2012 : la Russie à un tournant

par bruenor
mercredi 19 septembre 2012

Pouvoir, "opposition", manifestations, adhésion à l'OMC...

" Un régime autoritaire, des élections truquées, une corruption généralisée, un régime qui soutient la dictature en Syrie, contesté par une opposition démocratique qui descend dans la rue" 

Telle est la version des grands médias concernant la situation en Russie. A les en croire toute la vie politique du pays se réduit à un "bras de fer" entre le pouvoir autoritaire de Poutine et l'"opposition". Un enfumage pour masquer la réalité de ce que sont les uns et les autres.

L'adhésion de la Russie à l'OMC...

Le 10 juillet 2012, la Douma d'Etat (le parlement de la Fédération de Russie) a voté l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), après dix-huit années de négociations. Poutine, (ré)élu président le 4 mars,avait pourtant " mis plusieurs fois en garde contre le prix à payer pour en faire partie. Mais la crise économique mondiale,qui a mis la Russie à genoux en 2008-2009, a fini de persuader les autorités du bien fondé de cet accès" (AFP)

Rappelons que l'OMC est l'organisme international qui impose dans les échanges commerciaux la loi du plus fort, en l'occurence celle des capitalistes des pays les plus puissants, en particulier des Etats-Unis.

Quelques jours plus tôt, le nouveau gouvernement dirigé par Medvedev annonçait un plan de privatisations d'entreprises d'Etat, plan plusieurs fois différé. Le ministère du Travail, de son côté, présentait une réforme des retraites visant à augmenter les cotisation à 45 ans pour les hommes et à 40 ans pour les femmes.

Qualifié par la Nezavissimaïa gazeta "d'extraordinairement brutal et draconien" , ce plan vise à contraindre les salariés à travailler jusqu'à 68 ou 69 ans pour toucher une maigre retraite à taux plein dans un pays où l'espérence de vie a chuté depuis la disparition de l'URSS.

Avec la crise du capitalisme mondial et la baisse des prix du pétrole qui affecte particulièrement la Russie, ce pays est à un tournant.Il y a plus d'un an, un milliardaire russe, classé au top du magazine américain Forbes , indicait :: "Après 2012,on doit s'attendre à une importante épuration des dépenses sociales. Jusqu'à présent, notre élite n'avait jamais pris consciencede la nécéssité d'une réduction considérable de ce chapitre du budget (...) ; si on regarde les budgets à tous les niveaux, 70% de toutes les dépenses budgétaires sont consacrées aux prestations sociales. En grèce la proportion était de 75%."

Si les négociations ont duré dix-huit ans, c'est que des résistances à une adhésion à l'OMC se sont exprimées à tous les niveaux de l'appareil d'Etat, des gouverneurs régionaux aux directeurs de combinats industriels, jusqu'à la Douma et au gouvernement. " En rejoignant l'OMC, la Russie perdra d'abord sa souveraineté économique" , déclarait, il y a quelques semaines, l'ancien vice-président de la Cour des comptes, Youri Boldyrev, expert à la Douma d'Etat, Vladimir Babkine estimait de son côté que l'adhésion signifiera l' "accomplissement de l'exigence des multinationales pour liquider la souveraineté de la Russie sur sa politique et son sous-sol".

Une menace pour la Russie d'être " divisée en enclaves subordonnées aux nouveaux maîtres de la planète".

Les personnalités qui s'expriment ainsi n'ont rien à voir avec ce que les médias apellent "l'opposition démocratique". Ils font partie de l'appareil d'Etat constitué par Poutine, et en grande partie issu de l'appareil de la bureaucratie soviétique effondrée en 1991, qui a largement profité des privatisations maffieuses des vingt dernières années.

...fait resurgir le spectre de "l'explosion sociale"

Pourquoi alors de telles critiques ? L'adhésion à l'OMC risque d'avoir des conséquences brutales immédiates. Nombre d'économistes " craignent que cela signifie tout simplement l'arrêt de mort de certaines industries et entreprises héritées de l'époque soviétique-d'autant plus que la Russie devra réduire le montant de ses subventions destinées à soutenir ses producteurs nationaux. Certains secteurs seront nettement plus affectés que d'autres, et en particulier l'industrie agro-alimentaire, la construction et le génie mécanique, soulignent les analystes de Renaissance Capital dans une étude. Des faillites et des plans sociaux sont à prévoir (...) ; ce sont près de 1.9 million d'emplois qui devraient être supprimés."

Comment vont réagir les millions de travailleurs russes à ce plan de destruction ?

D'autant que l'adhésion à l'OMC menace également la Russie d'une perte de contrôle de ses immenses ressources naturelles, notamment gaz et pétrole.

Si les vingt annéequi ont suivi l'effondrement de l'URSS ont vu de nombreux secteurs de l'économie être pillés et détruits, entraînant un effondrement social, l'Etat a néanmoins gardé le contrôle de grandes entreprises minières, pétrolières et gazières, gérées par des "oligarques". A la tête d'immenses fortunes, ils n'en restent pas moins étroitement contrôlés par le pouvoir central, même affaibli.

Ces grandes sociétés (Gazprom, Rosneft,etc.) en vendant les hydrocarbures sur le marché mondial, fournissent à l'Etat des revenus qui permettent tout autant l'enrichissement des "oligarques", la corruption à tous les niveaux de l'Etat, mais aussi le financement de services publics -même délabrés- des salaires et des retraites de millions de travailleurs.

L'adhésion à l'OMC menace ces monopoles sur l'extraction, le transport et la vente des hydrocarbures, comme les subventions aux prix du gaz et de l'essence sur le marché intérieur. D'où les déclarations alarmistes : perdre ce contrôle menace les revenus de l'Etat russe lui même, donc les prébendes des "oligarques" et des tchinovniki à tous les niveaux, sans parler des services publics, des retraites et des salaires...

En avril 2011, Medvedev (alors président) déclarait à une délégation de son parti Russie Unie :

"Nous risquons l'explosion sociale." Pendant des années ,cette crainte a amené à différer les contre-réformes les plus brutales. Mais la crise mondiale met aujourd'hui le locataire du Kremlin au pied du mur.

"L'opposition démocratique" et son programme

Qu'en est-il de ce que les médias appellent "l'opposition démocratique" ? 

A l'occasion des élections législatives du 4 décembre 2011, puis de l'élection présidentielle du 4 mars 2012, s'est constitué une large coalition de forces qui s'opposent à Poutine et à Russie unie. Cette coalition a convoqué des manifestations, suivies essentiellement à Moscou et Saint Petesbourg "La Russie sans Poutine", "des élections honnêtes", "non à la fraude électorale", "contre la corruption" en ont été les principaux slogans.

On y a vu les drapeaux du Parti communiste (KPRF) cotoyer les drapeaux tsaristes, noir-jaune-blanc, brandis par divers groupes chauvins et facistes, et ceux des ONG financées par les "fondations" européennes et américaines. Les dirigeants de ce mouvement, il est vrai largement autoproclamés, affichent un pedigree bien particulier. Parmi eux une "people", Ksenia Sobtchak, égérie de la télévision et fille du maire de Saint Pétesbourg ; l'oligarque Boris Nemtsov, affairiste de l'ère Eltsine, dont la posture "anticorruption" est un sujet de plaisanterie pour tout le pays... On y trouve également l'ex-ministre des finances, Koudrine, démissionnaire en septembre 2011 après avoir affirmé lors d'une réunion du FMI qu'il contestait "l'augmentation des dépenses sociales et militaires" promise par Poutine. Le multi-milliardaire (et ancien protégé de Poutine) Mikhaïl Prokhorov, qui avait proposé d'instaurer la semaine de soixante heures de travail, a également fait son apparition sur les tribunes.

A l'image du processus en cours en Europe, de grands affrontements de classe pourraient bientôt s'accélérer en Russie. Comme l'écrivait dans le bulletin Rabochie Izvestia un militant, tirant les leçons d'une grève dans une usine automobile : "prolétaires... Lutte des classes.... Tout cela réapparaît lentement mais sûrement dans la réalité quotidienne de la Russie."


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