2009 comme une comédie italienne

par Olivier Perriet
samedi 9 janvier 2010

Si les premières années du mandat de Nicolas Sarkozy m’ont, un temps, donné l’impression que la France se transformait en république populaire castriste, avec un "leader Minimo" qui s’impose régulièrement pendant 3 heures sur trois chaînes de télé à la fois, la soupe servie par des journalistes dûment "invités", le climat politique de l’année 2009 finissante me fait davantage songer à ces comédies italiennes où le grotesque et l’absurde le disputent au tragique, et où le spectateur se surprend à rire d’événements en eux-mêmes peu burlesques comme le suicide ou l’adultère.

Le grotesque s’est en effet invité dès le début de l’année avec la faillite des experts libéraux de l’économie, dans la foulée de la faillite éclatante des bushophiles anti- antiaméricains, forcés d’applaudir -mais avec quel talent !- l’élection du candidat à l’opposé des thèses qu’ils ont assénées depuis 10 ans.

Un certain Jacques Attali dut faire un virage à 180° (que lui seul n’a pas perçu d’ailleurs) et publia deux livres1, forcément brillants, pour décrire la crise puis expliquer comment en sortir. Le même, à peine 6 mois auparavant, assénait, en grande Commission, que la stagnation économique française était principalement due à la réglementation trop contraignante sur les chauffeurs de taxis et les pharmaciens… Il est vrai que l’exhortation très individualiste de son mentor, "travailler plus pour gagner plus", pour pertinente qu’elle puisse être 2, a dispensé son auteur de toute réflexion sur l’état de l’économie mondiale et la place que la France y tient. Qu’importe ! Au royaume de France, les borgnes autoproclamés experts sont rois, et bien peu de voix leur en font la remarque quand ils se trompent3.

Passons rapidement sur un autre événement marquant du début de l’année 2009, les grèves dans les Antilles, présentées comme la note de trois siècles d’esclavage, après un fameux "documentaire" de Canal + qui mit le feu aux poudres 4, et qui s’achevèrent dans la pantalonnade la plus complète avec la mort du syndicaliste Jacques Bino, tué le 18 février à un barrage par…des émeutiers croyant "se faire" un flic en civil ! Un martyr de l’émancipation des Antilles…tué, par erreur, par son propre camp.

C’est à compter des élections européennes que le rythme de cette comédie passa à la vitesse supérieure et que le ridicule toucha pleinement les opposants en chef au chef de l’État.

Ainsi la fameuse algarade Bayrou Cohn-Bendit, sur le thème "T’es le chouchou du maître d’école !" aurait été impensable 3 ans plus tôt. De même, on vit que lorsqu’un journaliste entre en politique, cela n’implique pas qu’on fasse de la politique autrement. En l’occurrence, il s’agit de Jean-François Kahn, tête de liste Modem dans le grand Est. Avec une élégance rare, le fondateur de Marianne flingua dès le soir du 7 juin 2009 et sur tous les tons (télés, journaux, Internet) son parrain en politique François Bayrou, rendu coupable du score décevant des listes Modem. Alors que ceux qui lisent Marianne le savent bien, l’obsession anti-Dany, "le chouchou des médias", est une constante de ce magazine, qui s’est déjà manifestée aux européennes de 1999. Là dessus que fit JFK, néanmoins élu européen (9,44 % des suffrages pour sa liste) ? Il abandonna illico son siège à la n°2 Nathalie Griesbeck, déjà multi élue à Metz, en Moselle, et en Lorraine.
 

Sarkozy et ses opposants : même combat (ou quand le grotesque le dispute à l’inquiétant).

L’affaire du Prince Jean et de l’EPAD est à ce titre un cas d’école.

En plein scandale, on vit le chef de l’État réciter un discours sur l’émancipation des jeunes, l’importance du mérite, à préférer à l’entregent et aux relations qui, trop souvent, conditionnent la réussite, etc… Tandis que ses lieutenants allaient partout en répétant que la candidature et l’élection probable du fils Sarkozy ne devaient absolument rien à la position du père, ce que tout le monde était bien disposé à croire…

L’inquiétant dans tout ça est que notre président semble toujours considérer que les meilleures places doivent revenir à son clan le plus étriqué, sinon à sa propre personne, et que sa boulimie de pouvoir ne trouve, en lui, aucune limite. Comme lors des législatives 2007, où les électeurs ont freiné son ambition quasi despotique d’incarner lui-même sa majorité et son opposition. Ou bien lors des municipales 2008, où les candidats UMP locaux ont pu lui faire comprendre qu’il n’y aurait rien à gagner à ce qu’il s’ingère dans l’élection des 36 000 maires de France. En passant par la nomination du président de France Télévision par ses propres soins, au nom de la lutte contre "l’hypocrisie", qui légitime tous les coups de force.

Toutes les "grandes réformes" lancées par sa majesté deviennent l’occasion d’empoignades homériques où les uns et les autres font preuve d’une mauvaise foi consternante.

Le forcément "Grand Paris", porté par Christian Blanc, qui passa en politique à l’UDF puis à l’UMP après avoir mis en faillite Air France, reçoit des volées de bois vert de la part des élus locaux PS. Mais qu’ont fait au juste les Huchon, Delanoë, Bartolone, et consorts depuis que la gauche tient toutes les commandes de la région parisienne, Hauts de Seine exclus ?

Le "grand emprunt" sera finalement souscrit auprès des seuls établissements bancaires, au désespoir d’Henri Guaino qui aurait souhaité un grand emprunt populaire. Mais pourquoi les citoyens confieraient-ils leur argent à celui qui s’est fait le chantre de l’égoïsme et qui répète chaque jour le peu de cas qu’il fait des mécanismes de solidarité collective qui existent encore tant bien que mal, comme les retraites et la sécurité sociale, qui meurent d’être "sauvées" chaque année par des mesures qui les vident un peu plus de leur substance (franchises, exonérations de cotisations, etc…) ?

La "grande réforme des collectivités locales" est, elle aussi vertement critiquée, et des irréductibles de droite, portés par Nicolas Dupont-Aignan, organisent la rébellion via l’ANCELI (association nationale des collectivités et des élus libres et indépendants). S’il est vrai que le projet de réforme tel qu’il est présenté présente d’inquiétantes propositions (suppression de la taxe professionnelle, remplacée par on ne sait quoi, volonté idéologique de privilégier la région et les grandes agglomérations et de faire tabula rasa des communes et des départements, etc…) certains reproches font largement dans la mauvaise foi. On s’indigne de la suppression des cantons, au nom de la défense du monde rural. Mais en quoi l’organisation actuelle a-t-elle, en elle-même, permis de défendre un monde rural ignoré depuis 30 ans ? En dehors peut-être de certaines zones spécifiques (montagne…), quel citoyen connaît les limites de son canton ? S’il est louable de vouloir conserver une certaine représentation du monde rural, on s’expose aussi au reproche de faire une entorse à la règle élémentaire de la démocratie ("un citoyen=une voix") lorsqu’un canton rural de 1000 électeurs et un canton urbain de 4000 électeurs ont un représentant chacun. Quant à dire que cela risque de "casser le lien entre les habitants et les instances locales"…Quand donc le simple citoyen a-t-il à faire avec son conseiller général ?

Enfin, à tout seigneur tout honneur, le "grand débat sur l’identité nationale" parrainé par Eric Besson. Une initiative bâclée, à quelques mois des régionales (mais avec le quinquennat, maintenant, rares sont les années sans élection), faite pour remobiliser les anciens électeurs du FN, tout le monde est d’accord là dessus. Cependant, certains à droite (Villepin, Baroin…), de même qu’à l’extrême gauche ou au parti socialiste, souhaiteraient l’interrompre, au vu des "dérapages" enregistrés ci et là. Comme si, en démocratie, on pouvait supprimer le droit élémentaire de débattre de certains sujets. Ou plutôt si, on le peut, par défaut, à condition que l’ordre public soit menacé. Il faut donc croire, si on les suit bien, que l’on est à la veille d’une nouvelle marche sur Rome post-fasciste…

Il est vrai que l’extrême-gauche du postier ne puise pas précisément ses références dans la démocratie bourgeoise et peut donc sans honte manifester pour protester contre la tenue d’un débat. Pourquoi ne pas faire confiance aux Français ? Si le jeu est truqué d’avance, ce débat ne provoquera que des haussements d’épaule lassés.

Immigration toujours, lorsque trois Afghans (oui, seulement trois !) sont renvoyés à grands frais après avoir été déboutés de leur demande d’asile, la gauche, mais aussi la droite catho s’indigne. Si l’Afghanistan est aussi invivable, il faudrait donc d’urgence accueillir tous les Afghans en France et leur interdire de demeurer dans leur propre pays ! Symétriquement, Nicolas Dupont-Aignan réserve aux lecteurs (de droite) de Valeurs actuelles la primeur de ses indignations sur l’immigration et la sécurité en rappelant que "les actes sont en total contradiction avec les engagements […] sous l’empire de l’ouverture à gauche"5. Alléluia ! "Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire", "si la politique du président est mauvaise, c’est donc faute à la gauche" ! Drôle de discours que cet article plus à droite que la droite, pour la candidat "gaulliste et républicain", qui fait davantage penser, idéologiquement et stratégiquement, à du Philippe de Villiers.

Finalement, quelle meilleure preuve de la pertinence de l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 que ce constat accablant : si le style et les méthodes Sarkozy dérangent, ses opposants les plus démonstratifs utilisent les mêmes ficelles que lui (victimisation, coups médiatiques incessants…) ou sombrent dans la mauvaise foi. Le chef de l’État déteindrait-il sur le pays ? Plus probablement il incarne une certaine réalité, que cela plaise ou non, de la France contemporaine (culte de l’argent et de l’instant présent, ultra-individualisme et victimisation, recherche du compassionnel…). Il semble que nombre d’opposants en soient donc réduits à jouer sur son terrain, jeu perdu d’avance, ou à sombrer dans une critique systématique et stérile. Comme si son action, son pouvoir et sa personne, étaient d’une nature tellement démoniaques qu’ils ne s’inscrivaient pas dans une rationalité intelligible.

 

1La Crise, et après ?, Fayard, décembre 2008 et Survivre aux crises, Fayard, octobre 2009.

2Face en particulier à la philosophie très pessimiste qui sous-tend l’instauration des 35 heures, vendues comme un moyen de lutter contre le chômage : "il n’y a plus assez de travail pour tous, donc partageons le, que chacun puisse avoir des miettes".

3Voir entre autres Hervé Nathan dans Marianne n° 652 du samedi 17 octobre 2009, page 82.

4La chaîne n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai en matière de reportages partisans : la guerre civile algérienne et l’affaire Patrice Alègre à Toulouse furent aussi l’occasion de diffuser quelques reportages détonants dans "le Vrai journal". Quant à la véracité des informations fournies, c’est autre chose.

5 Valeurs actuelles, 12 novembre 2009, p 27


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