1940-2020, du Blitzkrieg viral… au contrôle social ?

par Bernard Dugué
jeudi 2 avril 2020

 1) Il est des événements que l’on n’aimerait point commémorer tant ils ont laissé des traces au goût amer. C’est le cas de la guerre éclair menée par la Wehrmacht au printemps 40. En revanche, l’appel du Général sera commémoré et surtout célébré comme moment crucial et symbolique du grand roman national. Le Général sur tous les fronts de la commémoration. Il aurait eu 130 ans cette année et il décéda il y a 50 ans, deux ans après le chaos de mai 68. Ces événements historiques semblent propulser les peuples dans un nouveau monde, une époque différente. Ce fut le cas en 1940. Lorsque mai 68 est arrivé, l’événement a marqué une époque dont les traits étaient déjà en germe au milieu des années 60, génération yéyé, appétit de vivre, légèreté, let’s spend the night and get satisfaction… beaucoup de pays furent traversés par ce nouvel esprit. La chute du mur en 1989 a eu des conséquences idéologiques et politiques majeures à l’échelle du monde. A l’ère de la globalisation intégrale, aucune histoire nationale (pour autant qu’il y ait histoire) ne peut plus être déconnectée des événements se jouant sur la planète. Certains événements ont un impact différencié. Le 11 septembre 2001 a surtout touché les Etats-Unis mais l’onde de choc s’est propagée à la planète. La sidération n’a duré que quelques jours, avec ces images en boucle des tours jumelles s’effondrant. Les conséquences géopolitiques ont été puissantes pour ne pas dire colossales. Dès 2001 l’Afghanistan attaqué par les GI puis ce fut au tour de l’Irak. Et puis une série de crises, financière d’abord, en deux vagues, Lehmann Brothers et les subprimes en 2008 et trois ans plus tard, la dette grecque en Europe. Sans oublier les printemps arabes en 2011. Puis l’instauration de l’Etat islamique en 2014, la riposte des Occidentaux sur le font kurde et des Russes sur le front syrien, affaire non classée du reste, les combats incessants à Idlib. Entre temps, le tsunami au Japon a puissamment impacté les esprits. Fukushima restera dans l’histoire comme un traumatisme au Japon et comme le symbole d’une modernité qui vire au cauchemar. Plus près de chez nous, les attentats en France, Charlie en janvier 2015 ; Bataclan en novembre 2015 ; Nice en juillet 2016, ont fracassé les consciences. Puis en décembre 2018, l’offensive insurrectionnelle et populaire des gilets jaunes. Du jamais vu. Mais la suite est encore plus cataclysmique…..

 

2) Et maintenant le coronavirus dont l’onde de choc se propage dans le monde entier. Les trois pôles de la puissance économique, Chine, Europe, Etats-Unis, sont impactés avec une intensité comparable et le reste de la planète va suivre. Autant dire du jamais vu et cette fois, la sidération ne dure pas le temps de voir les tours du WTC chuter, elle s’invite chaque jour, avec le décompte macabre des morts et la comptabilité des patients détectés viropositifs, un chiffre biaisé car il dépend du nombre de tests effectués. Si l’impact du virus devait être comparé à un conflit militaire – et c’est le cas actuellement avec un jeu sémantique – alors on penserait à une guerre éclair comme en 40, sauf que cette fois le virus n’était pas « stationné » aux portes de la France. Quoique, à bien y réfléchir, le virus n’a-t-il pas été considéré comme circonscrit à la Chine ? En 40 on se doutait bien que les Allemands n’allaient pas rester sagement dans leurs frontières. Ce nouveau coronavirus s’est propagé faisant fi de toutes les lignes Maginot sanitaires improvisées et ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle (pour la suite, car cela permet de connaître le virus et de jouer avec Sun Tse et non Clausewitz). Les gens ont oscillé entre une attention soutenue et une inquiétude que l’on peut comprendre en observant les unes médiatiques. Puis la panique est arrivée en Italie et maintenant, la France et l’Espagne sont touchées. Cette panique fut limitée à quelques supermarchés pris d’assaut avec un énervement des esprits. Mais entre le 16 mars et le 2 avril, la vague est arrivée et tout a changé, les Français ont vu par l’amplification médiatique la vague virale arriver, à l’instar des Français voyant déferler sur les routes les chars de la Wehrmacht.

 

3) La ligne Maginot sanitaire fut enclenchée le 14 mars en Espagne et le 17 mars en France, l’Italie ayant réagi en premier, étant en première ligne face à la vague du feu viral. Stade 3 et donc mesures drastiques. Le pays est en état de survie fonctionnelle mais ne vit plus. Le 16 mars, le préfet Lallement annonçait 150 points de contrôle, la porte ouest de Paris était filtrée, 100 000 policiers déployés sur le terrain. Le secrétaire d’Etat aux transports, Jean-Baptiste Djebbari, expliquait ce mardi matin que le gouvernement allait « réduire la fréquence et la cadence des trains, notamment longue distance, pour éviter, par les phénomènes d’exode, que le virus circule davantage ». C’est le signe d’une drôle de guerre menée aux citoyens indociles. Au final, plus d’un millions de Franciliens auront migré vers d’autres lieux plus adaptés en temps de confinement. Comme s’ils avaient rejoint une zone libre. D’autres n’auront pas cette chance, ils resteront confinés dans les tours HLM. C’est exactement l’inverse de la défaite de 40. A cette occasion, les malchanceux furent ceux qui prirent la route. Estimation du nombre de morts consécutifs à cet exode : 100 000.

 

4) L’autre jour j’écoutais Alain Badiou affirmant que l’élection de Trump n’était pas un événement au sens historique car son élection, même si elle était inattendue, n’en était pas moins explicable. La pandémie de Covid-19 a engendré une situation inattendue avec des conséquences gouvernementales sans précédent. Mais est-ce un « événement » au sens de Badiou ? Non parce que si le virus était imprévisible, les réactions des autorités ne sont nullement imprévisibles et elles s’expliquent sans aucune difficulté, même si ces réactions sont assez contraignantes et drastiques. Le Covid-19 ne change pas l’histoire, il n’ouvre rien, il ferme d’ailleurs l’histoire, il renferme des gens chez eux, les gens enfermés font le lit des gouvernements fermes et autoritaires. Déjà, tout le monde de l’expertise globale, citoyenne ou médiatique, intellectuelle ou politique, s’agite pour donner quelques pistes pour le monde d’après. Le genre le plus répandu, c’est celui du sachant. Ils savent tous ce qui faudra faire dans le monde d’après. Le philosophe s’étonne de tout ce brouhaha. Tous des gens confondent le jour d’après et le monde d’après. Ils raisonnent la plupart avec les réflexes du monde d’avant. En 40, 95% des Français écoutaient le maréchal Pétain, acteur de la Grande Guerre et du monde d’avant. Quelques-uns entendirent une voix annoncer le monde d’après, celle du général de Gaulle.

 

Ecolos, politiciens, gauchistes, radicaux, marxistes, démocrates participatifs, tous réfléchissent avec les réflexes du monde d’avant. Un monde dans lequel le contrôle social se dessinait, montait en puissance lentement, pas à pas, graduellement, sans choquer l’opinion excepté quelques juristes dont la profession fait qu’ils ont vu le danger avant les autres. S’il y avait d’authentiques gaullistes en ce moment, ils verraient le danger se dessiner. Même Alain Badiou semble s’être rangé derrière la science et les autorités sanitaires (lire son texte offert par tracts de crise, Gallimard), croyant qu’une fois passée la vague, un communisme radieux verra le jour. Cela risque de virer à un enfer avec les apparatchiks verts, la Stasi du carbone et de la mobilité des transports, secondant les gestionnaires du contrôle social et sanitaire utilisant le panoptique numérique pour tracer les infectés, surveillant depuis le mirador de l’intelligence numérique les allées et venues des citoyens dans une France gérée comme un camp de travail et de loisirs avec l’appui de la police immunitaire.

 

Le lecteur me pardonnera d’avoir exagéré les traits et tracé des parallèles fleurant le soufre. Le philosophe est parfois un alchimiste, il utilise le soufre comme pharmakon de la conscience en jouant avec les mots. Ce jeu d’écriture aurait-il réveillé la mémoire ou juste servi le souvenir ?

 

« Socrate : Le dieu Theuth, inventeur de l'écriture, dit au roi d'Égypte : « Voici l'invention qui procurera aux Égyptiens plus de savoir et de mémoire : pour la mémoire et le savoir j'ai trouvé le remède [pharmakon] qu'il faut » - Et le roi répliqua : « Dieu très industrieux, autre est l'homme qui se montre capable d'inventer un art, autre celui qui peut discerner la part de préjudice et celle d'avantage qu'il procure à ses utilisateurs. Père des caractères de l'écriture, tu es en train, par complaisance, de leur attribuer un pouvoir contraire à celui qu'ils ont. Conduisant ceux qui les connaîtront à négliger d'exercer leur mémoire, c'est l'oubli qu'ils introduiront dans leurs âmes : faisant confiance à l'écrit, c'est du dehors en recourant à des signes étrangers, et non du dedans, par leurs ressources propres, qu'ils se ressouviendront ; ce n'est donc pas pour la mémoire mais pour le ressouvenir que tu as trouvé un remède. » (Platon, Phèdre)


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