1965, partie de chasse au trésor du côté de Bagnolet

par Yohan
samedi 16 mai 2009

Enfant, à vélo avec les copains, je crois bien avoir arpenté presque toutes les sentes, ruelles et impasses dépavées des villes ouvrières de Bagnolet, les Lilas, Pré-Saint-Gervais, Noisy-le-Sec et de Romainville, ces deux dernières constituant pour notre petite bande de chenapans en short, un point de non retour.

Nous étions fascinés par les bâtisses ouvrières, pourtant modestes, d’où s’échappaient des effluves tantôt nauséabondes, tantôt enivrantes, et surtout, par leurs mystères insondables qu’une appellation tarabiscotée à leur fronton n’aurait su dissiper.

Industrie du papier-carton, plasturgie, construction métallique, mécanique, décolletage de précision, bronzerie industrielle, découpe chimique, emboutissage, boulonnerie aéronautique, que sais-je encore ?..., un roman de la vie ouvrière en banlieue besogneuse, un monde qui n’en finit toujours pas d’agonir en silence...

Des usines et ateliers artisanaux implantés ça et là, pèle mêle, au gré des impératifs économiques et des contraintes topographiques.

Bon nombre de ces établissements possédaient une cour en dédale et parfois, une aire plus spacieuse pour le chargement, le stockage et la livraison des marchandises.

Dans les années 60, ces établissements se protégeaient encore fort peu des intrus. Le plus souvent, de hauts murs et un solide cadenas suffisaient à dissuader les curieux.

Aux premiers beaux jours de Printemps, nous partions parfois en promenade, toujours à pied, user en famille nos habits du dimanche, longeant la rue de Noisy-le-Sec jusqu’au pied des premiers lacis menant aux ruelles besogneuses.

Mais dès le dimanche suivant, nos parents usés par une longue semaine de labeur renonçaient devant la difficulté de tuer ces interminables dimanches.

De toute façon, surentraînés par nos courses incessantes sur les terrains vagues près des anciennes fortifs, nous étions pour eux une espèce increvable, définitivement inapte à la vie sur parquet vitrifié.

Alors, l’après midi, tandis que nos pères piquaient le petit roupillon dominical sur canapé, avec le journal l’Équipe sur la brioche, nous prenions discrètement congé du trois pièces cuisine, prétextant une affaire fâcheuse à régler sans délai.

A l’heure où l’eau bouillante traversait le café grillé dans la cafetière inox, nous enfourchions nos vélos pour rejoindre, après l’enfer des premiers pavés, la fameuse route macadamée qui traversait les quartiers d’usine jusqu’au fort de Romainville.

En chemin, nous chapardions quelques rebuts de production industrielle, ici une belle poignée de grains de polymères multicolores, là trois petites pièces de ferraille brillante..., enfin, de quoi remplir nos poches et alimenter notre précieux trésor.

Les jours de disette, nous tombions le byclo pour une escalade forcément périlleuse sinon héroïque, à la recherche d’un soupirail oublié, d’un goulet susceptible de nous mener au sein des seins du grand mystère ouvrier, vers un rebus de thermoformage ou mieux encore, vers la pièce de métal usinée au micron de trop, vouée peut-être à un meilleur sort, .....

Or, titane ou platine, qui sait ?

C’est du moins ce à quoi nous rêvions le dimanche, tandis que dans les gradins de Rolland Garros, le petit fils du ministre de l’industrie suçait un bâton de glace en suivant des yeux une balle jaunasse....


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