et une meilleure tactique (Auftragstaktik) éprouvée lors de la guerre austro-prusienne (1866). L'artillerie prussienne (pièces de 12 et 24) à chargement par la culasse tire des projectiles éclatant à l'impact, les Français tirent des boulets (canons de 4 et 12) ou boîte à grenaille. L'Empereur se résigne à hisser le drapeau blanc : « Pourquoi ? je ferai tuer 20.000, 30.000 hommes de plus. Je n'en ai pas le droit ». La journée a coûté 15.000 tués ou blessés et 20.000 prisonniers. L'acte de capitulation est signé le 2 septembre : 75.000 militaires sont faits prisonniers - 400 canons et des tonnes de munitions sont abandonnés sans avoir été détruits - 12.000 chevaux laissés à l'ennemi !

C'est la consternation, le 4 septembre la foule s'amasse autour du Palais Bourbon avant de se diriger vers l'Hôtel de Ville. Jules Ferry réclame : « Le pouvoir aux députés de Paris », un gouvernement de la Défense nationale est proclamé. « La France se dispose à vaincre ou à mourir ». L'impératrice quitte les Tuileries pour aller se réfugier en Angleterre. Léon Gambetta décide de renvoyer tous les fonctionnaires et les maires non républicains. Il assimile Paris, la ville, à la Nation (Vichy commettra la même erreur) ! Les Prussiens, les Bavarois et les Saxons (500.000 hommes) se rapprochent de la capitale. Le corps d'armée du général Vinoy (35.000 hommes) qui a échappé à la nasse de Sedan se porte sur Paris. Le 5, le ministère de l’Intérieur adresse un télégramme aux préfets : « Une République de combat à outrance contre l'envahisseur ».

Le 17 septembre Paris est cerné par 200.000 Prussiens, les trains ne peuvent ni partir ni arriver et les routes sont sous le contrôle de l'ennemi. Le général Trochu dispose de 400.000 hommes pour défendre la capitale, mais seulement de 60.000 militaires intruits. La Garde mobile ou nationale mal encadrée (elle élit ses officiers) est confiée aux mairies... Le roi Guillaume écrit : « Je sais combien Paris possède de vivres. J'attends qu'elle capitule devant la faim, puisque je n'ai rien à craindre d'une colonne de secours ». Jules Favre quitte Paris le 18 pour aller s'entretenir avec le chancelier Bismark. Ce dernier exige l'Alsace, la place de Metz, la reddition de Strasbourg et le fort du Mont Valérien en contre partie d'un armistice ! La réponse française est placardée sur les murs de Paris : « Pas une pierre de nos forteresses, pas un pouce de notre territoire ».

Le Siècle du 25 septembre publie : « Français prenez des faux, prenez des haches, prenez des bâtons. Venez en masse innombrables, harceler l'armée ennemie. Arrêtez ses convois, coupez ses lignes de communication, détruisez ses approvisionnements ». Le gouvernement incite à la levée de Corps-francs. Les Francs Tireurs pris l'arme à la main sont fusillés et les villages accusés de les aider doivent payer des amendes très élevées, en cas d'attentat le village est brûlé. Le gouvernement ordonne la mobilisation des jeunes gens jusqu'à l'âge de 25 ans. Le 30, les hommes âgés de 25 à 40 ans sont affectés à la Garde nationale. Les effectifs vont atteindre 600.000 hommes : « On les rassemblait, on leur donnait des fusils de calibres et mécanisme différents, on leur mettait un havresac, et puis en avant marche ». Certains ne savaient pas charger leur fusil !

Au mois d'Octobre, Paris est isolé du reste du pays. Le 7 Gambetta quitte Paris en aérostat et arrive à Tours le 9 ; la liaison des dépêches est établie par pigeons voyageurs et flotteurs jetés dans la seine. Le 18, la bataille de Châteaudun est l'Oradour-sur-Glane de la guerre de 1870. La capitulation est signée au château de Frascaty le 27 octobre. La population parisienne qui vient d'apprendre la reddition de Metz après un siège qui a duré du 20 août au 28 octobre, se regroupe devant l'Hôtel de Ville. Sur les pancartes : « Pas d'armistice ! Levée en masse ! A bas les traitres ! La guerre à outrance ! Résistance à tout prix ! ». Le 117° bataillon disperse la foule et libère les ministres.

Le 3 novembre les Prussiens assiègent Belfort, confrontés à la résistance de la ville leur artillerie tonne le 3 décembre, les obus vont s'abattre sur Belfort pendant soixante-treize jours ! La capitale est livrée à elle-même. Le 28 les journaux parisiens font mention d'actes de pillage par la soldatesque, d'insubordination, d'agitation politique, de filles de joie se louant aux Français et aux Prussiens (les MST vont se répandre). Les vivres commencent à manquer, les mois de novembre, décembre et janvier sont plus froids que jamais. On abat des arbres et on scie les bancs pour se chauffer.

Début janvier 1871 Paris est bombardé pendant plusieurs jours. Le 18 les États allemands s'unissent et proclament l'Empire allemand dans la grande Galerie des Glaces au château de Versailles ! Le lendemain nos troupes s'élancent vers Buzenval et enlèvent les premières positions ennemies, les Prussiens reçoivent des renforts et l'appui de l'artillerie, le sort bascule. La sortie a coûté 1.300 morts et 2,800 blessés français. La mairie de Belleville est pillée aux cris de « Vive la Commune », l'armée tire faisant une vingtaine de morts.

L'accord du 28 janvier 1871 prévoit un armistice de vingt et un jours. Le Lion de Belfort n'a que faire de l'armistice et continue à se battre ! Le 13 février 1871 un émissaire est dépêché pour exiger le respect du cessez le feu, Denfert-Rochereau s'incline. Le 23 Bismarck exige une entrée triomphale dans Paris - l'« Alsace et un tiers de la Lorraine » - six milliards de francs-or. Belfort et Metz restent les seules villes françaises. Napoléon III est déchu et déclaré : « responsable de la ruine, de l'invasion, du démembrement de la France ». Le général Changarnier dira : « Aujourd'hui nous payons les crimes de Napoléon Bonaparte » Le 1 mars trente mille Prussiens entrent dans Paris, tous les commerces ont baissé leur rideau et les volets des appartements sont clos. Le siège a duré 132 jours, bronchites, typhoïdes et dysenteries ont fait plus de victimes que les combats, 19.233 morts pour le seul mois de janvier ! Les Prussiens quittent Paris le 3 mars ; la cité de Bitche résiste toujours, les troupes ne quittèrent la ville, qu'avec toutes leurs armes, le 24 mars 1871 !

Les pertes générales françaises, selon Chenu, sont de : 138.871 morts en France - 18.065 morts en captivité - 143.066 blessés au feu - 11.421 plaies de marche - 328.000 maladies (pneumopathies 40 %, dysenterie 36 %, typhoïde 8 %, variole 8 %). La mortalité opératoire dans l'armée française était de 83,6 % (43,6 % chez les Prussiens). Les politiques et généraux jusqu’aux-boutistes, l'impréparation, l'inorganisation des armées et la vétusté de l'armement portent une lourde responsabilité dans la défaite. Léon Gambetta préféra se réfugier en Espagne quelque temps. A l'ouverture de son cercueil, le 2 avril 1909, la dépouille est sans tête...

Si un jour on est plus rien pour personne, cinq générations ne sont rien au regard de l'histoire nationale. Les premiers monuments aux morts érigés dans nos communes le furent en hommage aux combattants de la guerre de 1870-71. Ce fut parfois le seul lieu de recueil des familles de disparus, la plaque d'identité n'existait pas dans les armées françaises ! Quand le chirurgien Velpeau parlait de « chairs françaises à canon » ce n'était pas qu'une image métaphorique.

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