19 Mars 1962 : dernier acte d’une décolonisation

par Jean J. MOUROT
lundi 13 mars 2017

La journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie est loin de faire l’unanimité chez les Anciens combattants et les citoyens français sensibilisés aux problèmes posés par la décolonisation de l’Afrique du Nord. Faut-il pour autant bouder les cérémonies organisées ce jour-là ?

Pour la majorité des Français de Métropole, l’annonce des accords d’Evian et du cessez-le-feu négocié entre la France et le Gouvernement provisoire de la République algérienne fut accueillie par un immense soulagement. Ce devait être la fin d’une période douloureuse de notre histoire et d’une guerre absurde ayant aboutie à la fois à une victoire militaire – l’ « armée de libération algérienne » de l’intérieur étant réduite à bien peu de chose – et à une défaite politique – la reconnaissance d’un état algérien indépendant, dans un contexte général de décolonisation.

On ne peut pas récrire l’Histoire mais on peut, toutefois, imaginer que l’Algérie aurait pu évoluer à la manière de l’Afrique du Sud si les gouvernements successifs depuis les années trente ne s’étaient accrochés à cette idée fausse que « l’Algérie, [c’était] la France », si les intérêts des gros colons et, dans les dernières années, des pétroliers n’avaient exigé le maintien du statut colonial et si la majorité de la population d’origine européenne n’avait refusé de comprendre l’injustice d’un système colonial qui, en dépit de quelques accommodements minimes, faisait des Algériens de souche des étrangers dans leur propre pays.

S’il est mal venu de caresser dans le sens du poil les dirigeants plus ou moins corrompus de l’Algérie actuelle et les « indigènes de la République » flattant le communautarisme et la francophobie de bon nombre de jeunes issus de l’immigration et de leurs « idiots utiles » de gauche, en déclarant à Alger, que la colonisation est un « crime contre l’humanité », il n’en est pas moins vrai que beaucoup de crimes ont été commis au nom du colonialisme – comme de l’anticolonialisme d’ailleurs !

Comme beaucoup d’entreprises humaines, le colonialisme était porteur du meilleur et du pire. Les premiers colons d’Amérique, par exemple, étaient à la recherche d’une terre qu’ils n’avaient pas dans leur pays d’origine ou fuyaient des persécutions quand on ne les avait pas tout bonnement déportés pour se débarrasser d’eux. Les religieux qui les accompagnaient voulaient en toute bonne foi sauver des âmes, fût-ce malgré elles. Les états qui les y envoyaient avaient, eux des visées prédatrices ou expansionnistes. On a inventé plus tard une autre justification, celles du devoir pour les pays développés d’aider ceux qui ne l’étaient pas, devoir souvent justifié par une prétendue supériorité de certaines races sur les autres...

Il faut d’ailleurs distinguer la colonisation de peuplement et la colonisation d’exploitation. Il a été relativement facile d’en finir avec la seconde, remplacée par une domination plus subtile, plus hypocrite, dans le cadre du néocolonialisme qui s’est installé notamment en Afrique. La première n’est pas facile à éradiquer, dans la mesure où les colons se sont installés durablement dans des pays qu’ils ont contribué à développer. Les Américains ont résolu le problème avec leur efficacité légendaire, en éliminant pratiquement tous les autochtones.

En Algérie, il n’était pas possible de faire de même et, d’ailleurs, nul ne l’envisageait. Mais on a trop longtemps refusé de faire sa place à la majorité arabo-berbère qu’on redoutait quand on ne la méprisait pas. On n’a pas voulu entendre les revendications modérées des premiers « indépendantistes » ni l’avertissement des « évènements de Sétif » en 1945.

Dans un climat de décolonisation générale, de Gaulle avait compris bien avant de le dire publiquement que « l’Algérie de Papa [était] morte  ». Il s’est servi des « Pieds Noirs » pour revenir au pouvoir puis les a lâchés en se rendant compte que l’Algérie était un boulet l’empêchant de réaliser les grands desseins qu’il caressait pour la France.

Les accords d’Evian du 18 mars 1962 conduisant le lendemain à un cessez le feu étaient apparemment la meilleure façon de régler un problème posé « depuis 130 ans ». Ils furent approuvés, faut-il le rappeler, par une grande majorité des électeurs de Métropole (64,8% des inscrits et 90,6% des suffrages exprimés donc 50,70% des inscrits).

Hélas, « les accords d’Evian, voulus par le gouvernement français comme la "solution du bon sens", se révélèrent [...] une utopie, qui échoua à ramener une vraie paix en Algérie. Le "rapatriement" des Français d’Algérie, et celui de "Français musulmans" (que le général de Gaulle ne considérait pas comme de vrais Français) s’imposèrent comme des nécessités. De Gaulle maintint aussi longtemps que possible ce qui restait de la politique de coopération pour éviter la faillite de l’indépendance algérienne, en espérant que la France finirait par en bénéficier un jour.  » (Guy Pervillé, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Toulouse - Le Mirail, spécialiste de l'histoire de l ́Algérie coloniale, du nationalisme algérien et de la guerre d'Algérie)

Les troubles qui ont suivi le 19 mars, imputables pour une bonne part aux desperados de l’OAS mais aussi à certains éléments du FLN, ont fait de nombreuses victimes et ont empêché une application effective des accords, entraînant un exode massif de la population d’origine européenne.

Il n’en reste pas moins que cette date emblématique a le mérite de rappeler l’immense soulagement et le grand espoir qu’ont représenté ces accords pour tous ceux qui voulaient en finir avec cette guerre absurde qui n’aurait jamais dû avoir lieu.


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